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Pauline et Paulette de Lieven Debrauwer

Publié le 15/07/2001 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

 

NOUS DEUX

Pour son premier long-métrage, Lieven Debrauwer n'a pas choisi la facilité. Rendez-vous compte : en Belgique, aujourd'hui, faire un film sur les handicapés mentaux, quand on ne s'appelle pas Jaco. Qui plus est, raconter une gentille histoire rose dans des décors de bonbonnière sans s'appeler Berliner. Pire, avoir l'audace de mettre en scène des vieux en leur prêtant la fraîcheur de jeunes gens et ne pas s'appeler Benoît Lamy. Et réussir avec tout cela un film au ton éminemment personnel qui ne ressemble à aucun autre, avouez que ce n'est pas à la portée du premier conformiste venu. C'est que le jeune réalisateur a choisi d'assumer ses envies et "y va", à fond, au départ d'a priori courageux et sympathiques. Un exercice à haut risque qui demande une infinie délicatesse et un sens peu commun de l'équilibre. Un travail sans filet, aux frontières du roman photo. Dans le joli petit village de Lochristi, nous faisons la connaissance de Pauline. Elle vit dans une charmante fermette, semblant tout droit sortie d'une carte postale, avec sa soeur Martha qui s'occupe d'elle avec beaucoup de dévouement. Pauline, il faut le dire, est atteinte d'un handicap mental qui lui a laissé, à 66 ans, l'esprit d'une toute petite fille. Elle est heureuse avec Martha, mais c'est à son autre soeur, Paulette, qu'elle voue une admiration passionnée. Paulette, la mercière à l'univers rose bonbon, diva de la troupe d'opérette du village, qui trône dans son magasin entre les satins carmins et le papier d'emballage orné de milliers de roses rouges. Une affection débordante qui embarrasse plutôt la commerçante, beaucoup plus préoccupée du quand dira-t-on et de sa position sociale que de sa soeur et de ses émerveillements. Aussi, quand Martha s'en va pour toujours dans une grande voiture grise avec des croix, Pauline n'a pas de doute: elle va aller vivre dans le magasin de Paulette. Pour cette dernière, c'est nettement moins évident, même si son autre soeur, Cécile, qui vit à Bruxelles, la pousse aussi dans cette voie. Paulette, elle, envisage de placer Pauline dans une "maison". Mais le testament de Martha est clair: tous ses biens iront intégralement à ses soeurs à la condition exclusive que l'une d'entre elles accueille Pauline chez elle. Pauline et Paulette vont donc devoir apprendre à vivre ensemble. Jusqu'à ce que Paulette s'aperçoive que la présence de sa soeur vaut pour elle davantage que toutes les vanités du monde.


Pauline et Paulette de Lieven Debrauwer

 

Un argument de départ assez mince, il est vrai. Mais Lieven Debrouwer va l'habiller avec tout le talent qu'on avait déjà découvert dans son court, Léonie, primé à Cannes en 1997. Beaucoup d'humour, de poésie, de générosité, un grand respect pour ses personnages et un sens bien particulier de l'habillage : décors, costumes, lumières cadrages, musiques étudiés avec énormément de soin pour coller aux acteurs, aux situations et aux émotions. Du propre aveu du réalisateur, le film vient de son envie de faire tourner ensemble Dora Van Der Groen et Ann Petersen.Il escomptait beaucoup des étincelles que produirait la rencontre de ces deux grandes dames du cinéma et du théâtre en Flandre. Autour d'elles, il écrit son histoire, basée sur un souvenir d'enfance. Il y parle beaucoup des relations qui peuvent unir ces trois soeurs. Beaucoup d'affection mais aussi de l'égoïsme, des petites mesquineries de la culpabilité de la tendresse. La nature humaine rendue avec justesse et sympathie. Le film est donc logiquement porté par ses deux comédiennes. Dora Van Der Groen est parfaite en Pauline légère comme un oiseau et fragile comme un oeuf. Elle met dans son rôle juste ce qu'il faut de maladresse, la pointe d'humour et le zeste d'étourderie nécessaires pour former le contrepoint idéal à Paulette, Ann Petersen , plus "walkyrienne", mais aussi davantage cantonnée dans la mimique.Les protagonistes de cette histoire tournent tous autour de la soixantaine fleurie. C'est courir un risque supplémentaire à une époque où le monde du cinéma croit dur comme fer que la rentabilité des films se réalise avec la tranche des 15 -35 ans et y trouve trop souvent prétexte pour sombrer dans un jeunisme sans nuances. Toutefois, le fait d'être confrontés à des personnages plus âgés donne également au film un ton particulier. Il est rare, il est vrai, de voir au cinéma de vrais personnages de vieux, qui ne soient pas réduits à leurs stéréotypes: des jeunes attardés, des nostalgiques de leur splendeur passée ou des malheureux tourneboulés par le spectre de leur propre décrépitude. Et Lieven Debrauwer a su construire de véritables personnages de sexagénaires. Le fait que cette histoire leur arrive, plutôt qu'à des gens de vingt, trente ou quarante ans lui confère une épaisseur supplémentaire, une qualité émotionnelle supérieure. Autre pari à risque de la part du réalisateur, celui d'oser jusqu'au bout le ton de la candeur et de la naïveté. Dans notre monde, le cynisme, la dureté et la violence sont devenus des lieux communs cinématographiques bien plus porteurs, n'est-ce pas? Alors, se mettre au niveau des plus faibles, les vieux, les handicapés, les petites gens, et parler de respect et d'amour oblatif, quand la moquerie acerbe est un des traits les plus appréciés de la branchitude audiovisuelle, cela demande du courage. Surtout quand à trente ans à peine, on monte son premier long métrage. Dans ces conditions, tenir le ton général demande aussi beaucoup de subtilité, de délicatesse de façon à éviter les écueils de la mièvrerie, de la sensiblerie du misérabilisme, bref de l'insignifiance. Avec une grande maîtrise formelle, Lieven Debrauwer joue au funambule sur son fil, vacille souvent, mais ne tombe jamais. Au terme d'une vertigineuse valse des fleurs, il a su mener à bon port un très beau film qui ensoleillera l'âme de tout spectateur n'étant pas irrémédiablement allergique à une pointe d'eau de rose...pardon, d'eau de fleurs.

Pauline et Paulette
35mm, couleurs, 78'
Réal.: Lieven Debrauwer. Scén.: Lieven Debrauwer et Jacques Boon. Image: Michel Van Laer. Son: Willem Van Nieuwenhuizen, Olivier Hespel, Lieven Callens, Philippe Van Leer et Henri Morelle. Montage: Philippe Ravoet. Musique: Frédéric Devreese. Int. : Dora Van Der Groen, Ann Petersen, Julienne De Bruyn, Rosemarie Berghmans, Idwig Stéphane. Prod.: K-Line, Staccato films, K2, K-Star, RTBF, VRT, NCRV, averc la participation de Canal + Vlaanderen, CoBO Fund et TF1 international, le soutien du Fonds Film in Vlaanderen et la collaboration du Centre du Cinéma et de l'audiovisuel de la Communauté française de Belgique et des télédistributeurs wallons.

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