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Rwanda, à travers nous l'humanité

Publié le 06/10/2006 / Catégorie: Critique

Rwanda, à travers nous l’humanité.

Ou les implications de la vie après le génocide.

Marie-France Collard est une cinéaste autodidacte qui écrit pour le théâtre et la télévision depuis une vingtaine d’années. Elle réalise ici son troisième documentaire,  Rwanda, à travers nous l’humanité, avec pour sous-titre :  "A propos d’une tentative de réparation symbolique envers les morts, à l’usage des vivants". Ce film sobre et poignant fait le point sur l’héritage du génocide rwandais. Il sera programmé au festival « Filmer à tout prix » en novembre prochain.

Marie-France Collard revient au Rwanda après le  génocide de 1994. Un million de personnes périrent massacrées à la machette durant les mois d’avril et de mai. Ce que filme Marie-France Collard n’est pas la blessure mais sa difficile et douloureuse cicatrisation. Evidemment, un génocide ne peut que marquer à jamais une culture. Il faut se relever. Il faut un culte du souvenir, pour continuer à vivre et se préserver de la réitération de l’horreur. 
 La scène d’ouverture du film montre des villageois en train d’essayer de compter avec pragmatisme les corps dans un charnier récemment découvert. Difficile à faire, vu l’état des cadavres. Mais on lit l’empreinte du génocide sur les survivants, l'habitude d’être confronté à ce spectacle horrible. Car, contrairement à l’holocauste, le génocide rwandais s’est déroulé partout où il y avait des gens, de la vie. C’est sur les charniers que l’on marche pour se rendre à l’école ou chercher à manger. Marie-France Collard  prend pour fil rouge le spectacle Rwanda 94, joué par le Groupov qui entremêle musique de chambre et témoignages de survivants. Si on peut craindre, au début du film, un spectacle filmé, on se laisse vite conquérir par la puissance des récits. Inévitablement, les survivants d'une telle catastrophe en viennent à éprouver, en plus de la tristesse et du traumatisme, un sentiment de culpabilité. Difficile de vivre avec ça. Il convient alors de rétablir la vérité historique et de montrer les véritables bourreaux. Ce que montre le documentaire, c’est cette nécessité de travail sur l’Histoire et la Culture. Une Histoire peu flatteuse pour les pays occidentaux. Un historien explique comment le lit du génocide fut creusé par les colons belges et français qui divisèrent la société rwandaise en deux ethnies, leur attribuant les titres de Hutu ou de Tutsi suivant d’obscures distinctions physiques. Ce fut aux Tutsis, minoritaires, que fut confiée la hiérarchie. 

Dès les années 50, un sentiment de révolte des Hutus commençait à se manifester. Non contre les dominants, mais contre les Tutsis. Les peines infligées aux coupables sont trop clémentes et des religieux, qui ont activement participé au génocide, vivent aujourd'hui une retraite paisible dans des paroisses européennes.Le film évolue comme on marche dans une église ou dans une bibliothèque. A l’écoute, à la recherche d’une vérité. « Il y a un proverbe chez nous : vivre au sommet implique une bonne compréhension des choses. Témoignez sur le génocide, et nous promettons de ne plus vous assimiler à ces autres blancs français, (il montre un adolescent) cet enfant-là, l’a compris. Il saura qu’il y a des blancs au coeur bon, qui peuvent panser les plaies. »  Il y a une part d’insupportable dans le contenu de ce film. Le spectacle tranquille du Rwanda d’aujourd’hui évoque l’horreur d’hier et nous renvoie au constat que l’humanité est très douée pour l’automutilation. C’est un film sans colère. Il est intemporel et s’adresse à l’humanité. Une humanité qui avait pourtant proclamé : « Plus jamais ça.»

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