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Sur le tournage de "Le chevalier blanc", le premier court métrage réalisé par Bernard Yerlès

Publié le 15/06/2015 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Il l'a dit, il l'a fait. Bernard Yerles passe de l'autre côté de la caméra et réalise son premier court-métrage Le Chevalier blanc dans le Hainaut. Acteur de théâtre en Belgique, acteur bien connu de cinéma et de télévision en France, notre compatriote connaît déjà bien les ficelles du métier. 

Pour ce premier projet, il endosse à la fois les rôles d'auteur, de réalisateur, de coproducteur et même d'acteur (secondaire) à côté de sa femme, Laeticia Reva, de Jean-Michel Vock et de Fabrizio Rongione. Mêlant réalité et fantasmagorie, Bernard Yerles parle d'un couple qui, à travers un moment de crise, s'interroge sur la relation amoureuse qui bascule tout le temps entre la passion et la raison.
Cinergie : D'où est née l'envie de passer derrière la caméra ?
Bernard Yerlès : Cela faisait longtemps que j'avais envie de réaliser et d'être le porteur d'une histoire, d'en être à l'origine jusqu'à la fin d'une création. J'ai fait de la mise en scène de théâtre donc j'avais envie aussi, quand je tournais sur les plateaux de cinéma ou de télévision, de me mettre de l'autre côté de la caméra et c'est tout naturellement que cette envie est montée en moi avec les années. Mais, j'ai eu besoin d'attendre un peu, de prendre le temps surtout de trouver une bonne histoire à raconter et de bien l'imaginer. La mise en scène de cinéma, c'est un vrai métier qui ne s'improvise pas. Je suis un jeune metteur en scène qui a encore beaucoup de choses à apprendre. 

C. : Qu'est-ce que cette expérience a de particulier ?
B. Y. : Je découvre des tas d'aspects, je les connaissais, mais les vivre vraiment, c'est très différent et tellement enrichissant. Je découvre tous les paramètres à gérer entre le "action" et le "coupez", cet espace temps où tout le monde s'affaire qui me fascinait déjà en tant qu'acteur. Maintenant, c'est moi qui gère tout ça et ce nouveau rôle me permet de comprendre certaines choses, notamment pourquoi on attend beaucoup en tant qu'acteur.

C. : C'est une histoire que vous avez écrite vous-même ?
B. Y. : Oui, elle est venue d'une partie autobiographique et après ça, elle s'est développée, elle est devenue totalement fictionnelle. C'est l'histoire d'un homme qui découvre que sa femme vit une relation amoureuse, mais ils acceptent cet état de fait tous les deux et, ce faisant, ils traversent un certain nombre d'émotions, de discussions et ça m'amène moi à montrer une histoire amoureuse qui évolue, qui se transforme et ces questions qu'on se pose, ces passages entre la raison et la passion qu'on traverse tous. Ces pulsions profondes sont représentées par la partie fantasmagorique du film où il y a un chevalier blanc qui galope dans les plaines à la poursuite de sa princesse qui s'est échappée. Comprendra qui voudra. Et je veux raconter cette histoire sur plusieurs strates de récits car il y a énormément de non-dits et de projections fantasmagoriques dans le film. On peut dire : "J'accepte que tu aies un amant" et en même temps penser qu'on est un chevalier blanc et qu'on coupe la tête de l'amant. Ce que je veux montrer, ce sont les contradictions des êtres. 

Sur le tournage de Sur le tournage de

C. : En prenant le rôle du réalisateur, est-ce que votre regard sur le plateau est différent ? Est-ce que vous décortiquez le film d'une autre façon ?
B. Y. : Ce film, je le connais par cœur, je l'ai écrit et réécrit. Romain Ferrand, le chef opérateur, a aussi son apport dans le film dans sa manière de filmer. Le dialogue continue d'exister. Mais, le fait d'être derrière la caméra m'oblige à prendre en compte énormément d'éléments pour arriver à ce que je veux faire. Souvent, l'acteur a le travail prémâché, c'est une position confortable et je m'en rends de plus en plus compte.

C. : Quelles sont vos références cinématographiques pour ce film-ci ?
B. Y. : Babel d'Iñárritu, Collision de Paul Haggis, Magnolia de Paul Thomas Anderson. J'aime ces récits un peu déstructurés mais qui finissent par nous raconter quelque chose. Un peu comme les BD de Régis Franc, que je connais depuis longtemps, où on se demande toujours où on est, mais on est pris dans un récit qui avance et ce n'est qu'à la fin que la résolution totale se fait.

C. : Cette expérience est-elle un nouveau tournant dans votre carrière ?
B. Y. : Un tournant, pas vraiment, mais je trouve cette expérience extrêmement enrichissante. En tout cas, j'aimerais que ce film soit réussi. Cela va me permettre d'en faire une carte de visite, montrer aux gens que je peux aller plus loin et que je pourrais éventuellement tourner un long-métrage. J'ai de la matière dans mes tiroirs, il suffirait que je trouve des gens pour m'aider à finaliser les écritures.

Rencontre avec Jean-Michel Vock, le mari dans le film, l'alter ego de Bernard, la projection de ses fantasmes, de ce qu'il a pu être, de ce qu'il sera.

C. : Est-ce différent de se faire diriger par un comédien ?
Jean-Michel Vovk : Le transfert d'information est beaucoup plus direct, beaucoup plus simple. Nous avons la même façon de nous exprimer, de comprendre les choses. À mon sens, le travail va beaucoup plus vite même quand il y a des situations un peu compliquées, des humeurs et des états à amener. Par exemple, concernant la psychologie des personnages, c'est beaucoup plus simple avec Bernard, car nous sommes amis depuis plus de trente ans, nous avons eu l'occasion de travailler ensemble au théâtre, ce qui a permis d'établir une relation de confiance entre nous.

