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Chloé Alliez, lauréate du Prix Cinergie à Anima 2016

Publié le 12/04/2016 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Lorsqu'elle était encore étudiante à la Cambre en cinéma d'animation, Chloé Alliez réalisait Toutes Nuancées, un stop-motion qui fait la part belle aux stéréotypes en donnant une vision subtile des femmes. Aujourd'hui, Chloé Alliez a fini ses études et son court-métrage a reçu le prix Cinergie à Anima. Nous l'avons rencontrée afin qu'elle nous parle de son rapport à l'animation et de sa passion pour les objets récupérés auxquels elle aime donner une seconde vie.

Cinergie : Tu es née à Biarritz, puis à un certain moment tu as décidé de faire du cinéma d'animation. Avais-tu déjà commencé en France avant de venir ici?
Chloé Alliez : Je viens du Pays Basque, j'ai fait une prépa artistique à Bayonne mais je ne savais pas encore trop ce que j'avais envie de faire. Un de mes professeurs m'a orienté vers les maquettes et je me suis lancée là dedans pour le concours des arts déco. Ça avait bien marché, du coup j'ai tenté ma chance en Belgique. J'ai d'abord fait St-Luc en illustration où j'avais eu un exercice sur des objets de récupération et après on m'a poussée vers l'animation.

 

C : On a vu en toi la chineuse qui aime récupérer les choses qui traînent, leur donner une seconde vie mais aussi celle qui a envie de raconter des histoires.
C.A : Les histoires ça a toujours été plus délicat pour moi, à part pour « Toutes Nuancées » où là j'avais vraiment envie de raconter ça et profiter d'être aux études pour faire ce film mais sinon je m'amuse beaucoup plus dans la création de personnages à travers les objets récupérés comme les prises d'interrupteurs, en leur donnant une nouvelle vie.

 

C : Raconte nous un peu l'histoire des interrupteurs, tu en avais trop dans ta cave ou dans ton grenier?
C.A : J'ai une armoire immense avec des objets que j'ai trouvés. J'avais fait un film il y a trois ans qui s'appelle « La tâche » et en ouvrant cette armoire, j'étais tombée sur des interrupteurs. Je me suis souvenue de ça quand j'ai voulu faire « Toutes nuancées », j'ai donc repris cette idée mais en un peu plus élaborée.

 

C : D'où vient l'histoire que tu voulais raconter?
C.A : Je viens d'une famille où les femmes sont assez marquantes, elles ont toutes eu une histoire un peu compliquée. Ce sont des femmes de caractère, même par leur silence elles dégagent une force qui m'a toujours impressionnée et je voulais parler de ces femmes qui sont beaucoup plus complexes qu'elles n'y paraissent. J'avais aussi envie de parler de l'homosexualité comme si c'était banalisé, pouvoir dire que j'ai les mêmes raisons que les hommes d'aimer les femmes. J'avais envie de profiter de pouvoir faire un film dans le confort de la vie étudiante pour parler de ça.

 

C : Tu pousses à la dérision un propos très machiste dans ce film.
C.A : C'est effectivement une voix-off qui énumère des raisons assez stéréotypées d'aimer les femmes : parce qu'elles sont belles, elles ont la peau douce... J'avais envie d'amener une image qui contrebalance ce propos stéréotypé, une vision plus réaliste et plus subtile de la femme dans toutes ses nuances, d'où le titre « Toutes nuancées. »

 

C : Est-ce qu'à un certain moment tu as pensé faire toi-même la voix-off?
C.A : La voix off ça a été un gros souci parce qu'au début je voulais que le spectateur pense que c'était la voix d'un homme et qu'à la fin il découvre qu'il s'agissait en fait des propos d'une femme. Je voulais vraiment qu'il y ait cette ambiguïté, cette surprise à la fin. Ça a été super difficile de trouver une voix qui était capable de semer le doute donc j'ai essayé d'enregistrer la voix d'une vieille femme puis d'une femme qui fume beaucoup...Ça me tenait à cœur que ce soit une femme mais dès que le jeu était un peu poussé dans les extrêmes on entendait tout de suite que c'était un timbre féminin. J'ai donc dû me rabattre sur un homme qui avait une voix efféminée et ce fût finalement Pierre-Paul Constant.

 

C : Tu n'as pas essayé d'utiliser des modulateurs de voix?
C.A : J'ai essayé mais ça faisait un peu extraterrestre. Ça aurait pu fonctionner avec beaucoup d'argent et un très bon logiciel mais le temps et l'argent nous manquaient, donc on a pris un homme.

 

C : C'est un stop motion, ça a donc du demander beaucoup de travail
C.A : Sur ce film, l'animation est assez basique donc je me disais que ça irait assez vite mais ce n'était pas si facile. Une scène nous prenait parfois deux semaines mais ce qui a pris beaucoup de temps ça a été la création des marionnettes.

