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Patrick Quinet, à la pointe du combat pour le Tax Shelter

Publié le 01/10/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Dossier

Money

L'unité qui s'est dégagée lors de la manifestation du collectif 2001 en juin de cette année a montré une chose : la professionnalisation croissante du milieu du cinéma passe du stade de l'artisanat à la petite PME. Une mutation inévitable, si l'on tient compte d'une décennie qui a vu l'image du cinéma belge s'affirmer dans le monde et pas seulement dans le seul espace francophone.

Après les points de vue d'Alain Berliner sur les revendications du collectif 2001, nous avons décidé d'approfondir un sujet qui sera au coeur de tous les débats sur notre cinéma dans les prochains mois. D'abord avec Patrick Quinet qui a succédé à Eric Van Beuren à l'UPFF.

patrick quinet

 

Nous sommes à Schaerbeek, dans les locaux d'Artémis Productions, créé par Patrick Quinet et géré par ce dernier en concertation avec Olivier Rausin.
Patrick Quinet est l'heureux producteur d'Une Liaison pornographique, de PetitesMisères (dont nous attendons avec impatience la sortie en salles tant ce film, qui a le mérite de nous éviter les clichés branchés du troisième type genre Canal +, nous rappelle la période tchèque de Milos Forman) et aussi, tout récemment, d'Un honnête commerçant, le premier long métrage de Philippe Blasband.


Les années 90

Lorsque Patrick Quinet sort de la section réalisation de l'INSAS, il existe peu de producteurs en Belgique. Jean-Claude Batz prend sa retraite, bientôt suivi par Drouot. Dominique Janne et Hubert Toint démarrent sans que soit mise en place une organisation professionnelle de la production. "L'explosion du cinéma en Communauté française pendant cette décade prodigieuse qui a vu la reconnaissance critique et publique de Corbiau, de Van Dormael, des frères Dardenne, de Berliner, de Frédéric Fonteyne, coïncide avec la professionnalisation de la production en Belgique. C'est comme cela que je vois les années 90, précise-t-il, en jouant avec son stylo. Cette révolution de la production a vu apparaître des Diana Elbaum, des Nicolas Meyer, des Denis Delcampe ou Arnaud Demuynck. Tous ces gens ont amené un professionnalisme dans la gestion de ce qu'est un film. Ce qui a eu pour conséquence de donner aux films une meilleure visibilité à un public qui ignorait tout de notre cinéma. Les producteurs ne se sont plus contentés de produire des films mais ont affirmé aussi la volonté de les commercialiser, de leur trouver un public. Cela est très positif et aura encore des répercussions dans le futur. Il est donc important qu'il y ait des producteurs qui s'installent et qui aient des projets à long terme. On monte de moins en moins de boîtes de productions pour faire un coup, un seul film. Chez Artémis, on a produit ces cinq dernières années cinq long métrages majoritairement belges. C'est assez exceptionnel. "

Autre phénomène des années 90 qui fait grimacer Patrick Quinet : " davantage de films et de producteurs mais une enveloppe budgétaire qui n'augmente pas malgré les succès de cinq ou six films ! D'où le fait qu'on est plus faible. Ce qui peut à terme poser d'énormes problèmes.

Avec la fin des années 90, poursuit-il, est apparue une nouvelle génération qui se parle beaucoup plus, qui se rassemble entre associations. Le Collectif 2001, ce n'est plus juste une génération comme le Collectif 95, c'est l'ensemble de la profession du plus vieux au plus jeune. On est plus organisé et on a une unité dans notre discours - bien qu'on n'ait pas toujours la même vision des choses - , des projets cohérents, etc. Ce qui est assez exceptionnel. Chacun a sa spécificité; par exemple, les gens de Pro-Spere avec Frédéric Young analysent très bien les droits d'auteurs que bloquent les câblodistributeurs. On travaille tous ensemble, on se voit, on se parle. C'est grâce à cela que le nouveau contrat avec la RTBF a pu aboutir. Précisément parce que Pro-Spere et l'APFF ont collaboré. Dans les années 90, on a fleuri dans tous les sens et maintenant on se structure ensemble comme un syndicat. C'est la grande force des Français. Ce n'est que de cette façon qu'on arrivera à faire passer des choses. " Il sourit en écrasant son mégot dans une sous-tasse qui n'a pas beaucoup vu de tasses de café...

