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Rencontre avec Alexandre Gilmet, sélectionné à la Cinéfondation de Cannes

Publié le 02/06/2016 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Fraîchement diplômé de l'INSAS, Alexandre Gilmet a de quoi être fier : le jeune réalisateur liégeois voit son film de fin d'études, Poubelle, dans la sélection de la Cinéfondation au 69e Festival de Cannes qui s'est tenu du 11 au 22 mai dernier. Son film a été choisi parmi 2300 courts-métrages issus des quatre coins du monde et concourt pour l'un des trois prix de cette catégorie décerné par un jury présidé par Noami Kawase.

La Cinéfondation, créée en 1998 par Gilles Jacob, s'atèle à la recherche de nouveaux talents. Elle centre ses activités autour de la Sélection, de la Résidence de quatre mois à Paris (dont bénéficient une douzaine de jeunes cinéastes étrangers pour écrire le scénario de leur premier ou deuxième long-métrage), de l'Atelier (une sélection annuelle d'une quinzaine de projets de longs-métrages dont les réalisateurs sont invités à Cannes pour rencontrer des professionnels et les aider à compléter le financement de leur projet).
Dans Poubelle, Alexandre Gilmet raconte l'histoire de Georges (Renaud Ruten), un éboueur en colère qui défonce, à coups-de-poing, la porte de la villa d'un gros bourge (Laurent Van Wetter), qui vient de blesser son collègue avec une poubelle remplie d'objets tranchants. Sauf que le gros bourge est en chaise roulante.

 

Cinergie : Est-ce que le fait d'être sélectionné constitue pour toi une occasion de rencontrer d'autres producteurs ?
Alexandre Gilmet : Oui, le fait d'être sélectionné par Cinéfondation va conduire à des rencontres avec des producteurs qui ne nous auraient peut-être pas écoutés avant. Pour moi, c'est le plus important : pouvoir rencontrer des gens avec cette étiquette Cinéfondation qui est assez prestigieuse. Déjà après l'annonce de la sélection officielle, j'avais déjà reçu pas mal de contacts. C'est un bon début. J'imagine que sur place, je pourrai rencontrer des professionnels du cinéma.

 

C. : Tu pars à Cannes avec un projet de long ?
A.G. : Ce n'est pas obligatoire puisque c'est une compétition de courts-métrages, peu importe les projets qu'on a en cours ou non. J'avais commencé à travailler sur un projet de long-métrage qui se passe en Pologne. Malheureusement, les producteurs polonais ne veulent pas vraiment de ce projet car je suis belge et non polonais et les producteurs belges n'en veulent pas car tout se passe en Pologne. Mais cela fait quelques semaines que je travaille sur un nouveau projet, court ou long je ne sais pas encore, qui se déroulera en Belgique.

 

C. : Est-ce que le fait d'avoir été sélectionné à Cinéfondation t'a donné de nouvelles perspectives ?
A.G. : Je sais que j'ai été sélectionné depuis fin janvier mais je ne pouvais le dire à personne. Et ça m'a clairement donné un coup de boost. J'étais en train d'écrire mon long-métrage et la boite de production polonaise avec qui je travaillais était en train de se rendre compte que ça allait être compliqué, donc la bonne nouvelle tombait à pic. Le deuxième coup de boost est arrivé avec l'annonce officielle de la sélection. Je ne me rendais pas compte que j'allais avoir autant de contacts tant en Belgique qu'en France. Cela m'a donné envie d'écrire un projet qui se passe ici en Belgique. Il faut que j'en profite car cela ne va pas durer éternellement. C'est vraiment un luxe et je m'en rends compte car j'ai déjà connu l'inverse : aller frapper aux portes. Ce projet n'est pas vraiment avorté, je l'ai plutôt mis entre parenthèses car j'ai des opportunités ici en Belgique que je n'ai pas envie de laisser passer. Je vais revenir sur ce projet car il m'anime. Il se situe dans la classe ouvrière, je ne parle pas des ouvriers directement mais du milieu hooligan en Pologne. Ce milieu est très différent du monde des hooligan en Belgique : il y a plus de violence, c'est comme une guerre des gangs, quartiers contre quartiers. Et c'est lié au monde populaire car tous les mecs qui font ça sont vraiment très pauvres. Ce qui me plaît avec ce milieu, c'est qu'on peut raconter des choses simples, en apparence mais lourdes de significations.

