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Philippe Reynaert

Publié le 01/03/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Comment fait-on pour dresser le portrait de son ancien rédacteur en chef ? L'homme qui vous a mis le pied à l'étrier dans le photojournalisme grâce à Visions, la revue de cinéma des années 80 ? (à une époque où votre serviteur n'avait publié que des photos de René Jacobs, l'un des phares du renouveau de la musique baroque, dans L'Âne, mensuel lacanien, oui, déjà).

 

 Deux solutions. Soit vous prenez du Prozac trois fois par jour, à partir de la veille, soit vous ingurgitez du whisky pur malt, le matin même comme dans l'un des thrillers de John Huston où l'on voit Humphrey Bogart effleurer avec son pouce sa lèvre inférieure. Un traitement de choc qui vous transforme en clone de Palmer, le héros de Pétillon. Mais votre serviteur s'égare. Philippe Reynaert, l'homme aux lunettes blanches que la télévision a popularisé est là devant nous, préférant le thé à notre café noir. Et une fois de plus nous constatons que les hasards de l'Histoire font les meilleures histoires : " Mon père et ma mère vivaient à Marchienne au Pont. Lui était siderurgiste et travaillait à La Providence, elle travaillait dans une miroiterie. Ils ont tous deux quitté le milieu ouvrier pour devenir prédicateurs protestants. Quelques mois après ma naissance, ils se sont installés à Liège où ils ont animé pendant des années un centre de réinsertion sociale pour ex-détenus. J'ai vécu toute mon enfance jusqu'à douze ans en Outre-Meuse. 
Et le hasard veut que le siège de Wallimages soit situé à Mons dont est issue mon épouse. La boucle est bouclée ", affiche-t-il l'oeil pétillant, en rajustant ses lunettes blanches. " Ayant évolué dans ce milieu protestant, poursuit-il, je n'allais pas beaucoup au cinéma. Le premier film que j'ai vu était les Dix Comandements dans un cinéma de Liège. J'étais tellement effrayé, paraît-il - parce que moi je ne m'en souviens plus - par la descente de Charlton Heston avec les tables de la Loi qu'il casse avec rage en découvrant que le peuple élu se vautre dans le stupre. J'ai tellement hurlé qu'on a dû quitter le cinéma. Je ne saurai donc jamais ce qui est arrivé au peuple élu après cet incident (rires - c'est pas vrai , j'ai revu le film plus tard). Ensuite on allait au cinéma à la mer, lorsqu'il pleuvait. On allait à Ostende, au Rialto et les seuls films que j'ai vus étaient la série des Jerry Lewis que j'ai assimilé dans son entièreté. Et aussi, la Mélodie du bonheur que j'ai vu chaque été ! Je peux te chanter à peu près toutes les chansons. C'est te dire quel a été mon trouble en découvrant l'an passé à Cannes Dancing in the dark, dans lequel la Mélodie du bonheur est tout le temps présente et peut être une clé de lecture du film.
À l'age de quinze ans et demi, j'ai été pour la première fois au cinéma sans les parents, avec un copain de classe, à l'Aiglon, chaussée d'Ixelles, pour voir Huit et demi de Fellini. Ça a été un choc extraordinaire parce que j'avais en tête que le cinéma était un divertissement pour après-midi pluvieux et tout à coup j'ai été confronté à un film auquel je n'ai pas dû comprendre grand chose à l'époque mais qui m'a donné le sentiment de l'importance du cinéma. Que c'était un art qui racontait des choses capitales sur la vie et pouvait avoir un impact sur la manière dont on vit lorsqu'on est sorti de la salle. Ça, c'est mon expérience fondatrice consciente (Cecil B. de Mille étant l'inconsciente - rires). Fellini est donc mon papa de cinéma. " A partir de là Philippe Reynaert tombe dans une période de cinéphagie aiguë. Il fréquente assidûment le Musée du Cinéma et dévore les films de ses collections. A ce point du récit vous vous attendez, comme votre serviteur, à ce que Philippe s'inscrive dans une école de cinéma. Eh bien, pas du tout. La réalisation ne l'intéresse pas trop. Il décide de s'inscrire à la prestigieuse Université de Paris VIII (Vincennes) qui était la première faculté dispensant des études de cinéma : " J'avais une idée à la fois floue et nette, précise-t-il, je voulais étudier le cinéma sans en exercer l'un des nombreux métiers techniques ou artistiques. En réalité, ce n'était pas formulé mais je voulais être spectateur ! (rires) et ça reste mon grand fantasme.
