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Regards sur l'enfance aliénée

Publié le 15/09/2014 par Serge Meurant / Catégorie: Livre & Publication

La revue française Images documentaires consacre son dernier numéro (n° 80 – juillet 2014) aux regards portés par les cinéastes sur l’enfance aliénée. Dans son éditorial, Catherine Blangonnet-Auer, qui dirige cette excellente revue entièrement dédiée au cinéma documentaire, écrit en préambule : « Il y a une grande violence pour le spectateur de cinéma à être mis en face de la folie des enfants et donc une grande responsabilité des cinéastes à fabriquer des images avec leur souffrance. 

Autour du film de Mariane Otero, À Ciel ouvert, sorti à la fin de l’année dernière, nous avons réuni quelques films sur les enfants et les adolescents, qui se situent à la croisée de deux pratiques, celle de la psychanalyse et celle du cinéma documentaire, de ces films qui nous habitent et nous éclairent ».

Un article de Linda De Zitter, psychanalyste, revisite Le moindre geste (1), ce film d’une absolue singularité, réalisé en 1971, par Fernand Deligny, au sein de la petite communauté qu’il avait créée à Monoblet, dans les Cévennes, pour accueillir des adolescents caractériels, psychotiques et délinquants, considérés comme irrécupérables. Au départ, il ne s’agissait ni d’une thérapie, ni à proprement parler d’un projet de film – documentaire ou fiction- mais d’une aventure commune menée par ces adolescents et par l’équipe qui les prenait en charge. Un jeune psychotique « joue » le personnage central d’une fable inventée par Deligny. « Le moindre geste nous fait pénétrer, écrit l’auteure, dans un univers d’une altérité qui se décline comme impossible, irréductible. On nous donne à voir, non à comprendre », l’énigme que constitue la psychose.

Seuls d’Olivier Smolders et Thierry Knauff possède une même intensité lorsqu’il nous laisse face à des enfants autistes, face à leurs balancements saccadés, à ces vies opaques à elles-mêmes, jusqu’à ce que nous puissions, non pas comprendre, mais accepter, être avec eux et, par là, nous interroger sur nous-mêmes. La douceur du regard des cinéastes s’oppose à la violence des gestes filmés. Cette douceur qui permet d’accueillir l’autre tel qu’il est.

Un entretien avec Olivier Smolders par Jan Peeters, en 2011, dans le cadre du festival Art cinéma OFFoff à Gand, éclaire le lecteur sur la manière et les circonstances dont le court métrage fut conçu et réalisé. Ce film divisa les spectateurs par l’absence de tout discours sur une réalité profondément dérangeante.

Un bel article de Catherine Blangonnet-Auer est consacré au documentaire de Marianne Otero À ciel ouvert. La démarche de la cinéaste participe d’une même approche que celle des deux films précédents. Il s’agit pour elle d’appréhender une autre manière d’être et de voir le monde, de se confronter à une altérité contre laquelle la pensée semble devoir buter. Et cela sans céder en rien à une fascination qui renverrait les fous, les psychotiques, à leur irréductible différence.

L’inscription du réalisateur ou de la réalisatrice dans le champ, la mise en jeu du corps du filmeur dans l’image, font l’objet d’intéressantes comparaisons entre les films de Marianne Otero et de Jean-Louis Comolli, Chemins d’enfance. (2012)

Une découverte enfin, celle du film, méconnu en France, Warrendale (1967), du réalisateur canadien Allan King. Il est un des fondateurs du cinéma direct au sein de l’ONF montréalais.

On y voit à l’œuvre une thérapie qui consiste à « border » les corps, les immobiliser dans les bras solides des soignants, afin de contenir physiquement, les émotions trop fortes des psychotiques, lors de leurs crises.

L’ensemble, très riche, des entretiens et des analyses de ce numéro d’Images documentaires se caractérise par une grande cohérence d’approche des enfants psychotiques par le cinéma.


Adresse de contact : imagesdocumentaires@gmail.com

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