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Réparer les vivants de Katell Quillévéré

Publié le 30/11/2016 par Fred Arends / Catégorie: Critique

À cœur ouvert


En adaptant le roman éponyme de Maylis de Kerangal (2014), grand succès de librairie, la cinéaste française réussit un film ample, maîtrisé et émouvant. Ces deux premiers longs-métrages (Un Poison Violent en 2010 et Suzanne en 2013) avaient déjà révélé un talent pour asseoir des personnages profonds et complexes, qualité confirmée par ce magnifique récit à voix multiples. La réalisatrice s'avère également à nouveau incroyablement juste dans la direction d'acteurs et d'actrices. Coproduit par Frakas pour la Belgique, Réparer les vivants était présenté en compétition au dernier Festival International du Film de Gand.

Réparer les vivants de Katell Quillévéré

Simon, adolescent solaire, ange blond et surfeur aventureux, est victime d'un grave accident de la route. Déclaré en état de mort cérébrale par le chirurgien (Bouli Lanners, toujours surprenant), ses parents doivent faire le choix de permettre ou non le don de ses organes. L'histoire suit le parcours de son cœur; de ses parents désespérés (Emmanuelle Seigner et Kool Shen) qui doivent faire face à leur chagrin à la bénéficiaire, Claire (Anne Dorval, égérie de Xavier Dolan), mère de deux jeunes hommes, dont la cœur défaillant la met dans une situation potentiellement mortelle. Histoires de cœurs. De sentiments, de failles, de retrouvailles. Loin du film choral cependant. Pas de coups du hasard qui se font rencontrer les personnages, pas de liens mystérieux, finalement révélés. Ce cœur si précieux, jeune et intact, mort et renaissance, sera le conducteur. La cinéaste n'a pas privilégié de personnage principal et a réussi, grâce à un montage parfaitement équilibré, à ce que chaque rôle trouve un réel espace pour exister. En retour, les comédiens s'avèrent généreux. L'exemple parfait est la présence de Steve Tientcheu qui, en l'espace d'une scène très brève, impose un corps, une présence, une allure. Ou encore le personnage de l'infirmière joué par Monia Chokri qui trouve une profondeur en quelques dialogues ciselés et directs. Cette finesse d'écriture permet de faire exister les personnages grâce à des petites touches dans la mise en scène ou l'interprétation.
À cette subtilité scénaristique répond une poétique du montage qui porte le film vers d'autres rives, plus étranges et plus sensitives. La séquence de surf, singulièrement, crée, par ses ralentis et son ambiance sonore, une distance quasi onirique, rêve éveillé du conducteur fatigué et surimpressions cotonneuses. Le film développe ainsi une pulsation particulière, un rythme intime que viennent parsemer quelques bulles, à l'image de l'unique flashback du film, la séquence qui voit la naissance de l'état amoureux chez Simon et Juliette (Galatea Bellugi, découverte dans Keeper de Guillaume Senez, illumine son rôle pourtant très court). Seule cette séquence sera baignée de soleil, a contrario de la photographie automnale et froide, endeuillée par la mort de Simon, qui domine dans le reste du film. Cette séquence fonctionne comme une stase joyeuse au milieu d'un récit de deuil parfois très sombre, un moment suspendu et intense comme ce premier baiser qu'ils s'offrent. Katell Quillévéré mutliplie sans ostentation ces moments « irréels », comme les vagues dans lesquelles Simon s'épanouissait. Le plan où Tahar Rahim fait écouter une dernière musique à Simon, dans une vague factice (la bande de papier bleu hospitalier), est à ce titre, bouleversante.
Magnifique film de deuil, Réparer les vivants est aussi un film d'empathie, dans ce qu'il peut y avoir de douloureux et de beau à accompagner les personnes aimées.

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