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Rapt de Lucas Belvaux

Publié le 01/12/2009 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Il n'y a ni justice ni liberté possibles lorsque l'argent est toujours roi. (Albert Camus)

La raison du plus faible de Lucas Belvaux, sorti en 2006, nous parlait de lutte des classes (un mot qu'il considère comme un fait, et non comme une idéologie). Entre La Raison du plus faible et Rapt, qui sort ce mois-ci, il a réalisé Les prédateurs (4 heures), film époustouflant diffusé sur Canal+ et retraçant l'aventure démente de l'affaire Elf. La première partie dans laquelle se mettent en place les protagonistes, (Loïk Le Floch-Prigent, Alfred Sirven et André Tarallo) nous montre, de manière limpide, l'opacité des circuits financiers dans lesquels affairistes et politiciens se côtoient, mine de rien. La seconde partie joue sur l'aspect judiciaire de cette partie d'échec avec le dossier instruit par la juge Eva Joly, (rebaptisée dans le film Jeanne Charmant Killman - formidable Nicole Garcia) et la juge Laurence Vichnievsky partant à l'assaut de la citadelle Elf, de son système de corruption, de son réseau d'intimidations et de protections.
C'est dire si nous attendions Rapt, autre versant d'une tempête médiatique impressionnante en France à savoir l'enlèvement, la séquestration et les pourparlers autour d'un personnage emblématique du milieu patronal, le baron Empain.

Des chômeurs de La raison du plus faible au riche chef d'entreprise de Rapt, le passage peut sembler bizarre. Et pourtant, ce monde de dirigeants du haut patronat solidaire du capitalisme d'Etat dans la dérégulation des marchés, Lucas Belvaux nous en montre l'absence de solidarité et, surtout, le peu d’humanité déployée pour l'un des leurs. Rapt, c'est aussi cela, les pratiques managériales d'un patronat obsédé par le « leadership » du profit. Le monde de l'aristocratie financière de l'idéologie néo-libérale est, certes, déconnecté du vécu des salariés, mais tout aussi tributaire d'un minimum d'humanité sans lequel le contrat social disparaît dans la guerre des classes.

 

Ivan Attal dans Rapt de Lucas Belvaux

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Stanislas Graff (superbe Yvan Attal), golden boy, flambeur au Poker, collectionneur de femmes qu'il rejoint dans sa garçonnière, est kidnappé devant son hôtel de l'avenue Foch. Les truands l'enferment sous une tente, l'amputent d'un doigt. Graff devient une sorte d'animal aux yeux bandés. Lui, le riche héritier, qui a vécu déconnecté de la réalité entre ses parties de poker, ses maîtresses et un conseil d'administration à sa botte, va découvrir ce que signifie obéir à ses geôliers plutôt que d'obliger les autres à obéir. Son monde s'étant effondré, il va se découvrir seul, et découvrir l'existence de l'autre, l'altérité. Ces moments forts du film sont très proches du cinéma de Bresson. Lorsque amaigri, traumatisé, décharné, il sort de son enfermement, il redécouvre sa famille qui lui reproche sa vie passée et son conseil d'administration qui lui enlève son pouvoir.
Belvaux nous entoure d'une histoire noire dans laquelle la police joue son rôle. La rançon réclamée par les geôliers sera-t-elle payée via ces avares qui ont découvert, avec horreur, un Graff dépensier ? (pour le côté anal de la chose, lisez Freud, il a tout expliqué). Les flics vont-ils intervenir avec leurs gros sabots ou avec souplesse ? Le réalisateur, qui aime la structure du triangle (Un couple épatant + Cavale + Après la vie), s'intéresse au double duo Graff/gangsters et entourage/police en nous entraînant dans l'engrenage d'une multiplicité quasi circulaire, proche des films de Jean-Pierre Melville (L'Armée des ombres).

La grande intelligence de la mise en scène consiste à nous montrer, avec une sobriété proche d'un film noir, les séquences d'emprisonnement dans lesquelles les personnages sont secs et où Graff apparaît tout en silence et regards (comme dans Le Samouraï, autre film de Melville). Et nous découvrons que «hélas, tout le monde a ses raisons », comme le dit Jean Renoir dans La règle du jeu.

Ce que nous suggère Belvaux, c'est l'invisible, le sous-texte des raisons qui animent tous ces personnages et qu'ils ne peuvent avouer. L'enlèvement de Graff le dépensier désacralisant, avec ses frasques et son goût du poker, le monde de la finance via des médias – qui ne comprennent pas, tels des aveugles, que leurs informations servent de manipulation et arrangent tout le monde. La découverte par Graff, lors de son retour, de la trahison de ses collaborateurs les plus proches rendra sa chute particulièrement brutale.

Diffusion Cinéart.

 

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