"En France - et on fait partie de l'espace francophone -, il y a toute une palette de sources de financement : le CNC, Canal+ avec un cahier des charges de plusieurs milliards de francs, TF1, France 2, Arte etc. Ils ont un système de compte de soutien extraordinaire avec une ponction sur le ticket cinéma, les Sofica...Toutes choses qui permettent à différents genres de films de coexister. Ce système a pour conséquence que les succès commerciaux renforcent les films d'auteur, et que les uns et les autres peuvent coexister. Ici, on n'a en gros qu'une source de financement qui est le public, la Communauté française. La RTBF a un fonds spécial alimenté par la Communauté, donc on tourne dans l'argent public. Un système dans lequel il y a trop peu de sources de financement est très difficile à gérer notamment sur le plan de la ligne éditoriale. Maintenant il y a Wallimage, une source complémentaire.

La solution ? Il faut augmenter la dotation de la Commission de sélection en s'inspirant du modèle français, avec un système d'aide automatique qui soit fonction des recettes salles faites sur l'année. On prendrait cinq ou dix francs sur l'ensemble des films, y compris les films américains, on aurait une manne d'argent, et enfin, il faudrait revoir le cahier des charges des chaînes privées. En ce qui concerne le fameux milliard et demi des câblodistributeurs, ce sont des rémunérations de droits d'auteurs, de droits de producteurs qui sont retenues pour le moment. Ça ne va pas aider à financer de nouveaux films, ça va permettre de manière tout à fait juste et légale de rémunérer des gens qui ont produit des oeuvres qui passent à la télévision."


Tax Shelter

"Faire du cinéma c'est investir du capital à risque. Aller chercher des investisseurs qui peuvent investir ailleurs dans un capital à risque plus porteur. En Belgique, le cinéma est un milieu peu connu dont on ne sait trop comment il fonctionne et qui n'a pas d'entreprise de la taille de Pathé ou Gaumont en France. Pour de grosses entreprises, investir dans les petites PME peut a priori faire peur. La première chose qu'il faut faire, avec le tax-shelter, avant de penser à nous, c'est de faire comprendre à l'investisseur l'intérêt qu'il peut trouver à travailler avec nous et, soyons clair, diminuer le risque par rapport à son investissement. C'est pourquoi on a besoin d'un incitant fiscal qui diminue le risque de l'investisseur."

Il repousse son fauteuil et prend une profonde inspiration. "Le projet Monfils a réussi à susciter suffisamment d'intérêt et certaines prises de conscience - accélérées par l'action du Collectif 2001 - pour que le Sénat vote cette loi. Et ce qui est très bien, c'est qu'à cette occasion on a découvert qu'il y avait une volonté politique forte puisque le projet est passé à l'unanimité au Sénat.

Nous, c'est à dire l'ensemble des producteurs y compris les Flamands, avons fait des propositions à Didier Renders pour le rendre plus attractif vis-à-vis des investisseurs ; d'autre part, puisque le projet n'a pas été fait avec les producteurs, nous avons aussi fait des propositions pour renforcer la production. Cela veut dire qu'il ne suffit pas de se dire : on a un investisseur grâce au fait qu'on diminue son risque : si c'est contre ou au détriment du producteur, ça ne sert à rien. Tu me parleras, comme tout à l'heure, du système des Sofica en France qui ont un retour d'investissement très important de l'ordre parfois de 800%. D'accord. Mais ils cohabitent avec toute une série de sources de financements. Et c'est un financement cher que l'on va souvent chercher à la dernière minute, lorsqu'il faut boucler le financement du film. Le producteur doit garder suffisamment de droits à travers des préventes, à travers des comptes de soutien, à travers tous les mécanismes que les Français ont mis en place pour pouvoir se permettre de rétrocéder une partie de ces droits contre un financement privé. Nous, nous n'avons pas cette possibilité de générer des droits !"


