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Seven Sisters de Tommy Wirkola

Publié le 01/09/2017 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Sept ça suffit!

2073. La Terre est surpeuplée. Afin de combattre la famine, des scientifiques ont créé des cultures génétiquement modifiées avec pour effet une augmentation drastique du nombre de naissances multiples. Le gouvernement américain décide d’instaurer une politique d’enfant unique, appliquée de main de fer par le redouté Bureau d’Allocation des Naissances, sous l’égide d’une ministre tyrannique, Nicolette Cayman (Glen Close). Les enfants « excédents », nés illégalement, sont arrachés à leurs familles et congelés dans un centre de cryogénisation, soit disant dans l’attente de jours meilleurs où la surpopulation ne sera plus un problème.

Seven Sisters de Tommy Wirkola

 

Confronté à la naissance de septuplées (et à la mort de sa fille en couches), Terence Settman (Willem Dafoe) décide de garder secrète l’existence de ses sept petites filles, physiquement identiques. Recluses dans un grand appartement, elles portent chacune pour prénom un jour de la semaine. Leur grand-père leur interdit formellement de sortir, à l’exception du jour correspondant à leur prénom (pas de chance pour la pauvre Dimanche, éternellement privée de shopping…) Devenues adultes, les sœurs partagent une identité unique, celle de « Karen Settman », une femme d’affaires sans histoires, et font croire au monde entier qu'elles ne sont qu'une seule et même personne. Chaque jour, une d’entre elles se rend au bureau et le soir, raconte en détails sa journée aux autres. C’est presque un miracle que leur secret perdure durant de nombreuses années. Mais l’ingéniosité de leur grand-père et un sens de l’organisation poussé à l’extrême leur permet de survivre et de s’habituer à ce drôle de train-train sans être soupçonnées. Bien entendu, un jour, tout s’effondre ! Lundi disparait sans laisser de traces. Ses six sœurs, démasquées, doivent tout mettre en œuvre pour la retrouver, mais une armée d’assassins les traquent, avec pour directive de les éliminer une à une.



Seven Sisters de Tommy Wirkola

 

De La Planète des Singes à Soleil Vert, en passant par L’Age de Cristal, V Pour Vendetta ou The Hunger Games, la science-fiction a toujours pris un malin plaisir à plonger le spectateur dans des dystopies quasi-irréalistes. Envisager le pire pour l’éviter, voilà le credo d’un genre particulièrement populaire dans le cinéma américain paranoïaque des années 70 post-Watergate. Signe des temps, à l’heure où un bouffon inconscient et ignare trône à la tête de la plus grande puissance mondiale, où la survie de notre planète semble réellement compromise, le genre fait son retour sur les écrans, grands (Hunger Games, Divergente) ou petits (Westworld, The Handmaid’s Tale). Une résurgence que l’on verrait d’un bon œil tant le genre, subversif par excellence, permet de réfléchir à l’état inquiétant de notre pauvre planète et de notre légitimité sur celle-ci. On regrettera néanmoins une tendance fâcheuse à transformer chaque film de science-fiction actuel en film d’action hyperviolent, comme si un de ces genres ne pouvait exister sans l’autre. Il faut donc tout le talent du norvégien turbulent Tommy Wirkola (Dead Snow 1 et 2, Hansel & Gretel : Witch Hunters) pour emballer dans l’allégresse ce pur produit de série B revendiqué comme tel, avec un un soupçon d’érotisme et une bonne louche d’humour noir. Avoir sept fois l’irrésistible Noomi Rapace au casting ne fait pas de mal non plus !… 

L’actrice suédoise découverte dans Millenium a la lourde tâche d’incarner les sept sœurs, différenciées par des tenues vestimentaires et des tempéraments divers : Lundi est sérieuse comme un pape, Mercredi est une femme d’action, Vendredi est l’intello de service, Samedi est sexy et délurée, Dimanche très discrète, etc. Avec sa petite taille, son charme androgyne presque enfantin, son visage rond terriblement expressif et ses aptitudes indéniables pour la distribution de coups de pieds dans la gueule, Noomi passe la majorité du film à réagir face à elle-même. Elle comble le manque de caractérisation des sœurs (des archétypes à la limite de la caricature) par l’étendue et la subtilité de son jeu. C’est bien simple, Noomi s’amuse comme une folle, multipliant les maniérismes, les tics de visage(s), changeant de langage corporel au sein d’une même scène au point où le spectateur sait toujours exactement à quelle sœur il a affaire. Même si le récit ne prend le temps de mettre en avant que trois ou quatre des soeurs, Noomi habite ses rôles avec une loufoquerie qui n’empêche cependant pas de prendre les personnages au sérieux quand la situation s’envenime. Des effets spéciaux aussi étonnants que discrets font le reste du travail : on ne peut s’empêcher d’être émerveillé lors de certains plans techniquement impossibles et donc « magiques » où quatre, cinq, six ou sept versions de l’actrice se donnent la réplique comme si de rien n’était, s’interrompant et passant l’une devant l’autre, avec un sens du photoréalisme poussé très loin.

Le concept original de Seven Sisters a beau se diluer dans des scènes d’action à rallonge inutiles, le scénario sait se montrer astucieux, notamment dans la représentation des souffrances subies par ses héroïnes. Ainsi, lorsque l’une d’entre elles, encore fillette, perd un doigt dans un accident de skateboard, leur grand-père, la mort dans l’âme, se voit obligé de sectionner le même doigt aux six autres afin de leur éviter d’être confondues. Un geste cruel mais destiné à leur sauver la vie… Cette séquence douloureuse est une manière assez subtile de montrer que les frangines, bien qu’ayant vécu les mêmes expériences depuis le berceau, peuvent réagir de manières diamétralement opposées, conscientes que la revendication de leur droit au libre arbitre risque de mettre les autres en danger.

Esthétiquement, le film de Wirkola se situe quelque part entre le futurisme discret de Blade Runner (des publicités gigantesques envahissent la ville et polluent les cerveaux) et la désolation de Seven, grâce à un style naturaliste et sombre, bien à propos pour souligner le fait que les crises auxquelles notre planète est confrontée ont figé une grande partie de la population dans le temps, sans grandes chances d’aller de l’avant. Ce ton désespéré permet au réalisateur d’aborder des thèmes de société comme l’identité, la famille et le sacrifice, mais aussi les difficultés de se forger son propre destin dans un monde où la conformité, l’obéissance, la cruauté et la bêtise règnent en maîtres. Comme de nombreux films de science-fiction avant lui, Seven Sisters démontre également que les bonnes intentions entraînent souvent d’irréversibles catastrophes. La politique de l'enfant unique n'est pas un cas de science-fiction, puisqu’elle fut appliquée en Chine entre 1979 et 2015. On estime que cette directive a empêché la naissance de 400 millions d'enfants. Pour le meilleur ou pour le pire ?

Le statut de pure série B de Seven Sisters ainsi que quelques incohérences dans l’écriture (difficile de faire tenir un concept aussi dense en deux petites heures) l’empêchent d’être un monument de la science-fiction ou même un grand film. Rien de vraiment neuf sous le Soleil Vert, nous disait un collègue à la sortie de la vision de presse, heureux de son bon mot… Mais lorsque l’on s’amuse autant, peu importe : Seven Sisters est un formidable divertissement, intelligent et décomplexé, une dose de pure adrénaline et la confirmation définitive, si besoin en était, que sept Noomi(s) valent mieux qu’une !

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