 

C : Ça tu as fait ça toute seule?
C.A : Oui globalement j'étais seule mais Violette Delvaux m'a beaucoup aidée. C'était beaucoup de travail car on a mis toutes les articulations et la colle puis il fallait recouvrir tout le personnage de tissu, faire les yeux, etc. Recommencer une figurine à chaque fois en partant juste d'un fil c'était assez désespérant mais en même temps super marrant.

 

C : Les figurines sont restées entières ou tu as dû en faire plusieurs avec un même personnage?
C.A : Elles sont restées entières. Un peu comme une collectionneuse, je n'arrivais pas trop à détruire tous les vêtements, ça me prenait tellement de temps à chaque fois que j'avais vraiment de la peine à reprendre le squelette d'une figurine pré-existante.

 

C : Il y avait des ratés dans les interrupteurs? Tu as dû en recommencer?
C.A : Non ce sont des étapes qui prennent tellement de temps que c'était difficilement ratable. Je fais rarement de tests, je travaille de façon un peu brutale, je vais directement là où j'ai envie d'aller donc si le personnage a des yeux un peu trop serrés je me dis que c'est comme ça que ça doit être.

 

C : Tu es arrivée à l'animation un peu par hasard, vers quoi te diriges-tu maintenant que tes études sont terminées?
C.A : Je ne sais pas trop. J'aimerais bien travailler sur d'autres projets parce qu'à la Cambre on a une chance énorme d'avoir un matériel considérable et une équipe d'enseignants pour nous tenir la main et réaliser notre film comme on l'entend mais la sortie de l'école c'est moins idyllique que ça. Du coup j'aimerais bien voir comment on gère une équipe plus grande, comment on anime différemment et puis plus tard pouvoir faire d'autres films.

 

C : Tu maîtrises plusieurs techniques?
C.A : Non je ne sais faire que de la stop motion.

 

C : Et ça ne t'intéresse pas?
C.A : Si, j'ai quand même fait plusieurs études artistiques et j'ai essayé tout ce temps de me mettre au dessin ou à d'autres techniques mais il n'y a que la stop motion qui fonctionne pour moi. Ce n'est pas très grave mais c'est vrai que les coûts de production pour un film en stop motion sont beaucoup plus importants que pour un film en 2D. Si j'ai envie de créer un film maintenant, ça va être plus difficile à mettre en place.

 

C : Tu n'as pas eu envie d'utiliser le numérique, de recomposer le film en 3D par exemple à travers un programme?
C.A : Non la 3D ne m'intéresse pas. J'aime énormément la partie création, trouver des astuces liées aux matériaux et les assembler. Je trouve la 3D assez froide alors que là j'ai l'impression d'avoir encore 10 ans et de jouer aux Lego, il y a un côté direct et sensitif avec ce qu'on anime.

 

C : Tu as fait combien d'années à la Cambre?
C.A : 4 ans car j'ai pu rentrer directement en deuxième année comme j'avais déjà fait des études à St-Luc avant et que j'avais déjà des notions d'animation.

 

C : Qu'est-ce que tes études t'ont apporté, est-ce que maintenant tu as l'impression de mieux maîtriser le récit et l'histoire?
C.A : Je peux raconter des histoires mais j'ai la faiblesse d'avoir une façon de filmer très frontale. Ça c'est un peu le challenge que j'ai pour les années futures : essayer de faire la même chose mais avec des points de vue plus cinématographiques, un peu moins théâtraux.

 

C : Tu t'es rendue compte que tu filmais de manière frontale ou on te l'a fait remarquer?
C.A : On me l'a peut-être dit deux trois fois mais jamais comme une critique, plutôt comme un constat. Je m'en rends compte aussi quand je regarde tout ce qui se fait autour de moi.

 

C : Tu as rencontré des gens pendant tes études avec qui tu as encore envie de travailler?
C.A : Oui j'ai rencontré des gens avec qui j'aimerais bien travailler mais il y a très peu de personnes qui ne font que de la stop motion ou qui s'orientent vers ça. Je suis assez fidèle à mes ingénieurs du son : Benjamin Sion et Jérémie Tardif qui ont fait la musique, et Lancelot Hervé et Léo Guillaume qui se sont occupés de toute la partie sonore. C'étaient de super chouettes collaborations. Pour l'animation, il y a peu de personnes qui m'ont aidée directement à part Violette Delvaux.

 

C : Tu parles de musique, comment s'est passé la collaboration avec le compositeur?
C.A : Je lui ai dit plus ou moins ce que j'imaginais mais je ne m'y connais pas beaucoup en musique. Je n'ai ni le bagage ni les références nécessaires pour vraiment aiguiller le compositeur donc j'ai donné à peu près un univers. Par exemple, pour la première musique je voulais quelque chose d'assez kitch qui faisait un peu jingle des années 80.

 

C : Tu as déjà inscrit ce film à des festivals à part Anima?
C.A : Oui il tourne bien, il a fait plusieurs festivals. Ça ne marche pas tellement dans les festivals que j'aurais imaginé comme les festivals pour femmes ou Elles tournent mais il marche dans d'autres endroits plus incongrus.

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