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Sur le tournage de Combat de fauves, de Benoît Lamy

Publié le 01/02/1997 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

L'Amour vache

Nous sommes dans un studio de montage de la RTBF. Denise Vindevogel, la chef-monteuse, manipule la copie de Combat de fauves sur une Steenbeck 35mm stéréo. Benoït Lamy, le réalisateur, observe attentivement l'écran, formaté 1.85. Ça démarre avec un plan large, en plongée, sur Richard Bohringer couché dans un ascenseur et qui, manifestement, ne va pas bien. " Il est collapse ", remarque, pince-sans rire, Benoît Lamy. Ute Lemper l'observe, tandis qu'il lui dit off : " Je rêvais, c'était bien, je crois bien. Je me demandais ce que devenait un prisonnier dans son cachot... Je crois bien qu'il devient poisson ou oiseau ". Sourire d'Ute. On revient sur Bohringer : " J'ai vécu comme un idiot, beaucoup de bruit pour rien ! "

Sur le tournage de Combat de fauves, de Benoît Lamy

Contre-champ sur le visage d'Ute, avec la voix off de Bohringer : " Il fait beau dehors. En principe, par un temps pareil, il faudrait mettre le nez dehors, vagabonder dans les rues... " Soupir. Retour sur Bohringer affalé qui ressemble à un papillon épinglé par un collectionneur pervers.

Confrontation

Un film, c'est toujours l'histoire d'une confrontation, me dit le réalisateur, c'est un état de bonheur mais c'est également un état de conflit. Combat de fauves est l'histoire d'un homme coincé dans une cage, à la merci d'une femme manipulatrice. Ce qui est drôle, c'est qu'on se rend compte à la fin que la manipulatrice est elle-même manipulée. Tout le film est fondé sur une sorte de jeu social qui m'intéresse beaucoup parce que la société occidentale est un peu à bout de course et à bout de souffle et qu'on se rend compte que le panem en circences revient à l'ordre du jour. Ce qui est le plus exemplaire dans les rapports humains actuels, ce sont les jeux de couple à la télévision : on met Monsieur et Madame Untel en scène, on leur demande d'imaginer comment ils voient leur partenaire et ces gens se prêtent au jeu devant un public immense alors qu'on se rend compte qu'ils n'ont jamais joué à ce jeu dans l'intimité. Le jeu est devenu un spectacle. Les Américains sont très friands des jeux de couples. Tout ces jeux de l'amour et du hasard par télé interposée sont terrifiants."

Lorsque j'ai lu le livre d'Henri-Frédéric Blanc, c'est un des éléments qui m'a frappé, le côté duel cruel, le huis clos, l'affrontement de deux personnages extrêmes. C'est un duel élémentaire entre un homme et une femme qui vont jusqu'au bout de l'expérience, une sorte de raillerie ultime que deux êtres peuvent s'offrir et que je n'avais jamais abordé auparavant." Ce qui est très intrigant à la fois dans le livre et dans l'adaptation que nous en avons tiré Gabrielle Borile et moi, c'est que l'affrontement a lieu tant que les barreaux existent mais dès le moment où ils ne sont plus là, ces êtres sont complètement démunis et j'imagine que c'est ce qui se passe lors des jeux télévisés. La caméra dévoile tant de choses irréversibles que lorsque les gens se retrouvent à deux sur l'oreiller, il doit y avoir une détresse immense. Dans Combat de fauves, tant que la barrière est là, les deux êtres osent aller jusqu'au bout mais dés le moment où la cage s'ouvre, ils sont perdus car il y a une règle élémentaire qui leur échappe et se retrouver face à face devient épouvantable.

Manipulation

Richard Bohringer et Ute Lemper ont réussi à totalement s'investir dans leur pesonnage au point que pour se toucher ils avaient besoin des barreaux. Ils ont assimilé l'essentiel de l'enjeu : dans une situation extrême on accepte des choses qui, dans une vie simple, élémentaire deviennent impossibles à assumer pour des êtres amputés de dons d'affection, de marques d'affection.
" Le personnage masculin a ceci de particulier qu'il vient du domaine de la pub. Il fabrique des images, il joue avec les autres et avec lui-même. Et, au fil du film, on se rend compte qu'a force de croire manipuler les autres il s'imagine avoir le pouvoir, il utilise toutes les formes de manipulation pour sortir de la cage de l'ascenseur, que ce soit avec une bonne, un facteur, un jeune enfant ou le concierge africain. Il manipule tout ce qui l'entoure et espère même manipuler sa geôlière mais, à chaque fois, il rate son coup. Les gens déjouent son jeu parce qu'il n'est jamais lui-même sauf à la toute fin du film où il commence à être un être à part entière et plus un manipulateur et là, il devient crédible et attachant. La scène que tu as vue est celle où il commence à devenir attachant. "

Fin de la séquence. La voix de Benoît se superpose à celle éraillée de Bohringer : " Denise, on essaie la scène en gros plan? - Oui, ça risque d'être plus fort ". Cut. " C'est un moment crucial ", me glisse Benoît. On change de bobine, on recharge, Denise cale la bande son et la bande image, le plateau entraîne la pellicule, les chiffres rouges du compteur image défilent à toute vitesse accompagnés d'un miaulement strident dû au frottement du celluloïd sur les noyaux en plastique, s'arrêtent, et le visage de Bohringer apparaît sur l'écran tandis que sa voix reprend : " Je rêvais... "

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