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Thierry Knauff : Solo + à Mains Nues

Publié le 12/01/2007 par Dimitra Bouras et Sarah Pialeprat / Catégorie: Entrevue

Michèle Noiret est danseuse et chorégraphe. Sa recherche sur le mouvement est une tentative d'inventer un langage poétique, troublant et sensuel. Le cinéma de Thierry Knauff, est lui aussi un langage, une recherche constante de la musicalité. De cette rencontre, deux films sont nés, Solo et à Mains nues.
Avant la sortie nationale de ce diptyque au Flagey (17 janvier 2007), le réalisateur Thierry Knauff a accepté de répondre à nos questions. Ce cinéaste hors des sentiers battus, des catégories pré-établies et des genres, nous livre ici deux films inclassables autour de la chorégraphe. A la fois autonomes et complémentaires, d'une émouvante beauté, les deux films sont une tentative de parler du monde, d'être au monde.

Portrait de Thierry Knauff

Cinergie : Lorsqu'on regarde votre filmographie, il semble y avoir une orientation personnelle, des choix de sujets très particuliers. Diriez-vous que vous faites des documentaires ?

Thierry Knauff : Au fil du temps, mes films ont reçu des étiquettes multiples, sûrement par facilité, peu importe les raisons. Je pense que les étiquettes n'ont pas vraiment d'importance, car ça ne correspond pas à la nécessité de celui ou celle qui tente la chose et encore moins de celui ou celle qui la reçoit. Pour moi, les choses sont mêlées de façon permanente. Ce qui compte, c'est de faire un film. A chaque film, il s'agit de tenter une nouvelle expérience, une expérience de cinéma et de vie. Il ne s'agit pas de faire des films "sur", il s'agit d'essayer de vivre pendant le temps d'un film d'une autre façon.
C : Vos films sont donc des oeuvres d'art en soi ?
T. K. : Je ne sais pas, mais disons que je tente de faire quelque chose qui ne peut être qu'un film. Quand on regarde l'effort que ça nécessite, l'investissement de  temps, la mobilisation des personnes, la sollicitation financière, toutes les contingences, qu'elles soient atmosphériques, psychologiques ou autres, bref, tous ces efforts montrent qu'il y a comme une nécessité à le faire, sinon, on ne s'investirait pas autant, on trouverait des moyens plus faciles.
C : Mais, tel un peintre, vous choisissez votre palette, une palette à base de noirs et de blancs.
T. K. : On parle de noir et blanc, mais il y a des noirs, des blancs, et puis toute une gamme, infinie, de gris entre les deux. Alors pourquoi aller ailleurs dès lors qu'il y a déjà tant de possibilités, de variations ? C'est un choix évidemment comme celui d'un musicien qui choisit son instrument. Trouver le son, son propre son, c'est déjà l'objet d'une vie.
C : Vous avez consacré plusieurs films à la musique, et même lorsque ce n'est pas le cas, elle semble toujours avoir un statut particulier.
T. K. : Tous les arts rêvent de faire de la musique, quels qu'ils soient. Quel que soit le film tenté et quelle que soit la manière de l'aborder, il y a, d'une façon plus ou moins évidente, plus ou moins souterraine, des questions de rythmes, des possibilités de variations, des confrontations permanentes à un certain nombre de phénomènes qui permettent au cinéma d'approcher un peu la musique. Que le film soit manifestement ou non consacré à quelque chose de musical, la façon de le faire peut être un tant soit peu musicale. Un film est à chaque fois l'occasion de faire émerger une sensation, une émotion, un sens.
C : Comment s'est passée la rencontre avec la danseuse Michèle Noiret ?
T. K. : Nous nous sommes rencontrés il y a quelques années en France lors d'une manifestation consacrée à la forme brève. Il y avait différents artistes, des acteurs, des conteurs, des musiciens. En musique, la forme brève possède ses spécificités propres et on m'avait invité pour mon film sur le compositeur viennois Anton Webern, qui a influencé la musique contemporaine et a travaillé sur cette forme spécifique. Parmi les participants, il y avait le régisseur du spectacle de Michèle Noiret et il m'a proposé d'assister au spectacle. Après la représentation, nous avons échangé quelques idées elle et moi, et le lendemain, je suis retourné la voir. Je me suis aperçu qu'elle avait tenu compte de notre échange de la veille dans son spectacle. Un musicien, une danseuse, un comédien peuvent encore reprendre le travail au moment même où il est donné aux autres. C'est une des possibilités, une des chances des arts de la scène de pouvoir en permance retravailler, alors qu'au cinéma, une fois le geste posé, il est arrêté, il est donné une fois pour toute. C'était quelque chose qui nous intéressait beaucoup Michèle et moi. Très vite donc, une amitié est née, puis les projets communs et la réalisation de ces deux films.

