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Rencontre avec Gwenaël Breës, du Nova

Publié le 07/10/2009 par Anne Feuillère / Catégorie: Dossier

Le Nova distribue dans sa salle ce mois-ci deux très beaux films d’auteurs, Dernier Maquis de Rabah Ameur-Zaïmèche et Ce cher mois d’août de Miguel Gomez. Ce court-circuit qui vient geler la longue course producteur-(vendeur)-distributeur-salles de cinéma est plutôt réjouissant. Mais en voulant en savoir plus auprès de Gwenaël Breës, qui porte cette sortie, on s’est rendu compte que tout n’était pas si rose. A le suivre, pas assez de distributeurs, trop de films, trop de bâtons dans les roues, et pas assez de journalistes sur le qui vive. Démontage – ou déminage – pas à pas d’un système qui ne va pas de soi, loin de là.

On ne présente plus Outre-Rhin… ah non pardon, outre-Ardennes, outres-Flandres et outre-Lille, Strasbourg, Metz et Paris… le Nova. Concerts d’éloges, billets alléchés, articles admiratifs, les cinéphiles se pressent, et notamment depuis la Gaulle. Depuis plus d’une dizaine d’années maintenant, la salle de cinéma bruxelloise organise régulièrement des programmations, de vraies ballades exotiques hors de tous les sentiers battus du cinéma, cueillettes de créatures innovantes, étonnantes, déglinguées, transgressives. Fait à part, et c’est sans doute pour cela aussi que le Nova est une exception, cette salle de cinéma est associative, autrement dit, programmée et tenue par une quinzaine de personnes au noyau et quelques centaines d’autres aux nombreux tournants.

Le dernier marquisDonc, avant les Pink Screens (du 22 au au 31 octobre), et "Trou de mémoire", une programmation sur les prisons (du 19 novembre au 13 décembre), ce sont cette fois deux beaux, très beaux films d’auteurs qui sont à l’affiche jusqu’au 11 octobre : le très sec, taciturne, minéral brûlant-brulot du français Rabah Ameur-Zaïmèche, Dernier maquis, et le poétique baladeur tranquillement sensuel et subversif Ce cher mois d’août du portugais Miguel Gomez - que d’aucune plume émérite du Monde compare à Rozier, si si si ! Présentés tous deux l’an passé à la Quinzaine des Réalisateurs, ils ont déchaînés les critiques enthousiastes - Dernier maquis signalé par le même critique émérite comme un très grand film politique. On s’est étonné que ces deux bijoux du cinéma d’auteur n’aient pas trouvé en Belgique de distributeur « classique ». En voulant comprendre le travail du Nova, on a filé interroger Gwenaël Breës, rencontré au détour d’un collage d’affiche au fin fond des Marolles.

Cinergie : Comment vous choisissez les films que vous mettez en sortie ?
Gwenaël Brees :
En général, il s’agit de films que l’un d’entre nous a vu en festival, qu’on nous envoie ou dont on entend parler. Ces deux là, je les avais vus aux Etats généraux du documentaire de Lussas (même si ce ne sont pas des documentaires), en Ardèche. J’ai demandé des DVD aux producteurs et je les ai fait circuler dans l’équipe, une dizaine, une quinzaine de personnes à peu près. Une fois qu’on les a tous vu, il nous faut tous tomber d’accord. Trouver un consensus dans un collectif sur un seul film n’est pas évident, en tous cas, moins facile que sur une programmation où il y a bien plus de films et où c’est la thématique qui doit faire globalement sens pour nous. Sur un seul film, il faut qu’on se dise tous que oui, ça vaut le coup.

C. : Concrètement, quel est le circuit que vous empruntez pour distribuer des films ?
G.B. :
On contacte les ayants droits. Quand on trouve un accord avec eux, on s’occupe de chercher une copie, en général en France pour la question du sous-titrage. Il faut attendre souvent que les ayants droits déchantent un peu, que le film ait fini sa carrière dans les festivals et n'ait pas trouvé de distributeur. Ensuite, on s’occupe de sortir le film et on paie les droits pour une durée précise au Nova. Quand ça marche, si d’autres salles sont intéressées, on peut faire l’interface entre elles et l’ayant droit. C’est ce qui s’était passé pour Pas vu pas pris de Pierre Carles et L’incroyable lune de miel de Bill Plympton qu’on a fait circuler à Mons, Namur, Liège et Charleroi.

