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Rencontre avec Vincent Kesteloot et Ben Stassen - "Robinson Crusoé"

Publié le 15/03/2016 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Rencontre avec les réalisateurs Vincent Kesteloot et Ben Stassen de nWave à propos de leur nouveau film d'animation en 3D Robinson Crusoé. Avec presque un film sorti par an, nWave est un des studios les plus prolifiques au monde. Ils nous expliquent comment ils font, et surtout quelles sont les spécificités de cette technique si particulière qu'est la 3D.

Cinergie : Quelles sont les différences avec un film d'animation 2D traditionnel, est-ce que la synthèse prend plus de temps ?
Vincent Kesteloot : C'est beaucoup plus compliqué car on n'a pas toujours le résultat immédiat. Par exemple, en animation traditionnelle, si on veut dessiner une foule, on peut faire assez vite quelques têtes dans l'arrière-plan alors qu'en synthèse, quand on fait un personnage principal ou secondaire, c'est le même travail. L'animation traditionnelle est très légère en termes de technologie. D'ailleurs, les budgets sont très différents. En 2D, on peut faire du très beau travail plus simple et beaucoup moins cher.

C : Ce sont d'abord les personnages qui sont créés ou l'histoire ?
Ben Stassen : Il faut être conscient de tout le travail d'équipe et de toute l'infrastructure qu'il faut mettre en place pour faire un projet comme celui-là. Comme dans tous projets, on a commencé par le scénario. On l'a acheté à un scénariste américain avec lequel on a travaillé pour l'affiner et faire certaines adaptations qui convenaient mieux à notre vision des choses. Une fois qu'on a été satisfaits du scénario, on a enregistré les voix. Pour Fly on the moon, on avait pris des voix d'acteurs connus. Aujourd'hui, on a plutôt tendance à prendre des acteurs spécialisés dans l'animation, mais pas nécessairement célèbres. Une fois qu'on a eu nos voix, on a commencé à développer les storyboards, à faire une animatique (une mise en place de l'animation rudimentaire) dans l'ordinateur. En même temps, il y a le développement graphique des personnages et des décors. Ensuite, on est passé à la modélisation, c'est-à-dire la création des objets, et puis seulement à l'animation. Donc, c'est un processus très lent, très élaboré et très fragmenté.
V.K : C'est toujours le scénario qui détermine tout, le style découle de l'histoire. Ici, on avait Robinson sur une île, il rencontre des animaux. Comme on devait sentir la différence entre les espèces et la solitude de Robinson, on ne pouvait pas aller vers un cartoon animalier très humanisé, sinon on n'aurait pas pu sentir cet écart. Au contraire, il fallait conserver le plus possible les caractéristiques des animaux. Pour une autre histoire, on aurait peut-être fait quelque chose de beaucoup plus cartoon.

Robinson CrusoéC : Vous parlez de modélisation, c'est-à-dire d'objets 3D ?
B.S : Tout est virtuel. On crée un objet sur lequel on va mettre des textures qu'on va éclairer. On travaille dans l'espace, on crée un environnement qui n'est pas seulement un dessin avec des perspectives, mais on crée une salle à manger, une cuisine, une forêt, de manière physique dans l'ordinateur. Donc on crée cet espace et les objets qu'on met dans le décor. Une fois que l'objet est créé, on peut le manipuler. Si on veut voir un dessin 2D traditionnel d'un autre angle, il faut le redessiner. Ici, une fois qu'il est créé, on passe la caméra virtuelle de l'ordinateur ailleurs et on voit le même personnage sous un autre angle. La création de films d'animation en image de synthèse par ordinateur est techniquement beaucoup plus proche de la réalisation et de la fabrication d'un film en image réelle que d'un film d'animation traditionnel.

