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Spit'n'Split de Jérôme Vandewattyne, découvert au BIFFF

Publié le 10/05/2017 par Malko Douglas Tolley / Catégorie: Critique

Avec son long-métrage Spit'n'Split, diffusé à guichet fermé au BIFFF (Brussels International Fantastic Film Festival), Jérôme Vandewattyne propose un moment de belgitude intense au spectateur. Si l'on se croit plongé dans un documentaire du défunt Strip-tease de la RTBF, il n'en est rien puisqu'il s'agit bien d'une fiction... Adepte, dès la première heure, de films comme Dobermann (1997) de Jan Koenen ou encore C'est arrivé près de chez vous (1992) de Rémy Belvaux, ce jeune réalisateur bruxellois se veut un représentant du cinéma libre.

 

Spit'n SplitC'est pour son travail de fin d'études avec la réalisation de She's a SLUT ! (2011) que Jérôme Vandewattyne gagne ses titres de noblesse grâce à la confiance que lui accorde le légendaire Freddy Bozzo. Il enchaîne avec le court-métrage Slutterball (2012), présenté dans le cadre du CollectIFFF.
Autodidacte talentueux, le Bruxellois tourne son Spit'n'Split (2017) avec un budget record de 4.000 euros. Attention, ce film est destiné à un public averti. Le cinéma libre proposé est volontairement sans censure. Mais derrière l'extravagance de certaines séquences, son approche se veut réflexive avec un questionnement sur la métaphysique de la vie. En suivant un groupe de rock dans une sorte de documentaire fiction, le jeune réalisateur veut montrer une réalité des choses qui n'est pas souvent dépeinte au grand public. On passe par la réalité, la fiction, le surréalisme, le tout en 87' minutes chrono.
Affreux de véracité, même si tout est faux, le spectateur est invité à suivre la tournée d’un rock band belge. Et loin de l’image d’Épinal que l’on s’en fait, le quotidien des artistes n’est pas fait que de strass et de paillettes. Ça gueule, ça crie, ça pète, ça s’emmerde et ça choque. Car oui, c’est bien là l’une des missions du cinéaste, choquer le public, même le plus averti.
Expérience sensorielle et narrative à la fois, le générique enflammé donne directement le ton. La citation d’Alfred Musset qui le ponctue en est la démonstration : « Tout le réel n’est pour moi que fiction. »
Durant les trente premières minutes du film, nous suivons les péripéties sur les routes des membres du groupe The Experimental Tropic Blues Band. Du salaire de concert au chapeau-boîte en passant par le baby-bamboo, la recherche de substances illicites et les nuits absurdes dans des squats aménagés, le spectateur est plongé instantanément dans l’envers du décor de la star attitude. On assiste en direct à une vraie démystification du symbole de la rock star. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela ne sent pas toujours la rose.
« C’est une chanson qui parle des Belges car, en Belgique, nous sommes un peu Weird », dit le chanteur du groupe lors d’un concert. Ce qui est sûr, c’est que le film de Jérôme Vandewattyne est un peu « bizarre ». Pour autant, des idées intéressantes sont disséminées tout au long de ce road trip hallucinant. « Weird », c’est quoi ? Les membres du groupe nous expliquent que c’est être différent, à sens contraire du mouvement général de la société. Que notre monde est tellement codifié que si l’on sort du code, on est catalogué comme bizarre. Mais, au final, n’est-ce pas une question de perspective ? Qui est vraiment « Weird »? Celui qui suit les règles aveuglément sans se poser de questions ou celui qui vit sa vie en fixant les règles qui lui sied ? Car oui, sous ses airs de film volontairement choquant et dérangeant, c’est la citoyenneté et la codification de notre société qui sont remises en question.
Avec la découverte de l’appartement de Rémy, un travesti bien connu du public underground bruxellois, le spectateur a droit à ce qui pourrait s’apparenter à une visite dans le « train fantôme » pour enlever les mots de la bouche du chanteur, bouche assez grande pour avaler un micro entier comme les images le prouvent. Rassurons les défenseurs des animaux, la couverture en fourrure de chat véritable dans laquelle Dirty Coq s’endormira a été confectionnée sans faire de mal à ces gentilles petites créatures à poils longs… on l’espère du moins !
Filmé caméra à l’épaule, ce long-métrage devient rapidement une expérience immersive. Mais la multiplicité de scènes et de plans peut parfois apporter un peu de confusion dans l’action. L'aventure musicale est toutefois au centre de ce film. Elle est exposée à l'état brut comme un voyage qui fait perdre la conscience pour approcher de l’état du divin. Ce moment où l’on ne fait plus qu’un tout avec le monde. Enregistré en stéréo, l’aspect sonore aurait par conséquent très certainement mérité de faire preuve d’une qualité supérieure. Mais vu le peu de moyens octroyés à Jérôme Vandewattyne et son équipe, on peut dire qu'ils se sont admirablement bien débrouillés.
Avec une apparition remarquée de Bouli Lanners et un finish filmé au drone perçu comme une véritable bouffée d’air après l'apocalypse, ce cinéma libre et direct en choquera probablement plus d’un. Si cette proposition libre et brutale ne conviendra pas à tous les publics, ce film arrive malgré tout à faire mouche à de nombreuses reprises avec beaucoup d'humour et une dérision typiquement bruxelloise. Du marrant au gore en passant par le contemplatif, on peut le définir comme un ovni dans le paysage cinématographique belge actuel.

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