C. : Combien vous avez eu de films en distribution au Nova depuis le début ?
G.B. :
On sort maximum un ou deux films par an. On en a sorti une dizaine depuis le début du Nova (par exemple La Sicilia des Straub & Huillet, Careful de Guy Maddin, Weather Unerground de Sam Green, etc.). Notre travail est essentiellement celui de concevoir des programmations thématiques.

C. : Pourquoi pas plus ? Vous pourriez envisager de sortir des films via des distributeurs ?
G.B. :
Parce qu’il y a beaucoup de contraintes. Et que ça n’est pas très gratifiant. Avec les programmations thématiques, on a la possibilité de faire un travail de fond et de recherche, assez stimulant, en lien notamment avec des associations, c’est un travail beaucoup plus motivant que la sortie d’un film. Sortir des films distribués en Belgique, ça n’est vraiment pas notre but. Si on a créé le Nova, c’est pour faire voir des films auxquels les spectateurs n’auraient pas accès autrement. Nous ne voulons pas nous mettre en concurrence avec les autres salles d’art et essais de Bruxelles. Il y a assez de films qui  n’ont pas de visibilité en salle. Si un superbe film sort dans le réseau "classique", nous, on est contents. C’est quand ils ne sont pas distribués qu’on monte au créneau.
Au début, on espérait que l’existence du Nova et de son public puisse permettre à des distributeurs belges de faire des choix plus aventureux. Nous l’avons expérimenté avec l'un ou l'autre distributeur (notamment Progrès Films, qui a maintenant disparu), mais cela n’a pas fonctionné sur le long terme. Cela ne semble pas intéresser les distributeurs.
Par exemple, il y a quelques années nous sommes allés voir un distributeur qui avait acheté un film que nous aimions beaucoup et nous lui avons proposé de le sortir au Nova. On lui garantissait plusieurs semaines à l'affiche. Il nous a dit non, qu’il allait le sortir très vite à l'UGC ou ailleurs, et puis il ne l’a jamais fait. Le film n'est jamais sorti nulle part. Il y a donc aussi cette catégorie de distributeurs qui achètent des films mais ne les sortent pas. Certains les achètent par lots, alors qu'ils ne sont intéressés qu'à l'un ou l'autre titre du "package". Et quand ils détiennent les droits, les films sont bloqués pour le territoire belge puisque tout dépend d’eux. C’est la triste loi du marché.

Ce cher mois d'aoutLe Nova pourrait développer davantage l'aspect de la distribution mais cela demande un tout autre travail que celui que nous faisons, faire vivre une salle et y proposer des programmations thématiques. On y pense souvent, mais c'est une question de temps, d'énergies…
Enfin, c’est assez compliqué de mettre le public au courant qu’on sort des films. Tout le travail de promotion habituellement dévoué au distributeur nous revient. Par exemple, pour Dernier maquis et Ce cher mois d’août on a fait des visions de presse, des affiches, on sort notre propre journal, on a notre site web… mais les journalistes ne suivent pas. C'est à peine si deux ou trois d'entre eux se déplacent aux visions de presse! Qu'on les recontacte et leur envoie des DVD de visionnement n'y change pas grand chose, rien ne garantit qu'ils prennent même la peine de regarder ces films. Je me souviens d'une sortie que nous avions faite avec Progrès Films aux tout débuts du Nova. Une émission cinéma de la RTBF, le service public, avait décidé de ne pas en parler « parce que c’est une sortie marginale. »

