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Publication : Delvaux ou le réalisme magique

Publié le 13/07/2006 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Livre & Publication

L’œuvre cinématographique d’André Delvaux s’ancre fermement dans l’histoire du cinéma européen. La réédition en DVD, de L’Homme au crâne rasé suivi de Rendez-vous à Bray, en France, le récent ouvrage de Frédéric Sojcher, André Delvaux (Le Seuil/Archimbault) et, enfin André Delvaux ou le réalisme magique d’Adolphe Nysenholc nous le confirme.

L’ouvrage d’Adolphe Nysenholc, rédigé dans un langage clair et précis, revient sur le parcours cinématographique d’André Delvaux film par film et notamment sur la tétralogie de l’imaginaire que sont L’Homme au crâne rasé, Un soir un train, Rendez-vous à Bray et Belle qui en est la pointe acérée.

Autour de la notion de "réalisme magique" qui a fait couler beaucoup d’encre, l’auteur en précise la notion : « Chez Delvaux, pas de récits baroques ou gothiques, de morts ou de dieux vengeurs, comme avec Jean Ray » (…) Delvaux est plus proche de la métaphysique intériorisée d’un Chirico ou d’un récit de Kafka, comme Le Procès, où tout est (a)normal, sans intervention "divine".
Et de préciser : « Delvaux ancre tout dans le réel. De même qu’Anne est morte dans l’accident de train, Govert a bel et bien tiré sur Frann, Jacques Nueil a été descendu en flammes, Belle a escroqué Mathieu. Delvaux alors s’amuse à escamoter la réalité, comme l’aurait fait son Arsène Lupin ». Mieux encore : « Chez Delvaux, le fantastique n’est qu’une tentation, il n’existe que sous sa forme virtuelle, il travaille les choses et les êtres de l’intérieur ».
Adolphe Nysenholc nous signale le peu de goût de Delvaux pour l’utilisation de l’esthétique baroque. Il utilise des objectifs en évitant la déformation de l’espace (40mm ou 50mm). Il en va de même avec la bande son (si l’on excepte L’Homme au crâne rasé où la voix intérieure de Govert Miereveld coexiste avec une base auditive réaliste). Dans le premier film d’André Delvaux (que beaucoup considèrent comme son chef d’œuvre) on n’est pas loin du cinéma mental d’Alain Resnais.
Un autre point que souligne Nysenholc : la parenté avec cette révolution, au début des années 60 que fut l’aventure cinématographique de Resnais, Godard, Marker, Malle ou Truffaut.  Ce n’est par hasard qu’André Delvaux va travailler avec des techniciens prestigieux de la Nouvelle Vague : Ghislain Cloquet à l’image, Antoine Bonfanti au son et Suzanne Baron au montage (tous devenus enseignants à l’INSAS dans les années soixante) et utiliser des interprètes comme Anna Karina, Anouck Aimée, Sami Frey, Yves Montand, Fanny Ardant ou Marie-Christine Barrault. Mieux, il a étudié en profondeur Hiroshima mon amour de Resnais, Resnais cet « arpenteur de l’imaginaire » avec lequel il partage un goût commun pour la recherche de la forme.

Impossible de ne pas évoquer la musique lorsqu’on parle d’André Delvaux, part essentielle avec la peinture dans l’œuvre d’un cinéaste né d’une famille de musiciens. D’où ce trait récurrent : les héros de ses films sont souvent des musiciens – pianistes comme l’était Delvaux (revoir la très belle séquence dans Rendez-vous à Bray où Julien Eschenbach remplace au pied levé César Franck).

L’auteur conclut en revenant sur le "réalisme magique" qui serait « un néoplatonisme, et donc un idéalisme, au double sens du terme. Il développe un scepticisme à propos du monde sensible, mais aussi en ce qui concerne le monde intelligible, qui peut n’être que purement imaginaire (…) Le réalisme magique n’est pas un rationalisme, car il ne va pas au bout de sa logique. Le certain l’annihile. Il a besoin de ne pas savoir. Et telle serait la dialectique initiatique qui animerait le grand œuvre des films ».


Adolphe Nysenholc : André Delvaux ou le réalisme magique, éditions du Cerf-Corlet, 233 pages.

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