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The pedicure trial de Jessica Champeaux

Publié le 01/09/2012 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Un petit régal que cette pédicure procédurière mise en scène par Jessica Champeaux. On s’amuse beaucoup d’un procédé cinématographique tout simple : les pieds de la réalisatrice gigotent en bas de l’écran tandis que sa mère s’active sur les plus très petits petons, à poncer, vernir, couper… Et un dialogue commence entre les deux femmes rapidement rejointe par une troisième. Et là, ça tire à vue. Attention, il s’agit ici de règlements de comptes entre femmes. Et ça mitraille à qui mieux mieux !

Que va être ce film, s’interroge Sherry devant la caméra de sa fille ? Un film d’action ? Non, un film de guerre, rétorque Jessica… Et en effet, si la guerre qu’on pressent, débarque bel et bien, ce n’est pas entre Sherry et Jessica, chacune d’un côté de la caméra, mais avec le troisième protagoniste qui vient d'entrer en scène, Dorothy, la grand-mère. Entre les trois femmes, la parole commence à circuler, et les petits commentaires à fuser. À partir du savoir de Sherry autour de la pédicure, de ce moment de soin entre mère et fille, la question de ce qui se transmet entre les femmes d’une même lignée émerge. Et les langues se dénouent... Sherry, toute à son travail, déballe peu à peu son sac et cloue sa mère au pilori tandis que celle-ci se défend, se venge, se tait, reprend la parole… Devant la caméra frontale, le procès s’engage autour d’arguments, de jugements lapidaires, de rafraîchissements de mémoires, et de masques arrachés, remis, retombés, recollés, retirés à nouveau. Tout cela est d’autant plus savoureux que l’enjeu de la scène est celui des jeunes pieds à relooker. La caméra va et vient entre les trois personnages, le visage de la grand-mère dont elle se rapproche peu à peu, les mains de la mère qui travaillent, et son corps qui entre et sort du cadre, les pieds de la fille qui se laissent faire. Jessica Champeaux, derrière sa caméra, questionne, interroge, prend parti, régule la parole qu’elle met à plat, tentant d’évacuer la tension, de mettre de l’humour dans les positions qui se crispent. Si l’irruption de cette parole est inattendue, la jeune femme se révèle très fine réalisatrice dans sa manière de la faire circuler et d’orchestrer ces échanges, agent faussement neutre qui, par son humour, ses tentatives d’apaisements, ses plans qui se rapprochent, de l’une ou de l’autre, occupe absolument sa place et endosse le rôle de catalyseur du conflit que la caméra vient d’embrayer.

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