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Princesses de Sylvie Verheyde

Publié le 01/10/2000 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

Famille je te hais

Sophie, post-adolescente roulée dans la fausse soie d'une petite vie bourgeoise, vivote en solitaire malgré la présence financière d'un petit copain emballé bcbg et aussi passionnant qu'un mauvais épisode de Dallas. Un matin, des flics lui apprennent que son père, cavaleur notoire et qu'elle n'a pas vu depuis dix ans (on découvrira par après que son passé familial est loin du rose aimant) est recherché pour meurtre et reste introuvable.

Princesses de Sylvie Verheyde

 

Au commissariat, elle se découvre une demi-soeur, sorte de ready-made de jeune beur dont la phrase slogan et qui la résume totalement claque toute les vingt secondes : "J'en ai rien à foutre". Leur rencontre vire rapidement à l'aigre, "j'en ai rien à foutre" n'en ayant vraiment rien à foutre de sa sœur, et l'on comprend qu'elles traînent toutes deux de sérieux problèmes avec papa.

Celui-ci, contre toute attente, fait parvenir à ses filles des messages sybilins les pressant de venir le retrouver dans le train Paris-Amsterdam et voilà nos deux héroïnes lancées à sa poursuite pour le meilleur et surtout pour le pire. Car à partir de là, le film va basculer en plein non-sens, accumulant les situations les plus abracadabrantes en une succession de scènes chocs, à l'ambiance trouble et où se retrouvent un tueur névropathe, des diamants volés, un demi-frère en culotte courte et un flic en pleine dépression nerveuse, le tout ponctué d'un "papa je t'aime" qui a du mal à sortir.

On l'aura compris, Princesses, le dernier film de Sylvie Verheyde, ne fait pas dans la dentelle psychologique, pas plus que dans la tranche de vie réaliste. Lorgnant résolument vers le polar couleur cauchemar, il tente de nous donner comme l'image fantasmée des noires profondeurs de la paternité quand elle est vue du côté des victimes, dans ce cas-ci nos deux "princesses" abandonnées.

Esthétique sombre et crépusculaire, personnages à l'avenir balafré de blessures, liens familiaux charriant violence feutrée et pulsions malsaines, rien ne manque pour faire de Princesses un cocktail pervers mettant à mal la banalité sécurisante de la vie de famille.
Et pourtant la sauce ne prend pas. Sylvie VerHeyde hésite trop souvent à jouer à fond la carte de l'imaginaire délirant. Trop souvent, comme par pudeur, sa mise en scène reste en deça des chemins fulgurants que son scénario propose et elle se retranche derrière des velléités d'écriture réaliste, truffant ses dialogues de mots clés et explicatifs qui nuisent au côté déjanté de son film. L'idée de l'absence du père comme justification systématique des situations les plus extrêmes réduit l'enjeu de son film à une explication psychanalytique à trois sous, et le recours constant à cette carence affective pour éclairer les déchirements de l'âme de nos héroïnes en arrive à simplifier à l'extrême les personnages, leur retirant toute chair, nous les livrant pareilles à des caricatures dont le sort ne nous concerne guère.

Il y a dans Princesses un côté contrôlé, pensé, voulu, écrit qui glace et fait distance, et c'est dommage car Sylvie VerHeyde réussit quelques belles séquences au climat onirique et glauque où Emma De Caunes, qui campe le personnage de Sophie, trouve l'ambiguïté sentimentale de cette fille sans père et qui ne sait plus aimer.
Film charnière, entre-deux, Princesses apparaît plus comme une transition, une tentative vers un cinéma débarrassé de toutes préoccupations psychologiques et en cela il ne peut nous laisser qu'en attente du prochain film de Sylvie VerHeyde.

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