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Rumba, rencontre avec Abel & Gordon après le tournage

Publié le 05/03/2008 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Abel & Gordon nous reçoivent dans leur antre, interrompant un moment la vérification du montage des images du long métrage qu'ils terminent avant de l'envoyer à l'habillage son et musique. Ce couple aux yeux grands ouverts sur la vie, immuablement étonné, remarqué par la prestigieuse maison de production française MK2, enchaîne, à la suite de L'Iceberg, un deuxième long métrage intitulé Rumba. Du burlesque toujours, sur fond de danse, et plus précisément, de rumba cubaine ! 

Fiona Gordon : C'est l'histoire d'un couple qui a la passion de la danse, mais qui vient de subir un accident de voiture et ne peut plus danser. Elle a perdu une jambe, lui, la mémoire.
La règle d'or de la clownerie, c'est qu'il faut que chacun possède sa particularité, sinon il fait de l'ombre à l'autre.
Dominique Abel: On avait envie, après L’Iceberg, de faire plus de scènes physiques à deux. Dans L’Iceberg, le couple se sépare dès le début, et nous n'avons pas eu l'occasion de jouer des scènes ensemble. On avait en tête l'histoire d'un couple heureux qui doit traverser une suite de petits et de grands malheurs. On cherchait une activité pour ce couple, et on a eu l’idée de la danse, la rumba. C’est une manière de parler de l’union, de l’amour ou de la relation entre un homme et une femme, mais d’une manière physique. La Rumba, c’est fait pour bouger, c'est fait pour le corps : quand on entend cette musique, on n’a pas envie de rester assis, on a envie de danser.
F.G. : Ce n’est pas un pastiche de la danse, on essaye de danser le mieux qu’on peut !
D.A. : On aborde ça comme dans les créations théâtrales, on n’a pas pris de cours de danse. On a toujours dansé dans tout ce qu’on fait.

Cinergie : Y a-t-il une sorte de syntaxe pour jouer sur les différents sons ?
D.A : Non, il n'y a aucune règle. Juste le corps, les impacts. En fait, on joue avec les objets. On aime voir le corps dans son contexte.

C : Au début du film, le couple est uni. Que se passe t-il après l'accident ?
F.G : Le couple reste uni. Mais pour nous, ce n’est pas l’histoire qui compte, mais la relation clownesque qui existe entre eux et celle qui existe avec le spectateur. On essaye d’exploiter l’histoire de cette manière-là.
D.A.
 : L’idée est partie d’un rêve de Fiona. Pendant une tournée théâtrale, on roulait en camionnette et, à un moment, Fiona s’est réveillée et elle m’a dit qu’elle avait rêvé qu’on avait un accident, qu’elle perdait ses bras et moi mes jambes. Elle a commencé à imaginer une scène : un facteur venait nous voir à la maison, elle ne pouvait plus signer parce qu’elle n’avait plus de bras ; elle m’appelait et moi je mettais mes jambes pour venir signer. Elle s’est rendormie dans la camionnette aussi sec.
Un an et demi après, on cherchait des idées, et c’est là que l’idée a resurgi. Il y a tout dans cette histoire; le côté dramatique et le côté drôle. On avait envie de montrer des gens qui traversent des épreuves, des gens qui reçoivent des tuiles sur la tête à longueur de journée, mais ce ne sont pas vraiment des tuiles puisqu’on est des clowns. C'est ça être clown ; c'est vivre des situations graves mais les raconter sur le mode comique.

Tournage de Rumba de Dominique Abel et Fiona Gordon

C :  Est-ce que le film ressemble à ce que vous vouliez ?
F.G : En fait oui, c’est resté assez identique. Il n’y a pas eu de raison d’évoluer, on a écrit ce qu’on voulait écrire, on l'a tourné, on l’a monté.
D.A : Il y a quand même eu certains choix. Dans le processus des 12 semaines, il y avait un peu trop de matière. Comme notre jeu est très physique, très gestuel, la préparation en amont est très importante. Cela ne s’improvise pas, ce n’est pas comme de la comédie, c’est une construction. La création à trois, avec Bruno Romi, est la phase la plus longue. Une fois qu’on arrive au tournage et au montage, tout est fixé.

