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Regarde-moi de Frédéric Sojcher

Publié le 01/01/2000 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Le voyage des comédiens

Nous sommes au 34, rue de Stassart, dans la grande salle du Conservatoire. Sur la scène, le décor d'une chambre à coucher. Sur un matelas posé à même le sol, recouvert de draps blancs à carreaux bleus, deux comédiens, Philippe, un homme en pyjama noir (Eddy Letexier), et Ariane, une femme légèrement vêtue (Sandrine Blancke), se font face sous les yeux attentifs d'une salle bourrée de spectateurs. Derrière eux sont projeté les images d'un home movie tourné en Grèce. La caméra Aaton munie d'un objectif Zeiss capte la scène en un rapide travelling avant qui, au départ, englobe les spectateurs (en ombres chinoises) et au final, cadre les deux amants. Casque sur les oreilles, Frédéric Sojcher, le réalisateur, vit la scène tout en écoutant le son qu'enregistre Pierre Mertens. 

Le plan suivant cadre, en plan serré, les deux amants, les figurants dans la salle disparaissant. Sandrine Blancke, le visage ovale, le teint clair, de longues boucles de cheveux châtains avec des reflets roux tombant sur les épaules, écoute attentivement les directives de Frédéric Sojcher. Le regard songeur elle pivote sur ses talons, traverse la salle pour aller s'asseoir sur le lit aux draps défaits en se passant la main dans les cheveux tandis que Michel Baudour, vêtu d'un blue jean délavé, d'une chemise jaune, avec une ceinture de même couleur a laquelle sont accrochés un GSM et un étui noir qui abrite une cellule/Spotmètre Pentax, règle les éclairages sur la scène.

 

Regarde-moi, le premier long métrage de Frédéric Sojcher, est un récit structuré à la façon des poupées russes. Un metteur en scène de théâtre (Jean-Paul Comart) construit une pièce en fonction des événements tragiques qu'a vécus son fils en Grèce. Pourra-t-il saisir les mobiles de celui-ci? La catharsis va-t-elle fonctionner?

 

Le film a démarré à Symi. Nous ne nous étendrons pas sur les évenements regrettables qui ont émaillé le tournage en Grèce de Regarde-moi. Eole s'est emballé, semble-t-il, comme souvent sur les îles. Nous rappellerons simplement cette évidence : le réalisateur est seul maître à bord. Il dirige un film car il l'a en tête dans ses moindres détails et vit avec lui jour et nuit, souvent durant des mois. Vouloir le remplacer - comme certains l'ont souhaité - au milieu du gué relève de la maladresse ou pire...

 

Ombres et Lumière 

"On a commencé le tournage en Grèce, dans la petite île de Symi, à côté de Rhodes dans le Dodécanèse où coexistent des éléments d'architecture grecque et italienne" nous explique le réalisateur de Fumeurs de charme. C'est un thriller romantique mais aussi un film sur l'ambivalence humaine. J'ai co-écrit le scénario avec Jean-Luc Goossens et Edouardo Manet m'a aidé pour les dialogues. Il était prévu que le début et la fin du film se passeraient à Bruxelles. Ce qui va se tourner maintenant se passera dans un théâtre. Un metteur en scène joué par Jean-Paul Comart cherche des comédiens pour jouer les rôles d'Ariane et Philippe puis il leur donne au fur et à mesure les éléments de l'intrigue. On va voir en parallèle les répétitions qui ont lieu à Bruxelles et l'histoire qui se déroule en Grèce avec d'autres personnages jouant Ariane et Philippe. La question se pose : les scènes qui se passent en Grèce sont-elles plus vraisemblables que les répétitions de théâtre à Bruxelles?
Il y a une mise en abyme de l'intrigue, un récit parallèle. On va se rendre compte que Jean-Paul Comart n'est pas seulement un metteur en scène qui veut créer une pièce mais qu'il a lui-même des implications avec ce qui s'est passé en Grèce et qu'il participe lui-même à l'intrigue. On verra pourquoi à la fin. Tous les meurtres seront filmés par un personnage avec une caméra 16mm qui sera le symbole de la vérité un peu comme dans Le Voyeur de Michael Powel. A-t-on besoin d'images pour connaître et reconstituer la vérité ?

 

En Grèce, il y a eu différents problèmes liés au mode de production adopté, lié à un acteur en particulier, Mathieu Carrière et à une partie de l'équipe qui n'a pas soutenu le réalisateur. Tout ne se passe pas toujours bien sur un plateau. Il y a souvent des problèmes d'ego. Il y a eu des conflits tellement romanesques que je songe à en faire un roman. La manière dont le film rebondit à Bruxelles dans une grande cohérence artistique et technique font que je pense que d'un malheur peut surgir un bonheur. Mon but est que le film tienne la route au-delà et indépendamment de tous ces problèmes."

 

Jean-Paul Comart

"J'ai joué dans les trois premiers courts métrages de Frédéric, poursuit Jean-Paul Comart, et là c'est le premier long qu'on fait ensemble. J'avais un rôle dans la première version du scénario, puis une autre option s'est dégagée et j'ai disparu. Ensuite les soucis du tournage en Grèce ont fait que le scénario a été recomposé d'une autre manière, ce qui est très bien car le propos en est magnifié. Je trouve que ça donne au film sa vraie dimension. Il aurait pu être linéaire alors que maintenant, il prend du relief. Frédéric m'a proposé le rôle du metteur en scène, personnage qui est devenu le pivot du film. L'aventure lui arrive par personne interposée puisqu'il est le père du jeune homme qui a vécu les événements dramatiques à Symi. C'est d'autant plus amusant de jouer le père qu'à l'origine, mon rôle était celui du fils. Le père est en quête de vérité, en quête de sens. Il tâche de comprendre l'aventure qui est arrivée à son fils.

 

Etant un dramaturge, j'ai écrit une pièce qui parle de ces événements sans le dire aux acteurs que j'engage, je veux qu'ils m'aident, en travaillant les rôles, à comprendre la tragédie. Par le biais de la fiction et des acteurs, je vais comprendre ce qui est arrivé dans la réalité, là-bas, en Grèce. Je travaille avec deux jeunes acteurs à qui je raconte l'histoire. On voit parfois la projection de scènes qui ont été tournées à Symi. Il y a donc des extraits de films que mon fils a tournés là-bas, qui sont projetés dans la pièce de théâtre. Il y a tout ce passage de la réalité à sa projection : la fiction dans la réalité et vice-versa. Ce que je trouve une idée forte et originale."

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