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Philippe Geluck

Publié le 01/01/1997 / Catégorie: Entrevue

De l'art et essai à l'humour félin et médical

Fils du directeur de Progrès Films, Philippe Geluck a préféré le dessin et l'écriture au cinéma. Le Chat et le Docteur G. lui ont donné raison. Explications.

Philippe Geluck

Cinergie : Enfant, vous baigniez dans le cinéma...
Philippe Geluck
 : Oui, mais dans un certain cinéma, dans celui que distribuait Progrès Films. Un cinéma de qualité, beaucoup de films en provenance des pays de l'Est parfois étonnants pour un enfant. Nous n'avions pas la télévision mais mon père ramenait de temps en temps un projecteur 16mm à la maison et organisait des projections de films en général sous-titrés. J'ai ainsi des souvenirs assez magiques. Il connaissait des gens fabuleux qui venaient manger chez nous, tels Polanski ou Forman à leurs débuts, quand ils travaillaient encore dans leur pays d'origine.

 

C. :Cela vous a-t-il donné l'envie de faire du cinéma?
P.G. : Bizarrement non, je ne faisais pas le rapport. Un moment, j'ai voulu faire du théâtre comme comédien, mais travailler dans le cinéma, jamais. De plus, Progrès n'était pas à lui, il en était le directeur-employé.

 

C. : Continuez-vous à aller au cinéma?
P.G.
 : Oui, cela reste l'un de mes tous grands plaisirs, mon seul regret est de ne pouvoir y aller plus souvent. J'ai gardé de cette époque une méfiance pour le cinéma américain pré-fabriqué, en conserve, où c'est la même histoire qui est toujours racontée. J'ai sans doute gardé de mon enfance un regard critique, je ne me laisse pas trop faire comme spectateur.

 

C. : Et le Chat au cinéma, vous y pensez?
P.G. 
: Pour le cinéma, il faut écrire quelque chose en continuité et je ne me sens pas capable pour le moment d'écrire ni un roman ni un scénario de longue durée. Je me cantonne à des choses courtes. Cela doit correspondre à une forme d'esprit. Le jour où je déciderais de transposer le Chat au cinéma ou à la télévision, j'écrirais un vrai scénario de cinéma car les adaptations de BD au cinéma ne sont jamais réellement convaincantes. On a pourtant fait des pilotes du Chat, il bouge bien, peut tout à fait parler, on lui a donné une voix ronde qui lui correspond bien. Mais pour réaliser un long métrage, je devrais me mettre pendant plusieurs mois en congé de mes activités, ce que je ne suis pas prêt à faire pour le moment.

 

C : Comment est né le Chat?
P.G. 
:
J'ai toujours dessiné. A une époque, je jouais au théâtre, je faisais Lollipop à la télévision et je dessinais, mon rêve étant alors de pouvoir consacrer la plus grande partie de mon temps à cette dernière activité. Quelques temps après avoir commencé le Chat dans Le Soir, j'ai abandonné le théâtre, j'étais épuisé et je n'avais pas envie d'être absent tous les soirs et de ne pas voir mes enfants. Le Chat a mis six mois pour s'imposer, des lecteurs envoyaient même des lettres de protestation. Un peu plus tard, (A Suivre) m'a demandé de publier des gags en une page, et non plus sur une ou trois images, et de les mettre en couleur, ce que me faisais tomber des nues car le Chat était, pour moi, un personnage noir et blanc de presse quotidienne. Fort du succès grandissant, j'ai proposé à Casterman de faire un album. Il a refusé.

L'année suivante, j'ai reproposé le projet à l'éditeur, affirmant que, s'il ne faisait pas l'album, je le ferais moi-même, persuadé que cela pouvait marcher. Il a accepté parce que, a-t-il dit, éditer est le métier d'un éditeur et pas d'un auteur. Le livre est sorti sous le forme d'un bel album avec jaquette à 6000 exemplaires, 3000 pour la Belgique, 3000 pour la France. En deux jours et demi, tous les exemplaires belges étaient épuisés, on a dû faire revenir ceux de France qui sont partis dans la foulée. Aujourd'hui, cet album-là a été vendu à 120 000 exemplaires.

 

C. : Et en France, quand le Chat a-t-il démarré?
P.G. 
: Il a rapidement connu un succès d'estime auprès des professionnels mais les journalistes français refusaient le plus souvent d'en parler car, affirmaient-ils, il n'était pas assez connu. Ce qui lui a donné un coup d'accélérateur, c'est sa présence dans le quotidien Infos-Matin pendant un an. Au début, comme dans Le Soir, les gens ne comprenaient pas trop, et puis c'est devenu un peu l'image du journal. A tel point qu'après trois mois de présence, un sondage a révélé que 74% des lecteurs commençaient par mes dessins. Pendant les dix premiers jours, devant l'urgence, j'ai repris des gags existants, mais ensuite je n'ai publié que des inédits. Et à part deux ou trois dessins jugés trop grinçants, tous sont passés.

 

C. : Et le Docteur G. est né d'un désir de retour à l'écriture?
P.G.
 : C'est plutôt le contraire, l'envie d'écrire est venue du Docteur G. Au début, c'étaient des idées gribouillées et ce n'est que progressivement que je me suis mis à les rédiger. J'ai alors trouvé un véritable plaisir de plume, me rendant compte que plus les textes étaient écrits, plus je pouvais soigner mes effets. L'idée du personnage est venue d'un pastiche du Docteur Françoise G. qui répondait aux questions des auditeurs tous les midis sur RTL. Grâce au secret médical, que je ne transgresse jamais puisque je ne cite pas le nom de famille de mes correspondants, le docteur peut tout entendre.

 

C. : Le livre est vendu avec un CD enregistré en direct pendant l'émission La Semaine infernale. Les deux sont indissociables?
P.G.
 : Le Docteur G. est né avec mon arrivée à l'émission radio en 1988, mais le livre n'est paru que deux ans plus tard. Le livre et le CD sont complémentaires, d'autant plus que j'ai glissé dans le livre des gravures détournées que je suis allé piquer dans des encyclopédies médicales. Le Docteur G. répond à vos questions est sorti en 1990 sous deux formes, le livre seul ou avec cassette, ce qui entraîna pas mal de confusions. Il vient d'être réédité avec CD en même temps que le deuxième recueil, Le Docteur G. fait le point.

Le Chat et Le Docteur G. sont édités chez Casterman.

 

Michel Paquot