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Fantine Harduin "Happy end" de Michael Haneke

Publié le 10/10/2017 par Fred Arends / Catégorie: Entrevue

Happy Girl

À 12 ans, la filmographie de Fantine Harduin est déjà bien fournie. Révélée lors de l'émission Belgium's Got Talent avec un numéro de « télépathie » joué avec son père, Fantine Harduin naît au cinéma à l'âge de 8 ans dans le court-métrage Taram Tarambula de Maria Castillejo Carmen (2013). Depuis, elle enchaîne les tournages, tourne avec Marc Zinga dans les Amoureuses de Catherine Cosme (2014), Cécile de France dans le Voyage de Fanny de Lola Doillon (2015) ou encore Michel Blanc dans Les Nouvelles Aventures d'Aladin de Arthur Benzaquem (2015). Elle sera aux côtés de Romain Duris pour Dans la brume et enchaînera avec le prochain film de Philippe Faucon, ainsi que la série belge Ennemi Public. Nous la rencontrons pour nous parler de son rôle difficile dans Happy End de Michael Haneke, où elle interprète une fille ambiguë plongée dans une famille au bord du gouffre.

Cinergie : Dans Happy End de Michael Haneke, tu interprètes le personnage de Eve Laurent. Comment ce rôle est venu à toi ?
Fantine Harduin : Au départ, mon agent m’a proposé de faire ce casting. À l’époque, ils recherchaient une fille de quinze ans et moi j’en avais dix, donc c’était compliqué. J’ai d’abord envoyé une photo et une vidéo où je me présentais. La directrice de casting était quand même intéressée et elle m’a demandé de venir à Paris. J’y suis allée, je n’ai pas rencontré directement Michael (Haneke) et la directrice de casting m’a dit qu’elle avait beaucoup aimé, qu’elle me voyait bien dans d’autres rôles mais que j’étais trop petite pour celui-ci. Quelques semaines après, elle me rappelle. Entre temps, elle avait présenté mon essai vidéo à Michael qui a beaucoup aimé et qui a voulu me rencontrer. La première fois a été très impressionnante mais il était très gentil, il faisait des blagues. Après, j’ai encore dû faire d’autres castings puis ça a encore été flou, surtout par rapport à ma taille et à mon âge. On me disait « vous êtes prise », puis « en fait, non » et finalement, j’ai été choisie. J’étais très contente évidemment.

C. : Et sais-tu pourquoi ils t’ont choisie ? Ce qui les intéressait ?
F. H. : Les réalisateurs ne disent pas vraiment ce genre de choses… Mais un jour Mathieu (Kassovitz) m’a confié que Michael lui avait dit qu’en me voyant, il s’est dit qu’il ne fallait pas une fille de quinze ans mais une fille plus petite car du coup, c’était encore pire.

Happy EndC. : Comment choisis-tu tes rôles, en famille, avec ton papa, ou seulement avec ton agent ? Car c’est quand même un rôle difficile…
F. H. : Je n’ai pas encore fait de rôles marrants jusqu’à présent, à part un tout petit rôle dans Les Nouvelles Aventures d’Aladin, sinon je fais des films sur la guerre, pas très rigolos… Je choisis surtout avec mon père et mon agent vu que moi, j’aurais tendance à directement dire oui sans vraiment réfléchir. Généralement, on dit oui sauf si le scénario est vraiment trop bizarre. Michael voulait vraiment garder le secret sur son film. Quand j’ai pu lire le scénario, je l’ai beaucoup aimé même s’il y avait des éléments que je ne comprenais pas vu mon âge. Mon père m’a expliqué certaines choses et m’a demandé si je me sentais capable de faire un film aussi dur. J’ai dit oui bien sûr car je sais bien que c’est du cinéma que ça ne me touche pas spécialement. Donc ça s’est bien passé.

C. : Comment as-tu abordé ce personnage qui évolue dans un univers étouffant ? As-tu une méthode ou fonctionnes-tu plus spontanément ?
F. H. : Je n’ai pas vraiment de méthode, mais quand je joue pour un réalisateur, je regarde toujours au moins un de ses films avant afin de voir sa façon de faire. Et donc j’ai regardé Amour que j’ai beaucoup aimé et notamment la prestation de Jean-Louis (Trintignant) mais je me suis quand même demandé comment j’allais pouvoir jouer comme ça ! Je me suis entraînée en lisant le scénario, en essayant de comprendre ce qui se passait dans la tête de cette fille. Haneke m’a également beaucoup expliqué. Le fait de savoir comment elle vivait les choses m’a vraiment aidé à pouvoir la jouer. Michael est vraiment pointilleux là-dessus ; il donne le maximum de détails sur les personnages, sur leur déplacement, sur la place des objets. Même s’il nous laisse un espace de liberté, tout est très cadré.