 Ce n'est que bien plus tard que j'ai découvert que la critique de cinéma était une manière d'être un spectateur professionnel. Et puis mon père est tombé malade et j'ai décidé de ne pas quitter Bruxelles ". Il entreprend des études de romaniste à l'ULB, se disant qu'il s'agit d'étudier le récit, sans images certes, mais la narration, ce qui n'éloigne pas trop de la fiction. Et, ô divine surprise, il se met à fouiller le subjonctif imparfait dans la littérature des Lumières (pas les cinéastes, le XVIIIe siècle) !
" Ce n'était pas ce que j'avais imaginé ", nous dit-il en riant. Néanmoins, le doigt de fée du destin de la cinématographie se pose sur lui, la faculté de philologie romane l'autorise, au grand dam de la faction conservatrice, à consacrer un mémoire à André Delvaux via Rendez-vous à Bray, l'adaptation que celui-ci a opéré d'un roman de Julien Gracq. Installé à une table de montage de L'INSAS, il décortique le film conseillé par Hadelin Trinon qui l'emmène voir le matin des films à la Cinémathèque. Le résultat sera : De Gracq à Delvaux, d'un langage à l'autre, mémoire et l'un des premiers ouvrages consacré à André Delvaux. Ensuite, son service civil lui donne l'opportunité d'entrer au CCAC et de collaborer à la revue Les Amis du Film dont il devient, lors de la retraite de Jean de Bognie le rédacteur en chef et dont il décide de transformer le ton et le look. C'est la création avec Benoît Jacques et Louis Danvers, en septembre 1982, de Visions, une revue de cinéma qui verra se côtoyer les meilleures plumes de la critique : outre ses créateurs, Philippe Elhem, Charles Tatum, Jr., Henri Sonet, Noël Godin, Paul Davay, Jacqueline Aubenas, Patrick Leboutte, Gérard Prezsow, Hubert Felix, Léon Michaux, Geneviève Robillard, Geneviève Payez et de la photo : Myriam Debehault et votre serviteur, si je puis me permettre (on attend la thèse de doctorat qu'un étudiant ou un chercheur consacrera à cette revue à nulle autre pareille). L'aventure de Visions a duré cinq ans (avec ses deux suppléments : Cinéma en marge, cinéma en marche pour Bruxelles et L'oeil averti pour la Wallonnie).
En 1988, Visions devenu Visions International est absorbé par Studio, le magazine français dont Philippe gère un temps les pages belges. Il met sa créativité au service de diverses agences de publicité (Havas, DDB , Go Between, Young et Rubicam), tout en devenant chroniqueur extérieur à la RTBF. D'abord en animant le ciné-club de minuit, ensuite des billets sur les ondes de Radio 21 et au JT du dimanche soir, et enfin, sur une proposition de Gérard Lovérius qui veut refaire un magazine cinéma, l'homme aux lunettes blanches co-présente TéléCINéMa, l'émission télévisée que vous présente chaque mardi soir la RTBF. Tout ça ne l'empêche pas de trouver en 1986, Cinergie, le titre de notre magazine, lorsque celui-ci décide d'abandonner celui de Cinéma en marge, cinéma en marche ni d'écrire avec Philippe Elhem Le cinéma en fumée, un luxueux album illustré de photos provenant des archives de la collection Kobal et paru chez Contrejour, ni d'être nommé en décembre dernier directeur de Wallimage. Nous vous en parlons plus longuement dans le numéro de ce webzine.

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