 

C. : Tu sors à peine des études, quand as-tu dû frapper aux portes ?
A. G. : J'étais déjà en 4e à l'INSAS et je commençais déjà à chercher à gauche et à droite car j'avais peur de terminer et qu'il ne se passe rien. Dès que j'ai eu fini l'INSAS en juin 2015, j'ai eu l'opportunité de partir en Pologne pour me lancer dans le projet du long-métrage.

 

Alexandre Gilmet

 

C. : Est-ce que ce sont tes origines polonaises ou tes origines liégeoises, en référence aux frères Dardenne, qui font en sorte que tu mettes en scène des ouvriers dans tes films ?
A. G. : C'est un milieu que j'aime, que j'ai côtoyé, dont j'ai envie de parler. Au cinéma, j'aime bien ce qui est sale, ce qui est dans la poussière, en tout cas dans les films que je veux faire. Je ne pense pas que ce soit une question d'origine, c'est juste quelque chose qui m'attire personnellement.
Poubelle est né car j'ai travaillé deux mois comme éboueur. Je savais ce que c'était concrètement et j'avais envie de parler de ce milieu-là. En plus, j'ai l'impression qu'il y a plus de choses à raconter dans ce genre de milieu, des choses plus authentiques, plus vraies avec parfois des problèmes plus clairs, plus établis, plus identifiés.

 

C. : Quel lien entretiens-tu avec la Pologne ? Pourquoi as-tu voulu tourner là-bas ? Tu fais partie de la 4e génération d’immigration, ce sont tes arrière-grands-parents qui sont partis de Pologne pour la Belgique.
A. G. : Le lien avec la Pologne est très mystérieux. Mes origines sont trop lointaines, je n'ai vraiment pas grandi avec une culture polonaise. C'est dans le cadre des Regards Croisés qu'organise l'INSAS que je suis parti en Pologne. J'ai toujours su que je voulais aller en Pologne et une fois sur place, j'ai tout de suite vu que j'avais des choses à raconter. Il y a un parallèle qui s'est directement créé entre Liège, la ville où j'ai grandi, et Lodz, la ville de Pologne où j'étais, c'est une ville qui a aussi un passé industriel fort mais complètement à l'abandon. Il y a ce rapport au temps, on est dans les restes de quelque chose qui n'est plus, mais on vit encore dedans.

 

Poubelle d'Alexandre Gilmet

 

C. : Dans Poubelle, tu es franchement politiquement incorrect.
A.G. : J'aime bien jouer avec les codes moraux. Je ne voulais pas simplement être à fond avec l'ouvrier et contre le bourgeois. Je voulais créer une petite tension en disant que l'ouvrier n'était pas tout rose non plus. Ma première version du scénario était encore plus politiquement incorrecte, j'ai dû un peu adoucir les choses.

 

C. : Comment s'est passée la direction d'acteurs ?
A.G. :
J'ai Renaud Ruten et Laurent Van Wetter, les deux personnages principaux qui fonctionnent de manière tout à fait différente. Ce n'était pas facile mais hyper intéressant. Renaud Ruten était plus impulsif, énervé sur le tournage car il faisait froid, il en avait marre. C'était une boule d'énergie à gérer. Et Laurent était plus pragmatique, plus posé. Il voulait comprendre et faire plusieurs prises. Je suis vraiment content d'avoir pu travailler avec ces deux acteurs pour mon film de fin d'études.

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