C : Faire un court ou un long-métrage en animation virtuelle, ça revient au même dans ce cas si la période la plus longue est la construction des personnages
V.K : C'est quand même très différent de faire un long ou un court-métrage mais c'est vrai qu'il y a un tout un travail de construction des décors et des personnages qui est le même qu'on utilise pour un plan ou pour 2 heures.
B.S : Un court-métrage sera beaucoup plus facile et léger à faire dans le sens où il y aura moins de décors et de personnages. Dans un long, on a facilement 80 décors différents alors que dans un court ça tourne plus vers les 7-8. Ça reste compliqué de faire du court-métrage en image de synthèse car la mise en route est assez lourde. Cela dit, on connaît bien le court-métrage car on en fait énormément pour des parcs d'attraction.

C : Quand on regarde le film, on vit avec les personnages. On a des sensations de vision qu'on n'a pas normalement.
V.K : C'est exactement ce qu'on souhaite, que les gens aient ce plaisir, cette immersion et que lorsqu'ils voient un vol d'oiseau, ils aient le sentiment d'en être un. Il y a une histoire mais il y aussi des sensations, des émotions, des découvertes, un voyage. Tout est sollicité, la sensibilité qui va avec un visuel, la musique, etc. Le relief spécifique à nWave, la manière dont on place les caméras et la qualité de l'animation permettent cette impression d'être un protagoniste et pas seulement un spectateur.

C : Le scénario a été écrit par un scénariste, mais est-ce qu'il y a eu un travail d'équipe après pour le modifier ?
B.S : On a acheté le scénario à Chris Hubell et on l'a adapté pour plusieurs raisons. Par exemple, dans le scénario original, le film commence et se termine à Londres. On a enlevé ces éléments-là pour une raison financière : réaliser et créer Londres aurait coûté une fortune pour une scène relativement courte. On a donc dû trouver un substitut, une autre approche créative et finalement ces scènes se passent sur un bateau pirate. Il y avait aussi des aspects qu'on voulait améliorer dans l'histoire. Par exemple, dans le scénario d'origine, il y avait beaucoup plus d'animaux sur l'île. De plus, c'était une comédie musicale. Il y avait aussi un côté peut-être un peu trop anxiogène pour un film familial avec les chats à la fin du film. Il y a donc eu pas mal d'échanges avec le scénariste, de « polishing », c'est-à-dire qu'on a poli certains dialogues, mais à la base il y a quand même le scénario qui est là et qui est retravaillé par la suite.
V.K : On n'a pas retiré des choses simplement pour des raisons budgétaires. À la base, le scénario était écrit pour un dessin animé 2D traditionnel. Faire un film en relief, ça a eu évidemment des conséquences sur l'histoire. Chacun a apporté son expertise pour que le scénario soit en cohérence avec la technique d'animation.

Ben Stassen, réalisateurC : L'aspect technique est assez interpellant. Est-ce que c'est pour mieux apprécier le film qu'on utilise les lunettes ou pour le voir plutôt au cinéma qu'à la télé ?
B.S : En fait, le relief existe depuis le début du cinéma. Pour moi, c'est avant tout une façon d'augmenter l'immersion. Pourquoi va-t-on encore au cinéma? Car on fait abstraction de l'environnement physique, on a un grand écran, une bonne image et un très bon son qui nous permettent d'avoir une immersion intellectuelle et émotionnelle importante. On y va aussi pour le plaisir de partager ça avec d'autres, c'est une expérience sociale. L'essence même du relief, c'est d'augmenter l'immersion, de pouvoir rentrer physiquement dans le film et d'avoir la sensation d'être au milieu de l'histoire. Pour un bon film en relief, il y en a 99 qui ne valent vraiment pas la peine car pour la plupart, c'est de la 2D et demi, mais il y a en a quand même des bons, comme par exemple Gravity qui est sensationnel. Quant à la différence entre télé et cinéma, il faut savoir que pratiquement tous les téléviseurs vendus aujourd'hui sont capables de projeter du relief même si pratiquement personne ne l'utilise.

C : Il y a aussi les conditions de projection qui jouent dans la qualité, est-ce que les salles doivent être équipées d'une manière particulière pour pouvoir passer ce film ?
B.S : Les salles qui projettent en relief en Belgique sont bien équipées. Ce qui peut jouer, c'est plutôt l'espace physique de la salle. Pour ressentir vraiment une immersion, il faut que la relation entre la taille de l'écran et la distance du spectateur soit la bonne. Il ne faut pas des salles trop profondes. Les salles du Kinepolis sont bonnes parce qu'on est assez près de l'écran, mais quand on a une salle longue comme une allée de bowling avec un petit écran au fond, le relief n'est pas génial.

