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Rumba de Dominique Abel & Fiona Gordon

Publié le 01/09/2008 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Invitation à la danse

Fiona et Dom sont un couple d’instituteurs dans une petite école de campagne. Elle enseigne l’anglais et il enseigne la gym. Les tourtereaux partagent une passion pour la danse latino. Pour occuper leurs week-ends, ils écument les concours de danse régionaux et collectionnent les trophées. Un soir, au retour d’un concours, ils tentent d’éviter un suicidaire planté au beau milieu de la route. C’est l’accident. Fiona se retrouve amputée d’une jambe et plâtrée de la tête au pied. Dom, quant à lui, devient amnésique et ne reconnaît plus sa bien-aimée.Leur histoire d’amour contrariée pourra-t-elle survivre au drame et aux péripéties burlesques qui vont les séparer ?Le destin va-t-il continuer à s’acharner sur le gentil couple abandonné par la chance ?

Rumba de Abel et Gordon
Non, vous ne venez pas de lire le synopsis du prochain drame social des Frères Dardenne, mais bien la trame d’une comédie burlesque enjouée et à l’esprit ouvertement optimiste, un genre auquel le duo Abel & Gordon nous a habitués depuis la réussite de leurs courts métrages géniaux Merci Cupidon (1994), Rosita (1997), Walking On the Wild Side (2000) et le résultat plus mitigé de leur premier long, L’Iceberg (2004).

Résolument désuète et faisant fi de toutes les modes, Rumba est une œuvre à part et bienvenue dans notre cinématographie nationale, se déroulant dans une temporalité pas vraiment définie, mais rappelant l’esprit des petites comédies campagnardes d’après-guerre mettant en scène de doux rêveurs et des clowns maladroits tels Jacques Tati et Bourvil (pour le meilleur) ou encore Fernand Raynaud et Darry Cowl (pour le... moins meilleur.) L’univers si personnel d’Abel & Gordon est stylisé à l’extrême, coloré, joyeux, vieillot, poétique et parfois mélancolique, sans jamais pour autant tomber dans le pathos. Un univers où le rire ne naît pas de la moquerie ou de la parodie, mais plutôt de l’empathie pour les personnages et la complicité envers le spectateur. Les petites routes de campagne sont charmantes. Les maisons sont jolies et les jardins bien taillés. Les gentils sont très gentils. Les méchants ne sont pas vraiment méchants. Tout le monde est un peu bébête et très naïf. Dom et Fiona vivent paisiblement dans leur petite campagne idyllique, un peu comme dans les aventures bédéesque de Modeste et Pompon : un univers aseptisé pas très éloigné du conte de fées et de l'esprit des chefs d'oeuvre comiques du cinéma muet. Cet esprit refusant le drame facile, cette simplicité des personnages et des situations fait tout le sel et la particularité de Rumba, un petit vent d’air frais rythmé par les pas de danse effectués avec brio par nos deux (anti)héros lors de leurs séances de répétition effrénées et chorégraphiées avec brio.

 

Rumba de Abel et Gordon

 

Essayant de retrouver le rythme, la légèreté et l’esprit des grands acteurs burlesques du muet tels Chaplin, Keaton ou Harold Lloyd, Rumba reprend à son compte le sens du gag et de la comédie physique avec en prime un côté absurde totalement décalé. Quitte à comparer le film d’Abel & Gordon à ses prédécesseurs, on lui trouvera cependant davantage de points communs avec les oeuvres de Jacques Tati, auquel la presse les compare à tort et à travers, mais surtout avec les premiers films de Pierre Richard du début des années 70 (Le Distrait, Les Malheurs d’Alfred…) : personnages lunaires, clownesques, fragiles, maladroits, en quête d’amour, courant après un bonheur perdu dont ils s’éloignent un peu plus à chaque pas.La maladresse humaine, la fragilité du bonheur, le besoin d’amour… des thèmes adultes traités sur le ton de la comédie loufoque émaillée de dizaines de gags souvent hilarants et bon enfant comme lors de cette scène de la sérénade au coin du feu au cours de laquelle les deux amoureux entonnent Sea of Love en duo alors que Fiona s'enflamme... littéralement!

Emaillé d’artifices « à l’ancienne » (nuit américaine, cache / contre-cache, rétroprojections), Rumba repose avant tout sur le jeu physique (le langage des corps) et visuel (rarement sur la parole) et une narration simple dans un style populaire. Le cadre reste très fixe et les plans d’une précision d’horloger : les entrées et les sorties, les mouvements des corps, les surprises de l’arrière-plan : tout est réglé comme sur du papier à musique. Les plans-séquences sont nombreux et servent à merveille la narration. Les réalisateurs ont le goût de jouer avec des éléments comme la pluie, le vent, les ombres, le feu… qui confèrent à l’ensemble cette poésie si particulière et ce charme suranné. Une comédie réellement pensée et composée comme une œuvre d’art ? Très rare dans le cinéma européen actuel… 

 

Extrait de Rumba de Abel et Gordon
Rumba est une exception culturelle, un film hors normes que l’on aurait tort de prendre de haut. Un petit film doté d’un véritable projet cinématographique, réalisé avec ambition et qui a la politesse d’être léger tout en restant émouvant, enlevé et fréquemment brillant.

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