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Rencontre avec Pauline David du "P'tit Ciné"

Publié le 15/04/2015 par Serge Meurant / Catégorie: Entrevue

Cinergie : Pauline David, vous êtes la coordinatrice et la programmatrice de l’association Le P’tit Ciné. Pouvez-vous, brièvement, nous en rappeler les objectifs et nous en évoquer l’histoire depuis sa création voici vingt ans déjà ? 
Pauline David : Le P’tit Ciné est une structure de diffusion du cinéma documentaire, une structure volante. Nous ne possédons, en effet, pas de lieu de projection, mais des cases de programmation, en partenariat avec différents cinémas : de façon régulière avec la Cinematek, le cinéma Aventure, de façon ponctuelle avec Le Nova, Bozar et L’Espace Delvaux. Le Centre Culturel de Watermael-Boitsfort et Libération Films furent les premier partenaires du P’tit Ciné , en 1995. À l’origine du P’tit Ciné, il y avait la volonté de s’attacher à la diffusion du cinéma documentaire, en particulier à celle de la production belge, abondante et de qualité, dont les films étaient peu visibles sur grand écran. C’est ce qui incita, en 1995, les fondateurs de l’association (Monique Quintart, Pascal Delaunoye, Donald Sturbelle et Anne Vertoort) à combler ce vide. Lorsque Javier Packer Comyn entra dans l’aventure, il donna un nouvel essor au P’tit Ciné. Le documentaire commençait à gagner une légitimité et à pénétrer dans les salles de cinéma. Et le P’tit Ciné trouvait sa place à partir de la conviction que si montrer en salle le documentaire était une excellente chose, il serait mieux encore que les réalisateurs accompagnent leurs films. C’est dans cette optique d’une éducation à l’image que l’association s’est inscrite, avec comme postulat de départ l’idée que le cinéma documentaire est accessible à tous, à la condition de créer un lien entre les films, les réalisateurs et les spectateurs.

 

C. : Vous fêtez cette année les 20 ans du P’tit Ciné, quels sont pour vous les grands moments de son histoire, les grands réalisateurs invités, avec lesquels vous avez créé des liens ?

P. D. : Javier Packer Comyn a permis au public belge de découvrir le jeune cinéma documentaire des années 1990-2000 : Claire Simon, Denis Gheerbrant, Nicolas Philibert, trois grands noms porteurs de toute une génération. Le P’tit Ciné a suivi également, depuis leurs débuts, des cinéastes belges comme Claudio Pazienza et Jorge León. Il assura également la distribution non commerciale de films de documentaristes fondateurs comme Frédéric Wiseman, Haroun Farocki ou Johan van der Keuken. J’aime beaucoup, pour ma part, montrer les films de jeunes réalisateurs belges. Je me souviens de la très belle soirée où fut projeté le documentaire de Gaëlle Comart tourné dans les abattoirs de Droihxe et d’Anderlecht, en 2011: La main juste au-dessus du cœur.

Nous venons d’inaugurer un site Internet où se trouve répertoriée notre programmation depuis 2002. Nous comptons déjà plus de cinq cents réalisateurs. En visitant notre site, on peut savoir quels films ont été programmés, dans quel contexte, avec quel autre film. Bientôt, nous remonterons jusqu’à 1995.

 

C. . Cette année, aura lieu également la 17e édition de Regards sur le travail. Pouvez-vous nous parler de sa programmation, des innovations apportées à celle-ci ?
P. D. : Monique Quintart, réalisatrice de documentaires, et Pascal Delaunoye qui dirigea une mission locale pour l’emploi, ont fondé ce moment fort de la programmation du P’tit Ciné : Regards sur le travail. Cet événement est né de la connexion de leurs centres d’intérêt respectifs : le cinéma et la société. Il s’agit d’interroger le travail à travers ses représentations artistiques. Comment parle-t-on du travail aujourd’hui ? Comment les réalisateurs s’emparent-ils de cette question ? Et que disent les images de la réalité du travail ? Il s’agit de rencontres, au départ d’un week-end, qui s’étalent aujourd’hui sur deux ou trois mois, voire, de façon ponctuelle, sur une année. S’y retrouvent et s’y confrontent des réalisateurs, des acteurs de terrain, des syndicalistes et des sociologues. Nous avons essayé, au cours des années, d’ouvrir cette question à d’autres formes d’interrogations et de langages artistiques. Par l’organisation de concerts avec le GAM, par une pièce de théâtre interprétée par d’anciens ouvriers de Royal Bock, par des rencontres littéraires, des écoutes radiophoniques.