C. : Est-ce une histoire d’image ? Cette étiquette du Nova, comme un cinéma underground, un brin trop marginal ?
G.B. :
Mais avec ces deux films, on n’est tout de même pas dans le marginal, ni dans l’underground ! Ils étaient à la Quinzaine des Réalisateurs, ils ont eu une couverture presse super élogieuse et encore au moment de leurs sorties en France, il y a à peine quelques mois. Ce ne sont pas les films que la presse juge "marginaux" (elle ne les visionne même pas), c'est leur sortie. S'ils ne font pas l'objet d'une sortie nationale, d'emblée dans plusieurs salles du pays, la plupart des médias n'y portent même pas attention.
Même nos programmations thématiques trouvent plus d'écho dans la presse étrangère que dans les médias locaux. Nous sommes pourtant un cinéma qui fait un vrai travail de programmation et de recherche. Je trouve qu’il y a une vraie question critique qui se pose là, autour du choix que les journalistes font. Mais la presse cinématographique n’existe pas en Belgique. Toutes les semaines, les journalistes des médias généralistes doivent couvrir les films en sortie. C'est quasiment leur seul créneau pour parler de cinéma. Eux-mêmes se plaignent des "sorties obligatoires", des films pour lesquels ils savent des mois à l'avance qu'il leur faudra y consacrer des pages pleines. Alors ils vont à Los Angeles, font deux pages sur le tournage des 101 Dalmatiens, une longue interview de Glenn Close et une petite critique pour dire finalement « n’allez pas voir ce film ». Ca, c’est la réalité de la presse aujourd’hui en Belgique.
On a fait récemment une projection de films de Larry Jordan (un cinéaste d'animation américain, mythique, qui a notamment travaillé avec Orson Welles), en sa présence. En France, ça a fait évènement. Ici, rien. Pas une ligne, à l'exception d'un blog de cinéphile. On dirait que personne n’en a rien à foutre. Même dans certains agendas culturels, la séance n'était pas reprise. Pourquoi? Parce que la presse sous-traite aujourd’hui ses agendas à des sociétés commerciales pour qui un film n'existe que si c'est un long métrage qui se retrouve sur IMDB et qui est projeté chaque jour dans plusieurs salles. Tout ça, c’est un petit peu décourageant.

C. : Vous perdez de l’argent ?
G.B. :
Perdre de l’argent, c’est notre principe (rire) ! Mais cela dit, nous ne sommes pas une salle de cinéma classique, mais associative, subventionnée, qui fonctionne grâce à des bénévoles. Et puis nous ne faisons pas les choses dans l'optique qu’elles soient rentables. Mais sortir un film, ça nous coûte évidemment des sous. Quand une salle classique sort le film d’un distributeur, c’est lui qui encourt les risques financiers, fait tirer des copies, s’occupe de la presse et de la promotion. Nous, nous devons séparément louer les copies et payer les droits d'auteurs, puis payer le transport, l’assurance, et enfin faire toute la promotion. C'est beaucoup plus lourd à supporter.
D’autant que, dans le cas des programmations thématiques et donc de films qui ne sont pas tout nouveaux mais qui ont parfois quelques années d'âge, les droits des films sont de plus en plus concentrés chez quelques grosses compagnies, comme Hollywood Classics et StudioCanal. Leurs créneaux privilégiés sont la télévision et le DVD. Ils ont donc les droits des films… mais pas toujours les copies. Et les prix à payer pour une diffusion deviennent exhorbitants.

C. : Et pourquoi pas alors ne pas laisser les films plus longtemps à l’affiche ?
G.B. : Dernier maquis
et Ce cher mois d’août sont restés quatre semaines à l'affiche. A une autre période de l’année, on aurait pu leur donner six, voire huit semaines. Mais là, on est pris par le calendrier : le festival Pink Screens qui démarre fin octobre et les petites pauses qu'on s'oblige de faire entre deux programmations. Il ne faut pas oublier que l'équipe du Nova est bénévole, la question des énergies est capitale. Nous travaillons sur des rythmes différents. Et puis il y a toujours la question de la disponibilité des copies. Nous n'avons pas les moyens de tirer nos propres copies, nous utilisons donc des copies de l'étranger, qui sont elles aussi soumises à un calendrier.

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