Portrait2 de Thierry KnauffC : C'est cette fragilité, cette éphémerité qui vous a séduit?
T. K. : Au moment où j'ai rencontré Michèle, elle présentait son spectacle Solo Stockhausen. Michèle avait collaboré des années avec ce compositeur et au moment où je l'ai rencontré elle avait déjà trouvé un chemin personnel. Quand nous avons envisagé de travailler ensemble, il n'était pas question de refaire quelque chose qu'elle avait déjà fait ou de capter ce spectacle sur scène, nous voulions tenter un film. Quand on regarde un tableau, qu'il soit figuratif ou non, c'est toujours une question de matière sur une toile, agencée selon un certain rythme, un souci d'oppositions ou de variations, une attention à la lumière etc. C'est la même chose pour moi au cinéma. C'est très difficile pour moi d'expliquer ce travail. Si je dis que je tente un poème cinématographique, le mot déjà fait peur. Je ne peux pas le raconter. Je dirais que c'est une variation d'une heure en deux temps, le premier temps s'appelle Solo, le second temps à Mains Nues. Ces deux temps sont à fois autonomes et complémentaires.
C : Ces deux "variations" comme vous les appelez forment pourtant au final deux films très différents.
T.K : Bien sûr, la répétition n'a d'intérêt que si elle engendre très vite la variation. Il y a aussi beaucoup de variations à l'intérieur même de chacun des films. Les deux films se sont tournés en continuité. Chaque soir, Antoine-Marie Meert et moi, nous concevions la lumière et les déplacements de caméra et chaque matin, nous proposions la nouvelle étape à Michèle, nous nous ajustions mutuellement. Le cinéma impose une certaine lourdeur et la danse demande une certaine immédiateté. Elle devait préparer son corps à produire cet effort pendant que l'équipe technique se préparait, elle, à recueillir cet effort. Il fallait être prêt à accueillir l'imprévisible en quelque sorte.
C : Mais il y avait un canevas précis avant de commencer le tournage ?
T. K. :
Oui, il y avait une trajectoire convenue entre Michèle et moi, la trajectoire d'une femme, de cette femme que l'on voit dans le film, mais ce canevas était à la fois respecté et chaque jour réadapté, transformé au gré de ce qui était possible au moment même. Au-delà de la préparation, il fallait se rendre disponible à l'imprévisible, et c'est lorsqu'on est disponible que les choses deviennent possibles. Car ce qui importe, c'est d'être touché. Est-ce qu'au terme de ce trajet le film vous atteint ? C'est là, pour moi, la question essentielle.
C : Michèle Noiret a son public, vous avez le vôtre, deux publics différents peuvent ainsi se rencontrer ? Est-ce que vous avez déjà organisé un double spectacle avec la danse et le film ?
T.K. : Tout à fait. On a déjà mêlé les deux, le spectacle de Michèle d'abord et le film ensuite, c'est ce que l'on a proposé l'année dernière à Cork, en Irlande. Michèle dansait sur scène son Solo et le spectacle était suivi du film Solo. C'était intéressant car pour une fois, le public avait la chance de pouvoir mesurer la différence et les similarités entre les deux. Les différences sont multiples, et il a fallu en tenir compte pour aller l'un vers l'autre et pouvoir faire ce travail commun. Par ailleurs, les deux projets ont en commun ce souhait de musicalité.
C : Vous êtes jusqu'au-boutiste, et très attentif, même à la qualité de la projection.
T.K. : Si pendant tout le temps de fabrication tant de gens ont donné leur énergie, leur coeur pour tenter de faire quelque chose, et je pense ici au travail d'Antoine-Marie Meert pour la lumière et le cadre, à Vincent Fauvel le chef électricien, à Yvan Bruyère pour le décor, Bruno Tarrière pour le son et tous les autres, si tous ces gens donnent tout ce qu'ils peuvent, il serait absurde de ne pas se soucier de savoir comment le film va être projeté. Une exposition de peinture se fait rarement sous la pluie ou sous les néons, il faut créer de bonnes conditions, pour moi, c'est la même chose au cinéma. Pour moi, le travail du projectionniste fait partie du film, et cela, quel que soit le film. On ne doit jamais oublier que des gens sont venus voir le film, qu'ils se sont déplacés. J'ai envie de dire que ces films sont là et ils vous appartiennent.
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