Investissement privé

"Donc, avoir un système de Tax Shelter qui revendique un retour sur investissement de l'ordre de 250% et pourquoi pas plus, est incompatible avec la situation belge. Aussi l'idée est-elle de modifier le texte adopté par le Sénat avec Didier Reynders. Pour nous résumer, il faut attirer les investisseurs par des mesures attractives, il faut que le produit soit aussi concurrentiel qu'une SICAV ou d'autres actions. D'autre part, il faut que ce nouveau financement du privé serve aussi à renforcer la production belge. En détenant des droits, en gardant le contrôle de la production ce qui, en certaines occasions, nous éviterait de devoir céder aux Français, nos coproducteurs privilégiés, le contrôle sur les recettes et le contrôle artistique du film - Moui, je te vois sourire mais sache que ça arrive plus souvent que tu ne le crois". Votre serviteur émet un borborygme approbateur.

"Ayant investi plus d'argent, les coproducteurs étrangers prennent, d'une certaine manière, le contrôle du film. N'oublie pas que dans la plupart des pays du monde, un film acquiert sa nationalité par ses sources de financement. Petite entourloupette, quand on va dans un festival, c'est la nationalité du réalisateur qui détermine celle du film. Si c'est toléré à Cannes ou Venise, la réalité est tout autre dans d'autres pays. J'ajoute que ça a une incidence très forte lorsqu'on va chercher du financement ailleurs.

Quelque part, l'argent amène l'identité culturelle du film. Quand on n'a pas suffisamment de ressources financières on ne peut pas imposer encore plus fortement notre identité culturelle. Tu me diras que les frères Dardenne le font. D'accord. Mais dans les limites d'un certain type de budget. Dès qu'on dépasse ce budget, on se retrouve dans une perte d'identité liée au financement du film. C'est clair. Si tu savais ce qu'on a dû ramer pour imposer Benoît Verhaert dans Un honnête commerçant, tu ne me croirais pas. Philippe Noiret, Yolande Moreau, pas de problème, mais Verhaert, on ne connaît pas et vous lui confiez le rôle principal ! Patrick en rallume une cigarette et poursuit : "Comme ce sont eux qui amènent l'argent, soit on plie et on prend Richard Anconina et ça devient un film français, soit on garde notre identité belge mais on se prive d'une source de financement !"


Jeans et tennis

"Ce qui est une première c'est qu'on est tous unis, tous les syndicats des producteurs, on parle d'une même voix, y compris avec les Flamands. Si la proposition ne devait pas passer - pour des contingences politiques que nous ne pouvons prévoir -, la situation deviendrait assez dramatique. Quand je te disais que la manifestation du collectif 2001 a eu une incidence - au-delà du fait que le Ministère des Finances nous a contacté pour avancer sur le Tax-Shelter en espérant même qu'il soit opérationnel pour début 2002, ce qui serait extraordinaire -, beaucoup de politiques nous ont contacté pour nous demander : "Qu'est-ce qu'on peut faire pour l'audiovisuel belge?" Ils étaient demandeurs, ils avaient énormément de lacunes, on leur a donc expliqué à quel point l'audiovisuel est intéressant au niveau économique.

À un moment, un parlementaire, nous a dit : "voir un film qui soit financé par la Belgique, la France ou les Etats-Unis, cela ne change rien". Bien sûr que ça change tout. L'image a un impact énorme et tu sais bien comment les Américains gèrent la leur à travers leur cinéma. Est-ce que ce ne sont pas les western, James Dean et Brando qui, au début des années 60, ont généralisé l'usage du jeans et du tee-shirt ! Et puis le tennis, c'est quoi ? Deux personnes qui se renvoient une balle. Est-ce qu'on ne préfère pas Justine Henin ou Kim Clijsters voir gagner un match ! Pas plus qu'un match de tennis n'est qu'un match de tennis, un film n'est pas juste un film, il y a plein d'autres choses ! Ce qui est extraordinaire, c'est que lorsqu'on a été voir le monde de l'entreprise, ils nous ont sorti l'argument inverse. Evidemment, on préfère voir Justine Henin ou Kim Clijsters. Il faut aider le cinéma belge ! Donc on était plutôt ravis de faire entrer le monde de l'entreprise dans le financement du cinéma. Il est temps qu'on se rende compte qu'au niveau économique c'est un secteur important et qu'il ne faut pas rester à la traîne parce que tout va très vite".

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