C : Donc, ce n'est pas ça qui pourrait poser problème et nous indiquer si le relief a un futur ou pas ?
B.S : Non, le problème c'est les films. Il n'y a pratiquement aucun film tourné en relief. Ils sont tous tournés en 2D avec une seule caméra et puis ils sont convertis de façon artificielle en post-production et ça ne sert à rien.

C : Quel est le frein alors si dans l'animation on peut se permettre de faire des films en relief ?
B.S : La plupart des réalisateurs n'en voient pas l'utilité. Pour moi, le relief, c'est un nouveau langage du cinéma qui peut être révolutionnaire. À Hollywood, ils ajoutent une petite touche exotique en créant un peu de perspectives, mais ils n'utilisent pas un autre langage. Il faut intégrer cette grammaire assez spéciale et différente dans la création du film.
V.K : On ne place pas la caméra au même endroit, on n'a pas le même rythme de montage. On essaie d'avoir un point de vue à l'intérieur de l'action et pour faire ça il faut le prendre en compte dans la mise en scène. Techniquement, ça ne représente pas un défi de faire du relief en image de synthèse, mais par contre, ça a un coût puisqu'il faut tout faire différemment. Il y a un vrai choix de mise en scène et ce n'est pas une petite étape. C'est pour ça qu'on fait une distinction entre les films nWave où on fait dès le début une implication du scénario dans le déroulement du relief et d'autres films qui l'ajoutent par la suite.

C : C'est un vrai exploit d'avoir fait ce film, il y a un investissement important que vous espérez pouvoir amortir.
B.S : C'est sûr qu'on l'espère. En fait, c'est notre 6e long-métrage. On est le seul studio au monde à avoir été aussi prolifique, à avoir fait pratiquement un film par année depuis 2008. Il faut aussi savoir qu'on dépense une fraction du budget de nos collègues américains. Leurs films coûtent facilement 100 millions de dollars et les nôtres 20 millions, donc on ne joue pas avec les mêmes instruments.

Vincent Kesteloot, réalisateurC : Comment pourrait-on expliquer cette différence de moyens ? Dans le cinéma traditionnel belge, il y a un savoir-faire qui remplace le nombre de personnes. Et chez vous ?
V.K : C'est la même chose, on a des gens qui sont polyvalents, très compétents dans plusieurs fonctions différentes. Ce sont des artistes incroyables en plus de techniciens de haut niveau. Ce n'est pas de ce point de vue-là qu'il y a à rougir, au contraire.

C : Vous avez eu une formation à la Cambre, est-ce que vous pensiez au départ que vous alliez vous retrouver là à faire de la 3D ?
V.K : Non, mais des gens de talent, il y en a beaucoup. Devenir réalisateur, c'est une histoire de rencontres et d'opportunités. Je pense qu'il y a de la passion, j'espère du talent, mais c'est surtout des rencontres qui permettent de devenir réalisateur ou de rester à un autre niveau qui n'est pas moins bien. On a besoin de tout le monde pour faire un film et les 120 personnes qui ont travaillé sur celui-là sont toutes talentueuses et motivées.

C : Ça ne vous manque pas la technique traditionnelle?
V.K : Ça me frustrait car quand je dessinais, plus je mettais du style et de la nuance, moins j'arrivais à animer. Pour y arriver, je devais avoir une ligne claire donc je préférais au contraire aller vers la synthèse où on peut garder une qualité tout au long du film une fois qu'on a créé notre personnage.

C : Le prochain film, c'est vous qui le réaliserez ?
B.S : Je co-réalise le prochain film avec Jérémie Degruson qui était co-réalisateur sur Le Manoir magique avec moi. Et puis on va démarrer un nouveau film après Robinson d'ici le mois de juin, donc on enchaîne tout le temps les projets.

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