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Rencontre avec Joachim Lafosse - de L'Economie du couple

Publié le 02/06/2016 par Fred Arends / Catégorie: Entrevue

Un an à peine après la sortie des Chevaliers Blancs, Joachim Lafosse vient de présenter L'Economie du couple à la Quinzaine des Réalisateurs au festival de Cannes.

Cinergie : Après l'ouverture que constituait Les Chevaliers blancs tant en termes d'espace qu'en en termes d'intrusion du politique dans l'histoire, avec L'Economie du couple, tu resserres l'espace mais le politique suit et est très présent, alors que ce n'était pas le cas dans tes films qui abordaientt également la famille.
Joachim Lafosse : Quelle est la dimension politique dans le film ? ça m'intéresse...

 

C. : La question d'une certaine lutte des classes, celle de l'argent qui traverse tout le film. D'un côté, cette femme qui a soi-disant de l'argent serait l'incarnation du capital et de l'autre côté, l'ouvrier.
J. L. : Bon, je n'ai pas du tout envie de faire des films plus politiques qu'avant. Mais il y a une dimension dans l'Economie du couple représentée par le discours de Boris. Il estime que son couple n'a pas été égalitaire et il amène une rhétorique qui est assez proche de la lutte des classes. Dans une crise de couple, le symptôme s'incarnant au travers de l'argent est quelque chose qui arrive fréquemment. Evidemment, la manière dont l'un ou l'autre va s'emparer et entrer dans une dialectique par rapport à ça, peut faire penser à une dimension politique mais il reste que ma priorité, c'était la seule, était de faire un film sur le couple. Et de dire que ce couple est le lieu d'où naît la famille, d'où naît de multiples possibilités. On dit souvent : «les bons comptes font les bons amis» mais les bons comptes font aussi le grandes histoires d'amour. Cela ne veut pas dire pour autant que des gens qui n'auraient pas les mêmes moyens, ne pourraient pas vivre ensemble. La mixité sociale est possible mais il faut être très vigilant, très généreux, très attentif lorsqu'on n'a pas les mêmes moyens. Et il faut arriver à reconnaître aussi ce qui n'est pas monétisé. Alors, là tu vas me dire que c'est un discours politique...

 

C. : A un moment donné la question posée est : « Qu'est-ce qu'être riche ? »
J. L. : Oui, c'est ce dont parle Boris, à savoir qu'être riche, ce n'est pas qu'avoir de l'argent. On peut aussi très bien être reconnu, pas pour l'argent qu'on amène dans le couple mais pour le travail qu'on y amène, le temps qu'on y investit, la manière dont on s'occupe des enfants. Et manifestement, Marie s'est beaucoup occupée des enfants et a fait plein de trucs toute seule, même si elle a l'argent. Il y a dans le discours de Boris, limite marxiste, un côté victimaire aussi...
J'espère en tout cas que les gens iront voir le film en couple et qu'il leur permettra de voir ce qui va ou ne va pas chez eux. Le cinéma nous permet de parler de nous sans dire que c'est nous.

 

Joachim Lafosse © Cinergie

 

C. : Il y aussi cette obsolescence programmée de l'amour. Tel un produit de consommation, on ne répare plus, on jette...
J. L. : Oui mais Marie ne veut pas jeter le couple, je crois qu'elle a essayé de se battre pour qu'il fonctionne. Ce qu'elle ne veut pas, c'est être l'ami de son amoureux. Sa mère a accepté de faire des concessions qu'elle n'est pas prête à faire. Je pense que l'amitié n'est pas l'amour. Le désir est compliqué. Mais je ne suis pas cynique. Je crois que le désir est possible mais c'est un travail de fou!

 

C. : Et la mère a fait une croix sur ce désir...
J. L. : Exactement ! Et sa fille ne veut pas vivre ça. Et Boris voudrait continuer malgré tout, pour la famille. Pour Marie, se séparer est aussi une manière de s'émanciper. Ce que Boris devrait comprendre c'est qu'il devrait la laisser partir, ce qui l'amènerait peut-être à venir le rechercher. Le problème est qu'il reste, il s'accroche.

 

C. : Sa présence physique devient insupportable...
J. L. : Oui et s'il reste, c'est aussi parce qu'il y a le frigo... Il imagine que la solution de la question économique ne peut venir que d' elle. Alors que c'est beaucoup plus compliqué.
Ces deux personnes ont aussi encore des choses à écrire qui est l'histoire des parents qu'ils sont. C'est pourquoi je dis que ce n'est pas cynique. Ce n'est pas que je crois que l'amour ou le couple ne soient pas possibles, pas du tout.

 

C. : Mais le plan final pose quand même beaucoup de questions. Il y a la scène du café, en extérieur et ensuite tu les ramènes à nouveau à l'intérieur, chez la juge. Et la dernière image est bien figée ?
J. L. : Oui, oui, elle est figée

 

Joachim Lafosse © Cinergie

 

C. : Tu vois, c'est comme s'il y avait à nouveau un enfermement... après cette détente au café, il lui dit qu'elle est jolie et puis clac, retour à l'intérieur et ce figement...
J. L. : Il va bien falloir se faire avec la rupture ! Quand on fait des enfants, on n'imagine jamais qu'on va se séparer. Et lorsque cela arrive, c'est bien sûr un échec mais surtout, une tristesse et cette tristesse est à observer, à vivre. Mais il y a d'autres choses à vivre aussi, notamment réussir à être des parents qui ont su se séparer. Mes grands-parents n'ont pas osé se séparer pour des raisons morales, mes parents ont été les premiers à oser se séparer et moi je suis un enfant du divorce et je me suis aussi séparé. Ce qui est assez douloureux car on imagine, lorsqu'on est enfant du divorce, que l'on ne va pas faire comme ses parents. Et aujourd'hui, je vois des gens qui n'arrivent plus à se séparer, non plus pour des questions morales mais pour des raisons économiques. On en revient alors au politique. Et dans les grandes villes, c'est encore plus flagrant.

 

C. : La précarité peut entraîner des situations de séparation effroyables...
J. L. : Oui car il n'y a plus de désir, c'est le pire en fait. Et donc la précarité amène aussi cela, amène des gens à se détester car vivre ensemble sans désir alors qu'il y en a eu avant, ça ne peut amener qu'à de la détestation.

 

C. : Pourquoi le choix de jumelles pour les deux petites filles qui sont très duelles, l'une ne disant pas grand chose, l'autre prenant plus de place ?
J. L. : Je suis jumeau, demi-frère de jumeau, mon père a refait des enfants avec une jumelle. J'avais envie de filmer des jumelles. Il y a une opposition entre le couple qui se sépare et le couple inséparable. Je trouvais cela passionnant à mettre en scène. Et les jumelles ont cette capacité à jouer, à être ludiques.

 

C. : Et le choix de Cédric Khan pour interpréter Boris ?
J. L. : Réalisateur passionnant, forcément acteur passionnant.

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