Cette année, Regards sur le travail a débuté, au début du mois de mars, par la projection du film de Claudine Bories et de Patrice Chagnard, Les Règles du jeu, sur l’entrée des jeunes sur le marché du travail. Il traite, plus particulièrement, des jeunes sans diplôme à la recherche d’un travail.
Un week-end a suivi consacré au métier de viticulteur, avec la projection du film, plus ancien, de Jacqueline Veuve : Chronique vigneronne (1999), avec, en invité, Etienne Davodeau, une figure connue de la B.D, qui a parlé de la notion de la B.D. documentaire.
À partir du mois d’avril, nous développons une nouvelle thématique consacrée aux artistes au travail. Les films programmés mettent en avant des auteurs, des sculpteurs, des photographes.
L’idée forte et politique qui sous-tend ce programme est de rappeler que l’artiste est également un travailleur qui apporte par sa création quelque chose à notre société.

 

C. : Certains de ces films sont déjà connus d’un large public, d’autres inconnus ou méconnus… La projection de ces derniers permet sans doute d’élargir votre public, en fidélisant les spectateurs des films les mieux connus et en les attirant vers d’autres films qui le sont moins.
P. D. : La programmation est, en effet, une question d’équilibre. J’ai toujours, en y travaillant, l’impression de tisser ma toile. Le film de Matthieu Chatellier, Voir ce que devient l’ombre, en fournit un exemple. J’avais envie de le programmer depuis très longtemps. Ce documentaire, réalisé en 2010, suit Fred Deux et Cécile Reims, respectivement dessinateur et écrivain et graveur. C’est le très beau portrait d’un couple d’artistes, très simple et poétique. Cependant, je ne l’avais pas programmé auparavant, sachant que Matthieu Chatellier n’est pas un cinéaste très connu en Belgique. Il a notamment réalisé, il y a plusieurs années, Grève générale, un documentaire que nous avions montré. Je pensais donc que Voir ce que devient l’ombre devait être programmé dans le cadre d’une thématique plus large sur la création artistique qui donnerait davantage de visibilité au film et lui permettrait de toucher de nouveaux publics. Ce magnifique portrait constitue clairement pour moi le point de départ de la programmation. Se tisse ensuite un jeu de correspondances entre les films, dont le spectateur ne se rendra peut-être pas compte, mais qui est important dans mon travail, par la nécessité que les films se répondent, autant sur des questions de cinéma que sur la notion d’un certain plaisir. Chantal Akerman ne dit-elle pas avoir vécu un immense sentiment de bonheur au contact de Pina et de son travail de chorégraphe. C’est exactement cela que j’ai essayé de communiquer par les films de cette programmation. Beaudelot est le premier film d’une jeune réalisatrice, Camille Fontenier qui, au sortir de l’INSAS, a suivi, pendant de longs mois, le travail d’un peintre du Nord de la France. La question de la transmission est au centre du portrait, comme d’ailleurs dans les films de Chatellier ou de François Hien, Kustavi. Beaucoup de premiers films, qu’il m’a été donné de visionner, affirment la nécessité pour ces cinéastes d’interroger leurs aînés pour comprendre leur travail et s’inscrire dans une filiation artistique.

 

C. : Camille Fontenier dialogue avec Philippe Boucq qui a monté son film.
P. D. : Cette rencontre s’inscrit dans notre démarche de l’éducation à l’image, avec l’idée de permettre aux techniciens de cinéma de venir parler de leur travail. C’est ainsi que nous avons organisé, en novembre de l’année dernière, une master class avec Frédéric Fichefet sur la question du montage. Plusieurs monteurs y participaient, dont Philippe Boucq. Je voudrais poursuivre ce cycle sur les questions du montage car je pense que c’est un apport important pour les jeunes réalisateurs.

 

C. : Parmi les autres films que vous programmez, il y a le Van Gogh de Maurice Pialat. Pourquoi avez-vous choisi ce film plus ancien ?
P. D. : Je l’ai choisi pour sa justesse cinématographique. C’est en effet le cinéma que nous voulons défendre, sans faire de distinction entre fiction et documentaire. Il en va de même pour le film de Peter Watkins, une biographie du peintre Edvard Munch.
La femme aux cinq éléphants de Vadim Jendreyko (2009) établit un autre rapport entre le cinéma, la littérature et la traduction. C’est le magnifique portrait d’une femme déjà âgée lorsqu’elle commence à traduire l’œuvre entier deDostoïevski.
Mon choix s’est porté sur ce très beau film parce qu’on n’associe pas assez souvent l’image du traducteur à celle d’un créateur. Le traducteur a un rapport essentiel à la construction littéraire et à la langue qui nécessite une vraie créativité. J’aime aussi la jouissance, la passion intellectuelle et vitale qui animent la traductrice et qui passent très bien à l’écran.

Je retrouve un même plaisir à découvrir le premier film de François Hien, Kustavi, dans l’interrogation qu’il développe sur ce que signifie être un jeune cinéaste aujourd’hui.

Enfin, j’ai programmé les deux derniers films d’Olivier Smolders, La part d’ombre et La légende dorée, ce dernier est inédit, où le cinéaste présente une galerie de personnages historiques qui le hantent, des musiciens maudits, des assassins déraisonnables, des anachorètes suicidaires… La projection de ces films sera suivi d’une rencontre avec Olivier Smolders. Ce sont des leçons de cinéma.

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