C. : Quelles sont les références qu'il vous a données pour préparer votre personnage ?
J.-M. V. : Il m'a donné des explications sur ses conflits intérieurs. Il l'a exprimé de manière très simple en sachant que la situation de cet homme est très complexe parce qu'elle est mêlée de désir, de jalousie et éventuellement de petite manipulation. Mais qui manipule qui ? Est-ce que c'est de commun accord que cet homme et cette femme vivent la situation dans laquelle ils sont plongés ? C'est le film qui développera tout ça. De manière générale, on travaille de façon fragmentaire, par blocs, parce que le film est écrit ainsi, avec des flashbacks. On travaille situation par situation sans vouloir une continuité psychologique qui soit bien inscrite.

C. : Comment évolue votre personnage pendant le film ?
J.-M.V. : Son évolution est assez difficile à décrire. Ce gars vit cette relation avec sa femme de manière difficile, mais elle est acceptée et je crois qu'au final il n'y a pas de dénouement véritable. Mais si on veut vraiment dresser une courbe du personnage, je crois qu’il se retrouve un peu en paix avec lui-même et avec cette relation, si pas conflictuelle en tout cas compliquée, entretenue avec son épouse, sa femme, sa concubine, on ne sait pas trop. C'est au spectateur de tenter de suivre ce cheminement.

C. : Quelle serait la conclusion ?
J.-M.V. : De conclusion morale, je ne pense pas qu'il en existe. De conclusion narrative non plus. D'autant plus qu'on parle du point de vue d'un enfant. Ce qui rajoute un peu à la complexité de la structure de ce court métrage.

Rencontre avec Laetitia Reva, actrice et épouse de Bernard Yerlès.

Cinergie : Qu'est-ce que ça fait d'être dirigée par son mari ?

Laeticia Reva, actrice et épouse de Bernard Yerlès

Laetitia Reva : On l'a déjà fait au théâtre plusieurs fois donc on sait très bien comment fonctionner lui et moi et j'aime beaucoup ça, c'est très agréable. Le fait d'avoir vécu la genèse de l'écriture, du projet, fait que je n'arrive pas avec la même tension que lui mais, en tout cas, la même excitation et la même envie. Jusqu'à présent, ça se passe très bien. Et je suis très contente parce que c'est lui qui va jouer avec moi les scènes hot puisqu'il joue un de mes amants !

C. : Parlez-nous de votre personnage.
L.R. : Dès la première lecture, je me suis dit que cette femme était un fantasme féminin. C'est difficile car elle n'a pas vraiment de caractéristiques. Je ne sais pas très bien qui elle est en dehors de ce fantasme de vie, de sexualité, vivre des aventures extraconjugales et, en même temps, c'est quelqu'un qui aime son mari, qui est dans l'amour. On comprend dans le scénario que ça fait 20 ans qu'ils sont mariés, elle et Jean-Michel, ils ont des enfants et ils sont épanouis. Et cet aspect me plaisait, il ne s'agissait pas seulement d'une histoire d'adultère. C'est un pari assez osé, je pense que le traitement de l'axe de la fidélité est assez beau. Sans compter le fait de faire référence aux années 1970 et à cette fantasmagorie du chevalier blanc sur son cheval qui coupe les têtes des amants et sauve sa princesse !

C. : Comment avez-vous suivi l'évolution de l'écriture ?
L.R. : Bernard a écrit son scénario seul. Par contre, il a commencé l'écriture il y a au moins cinq ou six ans, et ça a évolué et même pendant le tournage, ça évolue encore. Il n'est pas figé dans son écriture : étant acteur lui-même, il sait très bien ce que ça veut dire de remettre des mots en bouche, que ce soit fluide. On fait de petits aménagements au cours du travail et on évolue tous ensemble.

D.B. : Est-ce que c'était important que vous participiez à ce premier projet de réalisation ?
L.R. : Oui, on s'est vraiment posé la question parce qu'effectivement ce projet date d'il y a quelques années, quand j'avais la petite quarantaine triomphante et magnifique. Il l'avait vraiment écrit pour moi. Je vais avoir 50 ans donc on s'est vraiment posé la question. Une femme de 40 ans ne raconte pas la même chose qu'une femme de 50 ans. Je voulais qu'il soit sûr de son choix car quand on réalise un premier film, en étant aussi producteur, c'était beaucoup d'investissement. Je suis assez fière et heureuse qu'il ait fait ce choix et c'est évidemment une belle preuve d'amour et de confiance. De plus, dans cette industrie du cinéma du beau, du jeune, pour les actrices de mon âge, les rôles se raréfient. C'est une période peu évidente dans la vie des actrices. Je trouve ça bien qu'il veuille raconter cette histoire dans un couple plus mûr qui a déjà un vécu et qui, pour autant, continue à s'exciter et à vivre leur histoire d'amour de manière vivante.

C. : Est-ce que vous vous investissez plus dans ce film-ci ?
L.R. : Non, je ne pense pas. Mais c'est une des premières fois que j'ai un des rôles principaux dans un court-métrage. C'est très agréable car on part dans l'aventure de huit jours avec tout le monde dans le même projet. C'est un plus gros investissement qu'un tournage d'un jour ou deux. Et je veille un peu au grain sur le tournage puisque je suis aussi productrice du film et j'ai envie que tout se passe bien. 

 

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