C : À la différence de L’Iceberg, vous avez un producteur en plus ?
D.A : On avait fini L’Iceberg, qu’on avait fait avec un tout petit budget, le minimum du minimum, et on cherchait des festivals. Nous avons cherché un distributeur ou un vendeur international. Les distributeurs que l'on contactait nous disaient que personnellement, ils adoraient ce film, mais que c’était invendable.Portrait de Dominique Abel et Fiona Gordon réalisateur de Rumba
F.G
 : Et MK2 a dit : personnellement, on adore ce film, et c’est vendable. Ce sont des gens qui prennent le temps d’aider des réalisateurs ou des œuvres comme la nôtre. Donc, ils nous ont pris et, dès le début, ils nous ont expliqué que lorsqu'ils ils choisissent des gens qu’ils aiment, c’est sur le long terme. Ils ont quand même voulu voir le scénario avant qu’on redémarre ensemble sur le suivant. Et là, ils ont vu, ils ont aimé et ils nous ont accompagnés.

C : Par rapport à L’Iceberg vous sentez que vous avez évolué dans la narration?
F.G : On a plus de possibilité de montage. Nous sommes des inconditionnels du plan-séquence, mais on ne peut pas toujours contrôler la qualité des plans, parfois, ils ne sont pas vraiment réussis, soit on doit les couper, soit on doit les laisser avec leurs faiblesses. Cette fois-ci, on a essayé de prévoir une possibilité de découpage qui permet d’utiliser le plan de séquence au mieux.
D.A : Il y avait aussi une économie absolue dans L’Iceberg, on n’avait pas le choix. Certains découpages ont été sucrés quinze jours avant qu’on démarre le tournage parce qu’il fallait réduire les coûts. On ne s’est pas dit : tiens on va marquer le cinéma en faisant un film avec 150 plans-séquences. C’est venu tout seul, ça collait avec notre jeu physique, frontal. Mais cette fois-ci, on a pensé en termes de rythme de narration, même si on adore le plan-séquence, un moyen de le mettre en évidence c’est de ne pas l’utiliser systématiquement. Et donc, on a aussi pensé à ça pour Rumba.
D.A. : On est au milieu de la rivière maintenant : on a fini l’image et on va attaquer le son, donc il y a un gros boulot parce qu’on a que 6 lignes de dialogues dans le film ! Le son va avoir beaucoup d’importance, et on va faire beaucoup de bruitages. On attaque le son avec Fred Meert, il commence demain et puis ce sera le mixage…

Tournage de Rumba de Dominique Abel et Fiona GordonC. : Comment se passe le tournage d'un film burlesque avec des enfants ?
F.G. : Très bien! Je ne sais pas si c’est un hasard, mais on a eu un super groupe. Nous n'avons pas fait un casting classique, sur base de photos. On a organisé des petits stages de théâtre avec eux et on a choisi des enfants qui avaient un esprit jeu qui nous plaisait. C’était de bons partenaires. En tant que clowns, on a besoin d’un contrepoint à nos clowneries. Eux, ils le sont sans le faire valoir parce qu’ils ont leurs personnalités.
On avait aussi des stagiaires géniaux. On a tourné toute une partie en Haute-Normandie, sur une plage entourée de falaises, et on avait besoin d'eau pour faire de la pluie. Les camions pompiers ne pouvaient pas accéder, à cause des galets. On a utilisé un bateau qui pompait l'eau pendant qu'on tournait. L'eau sortait d'un gros tuyau, mais comme le courant était très fort, il allait toujours dans la mauvaise direction. Un stagiaire s'est placé à côté pour le ramener et il a tiré dessus pendant 3 heures avant qu'on s'en aperçoive! Il ne disait rien, il ne s’est pas plaint. C'est un moment que je garderai toujours en mémoire !
D.A. : Ils ont aussi une innocence et une maladresse naturelle qu’on cherche toujours en tant que clown professionnel, qu’on cherche aussi dans nos partenaires et dans les acteurs qu’on repère. Nous avons donc invité Philippe Marts, qui pour nous, est un bon clown. Et puis, on aime bien jouer avec des enfants, mais aussi avec des gens âgés, parce qu’ils ont également ce côté maladroit, fragile. Pour nous, c’est le bonheur quand on trouve ça physiquement chez les gens.

Portrait de Dominique Abel et Fiona Gordon réalisateur de RumbaC: Vous sentez-vous devenir plus réalisateurs que comédiens ?
F.G.: On a toujours été des comédiens. Je n’ai jamais fait d'audition pour personne, on a toujours fait nos propres spectacles. Quand les premières caméras vidéo sont apparues, on a vite fait des essais de tournage.
D.A. : On ne s'est jamais senti metteur en scène de cinéma, et pourtant on l'est, on ne s'est jamais senti acteur... On a toujours vu ça comme un tout, une espèce de création.

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