Happy End de Michael HanekeC. : Il n’y aucun personnage vraiment sympathique dans cette famille…
F. H. : Pour moi cette famille est représentative par rapport à la vie d’aujourd’hui. Tout le monde voit ses problèmes et ne voit pas ceux des autres. Tout le monde ne pense qu’à sa gueule et tant pis pour les autres… Mais c’est vrai que c’est un rôle très très dur.

C. : Comment s’est passé le tournage avec ce casting très impressionnant et un réalisateur très précis ? Y a-t-il eu des répétitions ?
F. H.  : Il n’y a pas eu de répétitions avec les autres comédiens. Haneke avait été très précis sur le fait de bien me préparer. L’arrivée sur le plateau était très impressionnant car, même si j’en n'ai pas l’air, je suis une fille très timide et de me retrouver avec tous ses grandes personnalités du cinéma. Heureusement, ils m’ont mis très à l’aise, ils ne m’ont pas pris de haut, et étaient très gentils, ce qui m’a aussi beaucoup aidé. Mais Mathieu Kassovitz m’a dit qu’après un tournage avec Haneke, tous les autres tournages allaient être trop faciles.

C. : Il est si difficile ?
F. H. : En fait, Haneke a son film dans la tête et il veut que nous reproduisions exactement ce qu’il a en tête, avec tous les détails. Nous devons essayer de comprendre cela et de le reproduire par notre jeu, et c’est très compliqué. Par exemple, dans la scène de l’hôpital, il voulait une chambre avec 6 lits comme il y avait avant. C’est interdit aujourd’hui mais dans sa tête, c’était une chambre avec six lits. Et dans les vrais hôpitaux, il n’y avait pas de chambre assez grande pour mettre six lits… Du coup, ils ont reconstruit une chambre d’hôpital en studio pour pouvoir mettre six lits alors que la scène ne dure que quelques secondes. Ça montre l’exigence de Haneke.

C. : La relation entre ton personnage et celui de Jean-Louis Trintignant est très intéressante et très complice. Il se passe quelque chose d’électrique. Trintignant semble être un acteur très généreux. J’aime beaucoup ce comédien et je voulais savoir comment s’est passé ta relation avec lui qui n’a pas non plus un rôle facile ?
F. H.  : Oui c’est vrai. Trintignant est un ange, il est vraiment très généreux. Il est super gentil cet homme. Je me rappelle la première fois que l’ai rencontré, c’était dans le hall de l’hôtel, je conduisais sa chaise roulante, c’était très marrant. Il m’a dit : « Tu verras, je suis le pire acteur d’Europe ». Dans le film, nos deux personnages sont très proches car dans cette famille, personne ne communique vraiment et nous sommes les seuls qui se disent réellement leur problème.

Happy End de Michael HanekeC. : Je souhaitais aussi avoir ton avis sur ton image à l’écran. Haneke travaille beaucoup sur les écrans, les reflets, les miroirs, les filtres et particulièrement dans Happy End, mais comment toi tu te perçois à l’écran, à un âge où le corps se transforme aussi beaucoup.
F. H. : Déjà, j'avais hâte de voir le film, car tu travailles sur un projet pendant un temps et tu dois attendre presque un an avant de voir le résultat. La première fois que j'ai vu le film, je me suis beaucoup regardée. J'ai toujours l'impression que je joue faux dans mes films et mon père me dit l'inverse. Et quand les gens me font des compliments, ça me touche et c'est aussi bizarre car quand je m'entends au cinéma, j'ai cette sensation d'être fausse. Et c'est aussi stressant de savoir que beaucoup de personnes vont voir le film.

C. : Dont tes amis ?
F. H. : Oui et d'ailleurs je leur ai dit qu'ils pouvaient aller voir le film mais que ce n'était pas du tout un film pour eux, ni de leur âge ! Et d'ailleurs mon frère qui 10 ans, à la fin du film était trop content que ce soit fini !