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Salonique, ville du silence de Maurice Amaraggi

Publié le 10/11/2006 par Katia Bayer / Catégorie: Critique

Comment filmer une réalité disparue? En documentaire, la réponse est dans les traces : archives, vestiges, mémoire officielle et souvenirs personnels. Le passé abordé dans Salonique ville du silence se réfère à de tels indices tout en révélant une autre histoire que celle répandue par les mouvements nationalistes grecs. Maurice Amaraggi, le réalisateur, a cherché à restituer la vérité sur cette métropole qui lui est proche : « Pendant des décennies, je suis souvent revenu à Thessalonique mais sans rien voir. Ni mes parents ni ma famille en Grèce ne m’ont parlé du passé de la ville. Je savais que plusieurs communautés y vivaient et c’était tout. Seulement, il y a quelques années, en essayant de retrouver des images d’un oncle que je n’ai pas connu, j’ai commencé à lire des livres, notamment l’un des plus grands historiens des Balkans, Mark Mazower. A la même époque, j’avais lu dans « Le Monde » un article sur Salonique qui faisait complètement l’élision sur le passé ottoman et juif de la ville. On y parlait de l’empire byzantin et de l’époque actuelle. Il y avait donc 500 ans oubliés. Je me suis dit : "c’est tellement extraordinaire qu’on occulte ça". J’ai commencé à travailler là-dessus et j’ai eu envie de faire ce film. »

Salonique, ville du silence de Maurice Amaraggi

Longtemps, Salonique a vécu sous l’Empire Ottoman qui respectait son caractère multiethnique, résultat direct des immigrations successives. Venus d’Espagne, du Portugal comme du Nord de l’Europe, les réfugiés étaient nettement plus nombreux que les autochtones. Pendant un demi-millénaire, les Juifs vont toutefois représenter la communauté la plus importante au point que Salonique sera surnommée « la Jérusalem des Balkans ». De plus, la langue courante est le judéo-espagnol (et non le grec) et le jour de congé est le samedi (et non le dimanche). Cela dure jusqu’en 1912, date à laquelle la ville est annexée par la Grèce qui va progressivement instaurer les notions d’hellénisation, de nationalisme et d’orthodoxie.
Petit problème : si un lieu se révèle par ses annales, le souvenir collectif du passé de Salonique est fragmentaire. Si on sait qu’il a été byzantin, ottoman et grec, on a oublié qu’il était aussi juif. Certes, l’endroit a été traversé par des incendies, des bombardements et des tremblements de terre. Mais les constructions toujours existantes, accuse la caméra, sont laissées à l’abandon et à la décrépitude. Les autorités, préoccupées par le terme « modernisation », ne semblent pas se soucier de sauvegarder ces rares traces de cosmopolitisme. Cosmopolitisme qui est pourtant à l’origine de l’essor de la cité. Le réalisateur livre à cet égard : « Dans Salonique, beaucoup de monuments montrent l’Antiquité : dès qu’on trouve le moindre pan de mur qui permet de mettre en exergue le passé macédonien, on lance des fouilles, on arrête tout. Tout ce qui a trait à l’empire byzantin, à l’Eglise et à l’orthodoxie est mis en valeur. Mais ce qui a trait à 500 ans de vie et d’histoire passées sous l’Empire Ottoman a été effacé, à part deux ou trois bâtiments qui ont été préservés. »
Cette absence et ce silence passent aussi par des images de l’université de Salonique. Celle-ci n’y apparaît pas pour son ancienneté mais pour ses fondations qui recouvrent le cimetière juif de la ville, originellement connu pour être le plus grand et le plus ancien d’Europe. Sous l’occupation allemande, le lieu a été exproprié et a permis à la mairie de bâtir l’université. Amaraggi : « Rien, évidemment, aujourd’hui, ne rappelle l’histoire. Il n’y a pas de plaque commémorative. Si vous interrogez un étudiant sur le campus, il n’a aucune idée de ce qu’il y avait là, avant. (…) Les pierres tombales ont servi pour faire les pavements de la ville et à la reconstruction de la principale église. Ce silence est une seconde mort...».


Le souvenir passe aussi par le symbole...

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