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Rencontre avec Klaartje Quirijns à propos d'Anton Corbijn, inside out

Publié le 15/05/2012 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Klaartje Quirijns, réalisatrice du portrait filmé du photographe Anton Corbijn, est venue à Bruxelles rencontrer la presse curieuse d'en savoir plus sur cette documentariste surtout reconnue pour ses brûlots politiques. Nous avons fait sa connaissance. 

Cinergie :On vous connaît comme cinéaste engagée politiquement. Est-ce que ce film amorce un tournant dans votre carrière ? Allez-vous faire des portraits d'artistes ?
Klaartje Quirijns :
En général, je fais des films politiques. Mais j'ai approché Anton Corbijn de la même façon que mes autres personnages, j'ai cherché l'humanité qui se trouve en lui. Bien entendu, l'œuvre artistique d'Anton m'a intriguée, et comment ne pas l'être en voyant les «icônes » qu'il a créées ? Mais mon film n'est pas un film sur un artiste, c'est un film sur une personne. Je l'avais rencontré au festival de Toronto où son film Control était présenté. On allait à une soirée et j'ai été frappé quand il a dit : « La raison de ma présence ici, ce n'est pas qui je suis, mais ce que j'ai fait ». Cela m'a donné envie de savoir qui il est réellement, de trouver sa fragilité. En tant que documentariste, cela m'a vraiment intéressé d'aller au-delà de ses apparences.
Nous nous connaissions, mais je n'avais jamais eu l'idée de le filmer. Un jour, il me demande mon avis sur un documentaire qui avait été fait sur lui. Je ne l'ai pas du tout aimé, ça donnait une image superficielle d'Anton, et il me semblait évident que pour faire un film, il fallait commencer par avoir une longue conversation avec lui. C'est ce que nous avons fait, et les bases du film étaient posées. Je connaissais son travail mais de loin. Je ne suis pas une connaisseuse de la musique rock. Moi, c'est la politique qui me fait marcher. Mais j'ai été fascinée par sa personnalité. Je voulais en savoir plus sur son caractère. Nous sommes très différents. Nous venons du même pays, mais de cultures totalement opposées. Il a grandi dans une famille qui ne parlait jamais, moi, dans une famille qui ne fait que parler et qui n'écoute personne. Sa famille est très religieuse, la mienne est très libérale, etc. J'étais très curieuse de savoir ce qu'on devenait quand on grandissait dans un environnement comme le sien, je voulais apprendre. Je suis toujours plus attirée par le contenu que par la forme, mais avec lui, c'est tout le contraire, il est plus dans la forme que dans le contenu. Alors, ce film, je l'ai pris comme une recherche sur moi-même ou pour moi-même.

C. : Est-ce que cela a changé votre manière de travailler ?
K. Q. : Oui, je crois bien. Je n'arrêterai jamais de faire des films politiques, car c'est vraiment ma passion. Mais, maintenant, j'essaie réellement de me développer en tant que réalisatrice et dans ce sens, ce film m'influence beaucoup. De fait, je suis en train d'écrire une fiction, basée sur le sujet d'un de mes documentaires. J'ai envie de faire de la fiction, chose que je n'osais pas envisager auparavant.

C. : Comment avez-vous procédé pour faire votre film sur Anton ? Avec une petite équipe ?
K. Q. :
J'ai commencé à tourner, il y a 4 ans. Je crois que le temps est une donnée importante car avec le temps, il y a plus d'épaisseur, plus de vie. Nous étions trois, un caméraman (Martijn van Broekhuizen) et un preneur de son (Jos ten Klooster), avec lesquels je faisais un autre film en même temps (Peace vs Justice). Durant ces 4 années, nous voyagions entre l'Afrique et Anton entouré de ses stars. Nous l'avons suivi dans ses déplacements, nombreux et rapides, ce qui donne un caractère nerveux au film. Nous avions beaucoup discuté ensemble des prises de vue, et durant le tournage, de l'objectif du film : comment montrer, rendre visuel son caractère, sa personnalité.

C. : Avez-vous discuté avec lui de la mise en scène dans votre cadre ?
K. Q. : Je ne voulais pas qu'il s'implique dans mon film, je voulais avoir ma propre vision, et il n'a jamais essayé de s'y incruster. La seule chose pour laquelle il a voulu avoir un droit de regard, c'est concernant les photos de lui, de sa propre vie. C'est quelqu'un de très silencieux, et on apprend plus en l'observant être, se déplacer, travailler qu'en parlant avec lui. Bien sûr, je l'ai placé seul, perdu dans un paysage grandiose, pour donner cette impression de solitude car je trouve vraiment que c'est un solitaire.

C. : Quatre années de tournage sous-entendent de nombreuses heures de rushs. Comment les avez-vous agencés, aviez-vous écrit ce film avant de le tourner ?
photo du docu. Anton CorbijnK. Q. : On a besoin d'argent pour faire un film et pour cela, il faut écrire un scénario. En relisant ce que j'ai écrit au début avant de commencer à filmer, je me suis rendu compte que ce n'était pas très différent de ce que j'ai fait : la recherche de son caractère, de son travail, l'équilibre entre sa personnalité et son travail et comment on le retrouve dans son travail, comment il fait ses autoportraits, ou même le héros de son film Control qui a beaucoup de similitudes avec lui.
Je me souviens que j'ai beaucoup paniqué. Je me disais que ce film n'allait nulle part, que j'avais toujours devant moi un être sans changements d'humeur, toujours le même. Et je lui ai dit : « Quelque chose doit se passer, sinon ce film va être complétement superficiel ! » Il m'a entendu, et il l'a fait, il s'est livré, mais d'une manière très ténue et à la toute fin de notre tournage ! Mais cela m'a suffit.

photo du docu. Anton CorbijnC. : C'est pourquoi vous avez essayé de l'approcher à travers sa sœur.
K. Q. : Oui, quelqu'un me disait que la véritable star du film, c'est elle. Ce n'est pas tout à fait faux !

C. : J'ai l'impression que ce film vous a donné l'assurance que vous êtes capable de réaliser une fiction. Est-ce que je me trompe?
K. Q. : Vous avez totalement raison. La différence entre mes autres films et celui-ci c'est que je cherchais des histoires sensationnelles à raconter derrière lesquelles je me cachais. Ici, il s'agit d'une histoire plus intimiste, et j'ai dû m'y impliquer plus personnellement en tant que réalisatrice, en tant que créatrice d'images. En effet, on peut dire que dans ce film, on entend plus ma voix.

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