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Thierry Zamparutti : la programmation et de l'exploitation d'une salle de cinéma en Wallonie

Publié le 01/04/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Après Alain de Halleux et Pierre-Paul Renders, dont les propos ont été publiés dans nos précédents webzines, nous avons demandé à Thierry Zamparutti de nous parler de la programmation et de l'exploitation d'une salle de cinéma en Wallonie. L'existence de salles indépendantes des grands réseaux ou des multiplexes est, en effet, capitale pour permettre au public de rencontrer autre chose que le cinéma " mainstream " d'outre-Atlantique, voire simplement de découvrir, ailleurs qu'à la télé, le cinéma "bigger than life".

 

 

Thierry Zamparutti

 

Cinergie : D'où te vient cette passion pour les salles de cinéma de quartier ?

Thierry Zamparutti : Quand j'étais gosse, à Athus, dans le fin fond du Sud-Luxembourg, je fréquentais déjà les deux salles de cinéma qui existaient. C'étaient des lieux un peu troubles et magiques à la fois : sombres, vieillots, quelquefois chahutés, surtout au balcon. Chaque semaine au changement de programme, et dès que j'en avais la possibilité, j'allais découvrir les images des films du week-end, d'autant plus motivé encore que certaines montraient des seins affublés de grosses gommettes rouges et autres choses licencieuses.
J'apprenais ainsi qu'un cinéma était le lieu de certaines " libertés ". Ceux qui en manquaient s'y cachaient tant bien que mal et lorsque la crise de la sidérurgie de 1974-1976 vida de ses forces vives une bonne partie de la région, je pense que ce ne sont pas que des lieux de commerces " culturels " que l'on ferma, mais un imaginaire fertile lié aux coins sombres dont on rit encore aujourd'hui. Ces lieux m'ont donc intrigué et amusé et, bien plus tard, je compris qu'ils m'avaient profondément marqué. Une longue période s'écoula. Le cinéma le plus proche, logé dans un hypermarché, n'était accessible qu'en vélo, seul engin d'indépendance encore possible pour les moins de dix-huit ans.

L'atmosphère du mini-complexe s'installait déjà et je sentais qu'une âme se perdait. Le plaisir n'était plus le même. Les aînés dans leur voiture du samedi soir rendaient les lieux plus éthyliques, plus agressifs, plus " mûrs ". De plus, l'accueil aseptisé finissait par nous faire regretter le charme d'une salle de petite ville.
Voilà en partie ce qui m'a amené à m'intéresser davantage, tout au long de mes études supérieures, à des salles de quartier, de proximité. Bizarrement, certains films devenaient quasiment invisibles dans ces lieux pourtant autrement plus accueillants. Du moins, c'était mon impression. Des mois après en avoir entendu copieusement parlé à la télévision, ou après en avoir décortiqué les critiques, apparaissait enfin l'oeuvre dépouillée de tout suspense. Ici et là, j'ai découvert l'univers d'un circuit de plus en plus parallèle : celui de la province. Et dans un petit pays comme le nôtre , cela a au moins le mérite d'intriguer.

C. : Tu ne penses pas que l'apparition des salles multiplexes a permis de diffuser davantage de films ?
Th. Z. : Il faut avoir vu les grands complexes pousser comme des champignons, déshumanisant le septième art pour le transformer en un circuit touristique spécial Belgo-Tacos, où le profit se cherche plus dans l'absorption massive de friandises en sachets bruyants et de boissons à roter que dans cet art lui-même. Pour autant que d'art il puisse encore être question. Parce que la machine à sous donne du foin à manger à un certain bétail qui, pressé par des impératifs de rentabilité, est stocké comme des vaches folles dans vingt-six étables à pop corn, et il est connu, et reconnu encore davantage aujourd'hui, que ce n'est pas grâce à la qualité que l'on grandit.
La surenchère a donc dépoussiéré les différentes classes de spectateurs. Les distributeurs en sont pour leur frais : ils faut gagner de l'argent rapidement. Ils misent tout sur les grosses structures. Le bouche à oreille étant trop lent, le petit exploitant doit programmer juste, pour le quartier, pour les fidèles, pour les éventuels paumés à la recherche d'autres accueils, d'autres rencontres. Quant au confort, il est assez semblable de salle en salle. C'est la technique qui souffre le plus. Les moyens manquent dans les petites infrastructures et cela pousse à un certain transfert de spectateurs d'un endroit vers un autre plus dernier cri.

C. : Si nos informations sont exactes, tu as commencé à t'intéresser à la programmation cinématographique à Namur ?
Th. Z. : Lors d'une année en kot, son propriétaire m'invita dans une salle au balcon encore rempli de fauteuils en bois, à la cabine de projection d'avant-guerre, au son brut provenant de l'écran. Le Forum de Namur m'a chaviré. J'y ai assouvi mes envies d'animation, d'organisation, de diversité, en assumant successivement les fonctions de caissier, de projectionniste, d'entremetteur entre musique et cinéma, de.... Je me souviendrai longtemps de ce musicien russe entamant à la guitare quelques morceaux choisis juste après Urga. J'y ai vécu l'atmosphère de mon festival du film d'environnement, organisé pendant mon service civil. J'y ai probablement trouvé ce que je cherchais : un VRAI cinéma ayant une âme pour y partager des plaisirs cinématographiques, où les défauts et inconvénients prenaient des allures d'aventure, et non pas un parc d'attraction.
Il y avait néanmoins un problème : je n'étais pas chez moi, et mes ambitions n'étaient pas nécessairement celles des gestionnaires. Peut-être y avait-il trop de rêves...
Une autre tentative de vivre en salle de cinéma se solda par un échec. Naïf, je pensais à tort qu'un petit complexe comme l'Eldorado de Namur pourrait s'accommoder de mes motivations. Ce n'était certes pas une salle d'art et d'essai mais il me semblait encore peu perverti par l'esprit des mégacomplexes. Des ouvreuses tant bien que mal sympathiques selon les jours et les pourboires, donnaient malgré tout une touche un peu plus humaine à cette structure familiale.

C. Tu a enfin découvert une salle dans ta région natale que tu as pu réouvrir ?
Th. Z. : Oui, le 15 décembre 2000, j'ai réouvert l'ancien Caméo de Ciney.
Pas de grands tralala, pas de fêtes... Juste une réouverture avec les moyens du bord. Un saut dans l'eau pour redonner vie à un endroit indépendant, fermé depuis sept mois. Une tentative de résistance au méga, giga et autre écrans de Wallonie dont la gourmandise malsaine aura permis de mettre en difficulté les exploitants du Luxembourg notamment.
Comme je fournissais des courts métrages au ciné-club qui résistait tant bien que mal certains jeudis, j'avais eu vent des problèmes de gestion qui menaçaient le Caméo. Le bâtiment dans son ensemble était très vétuste, mal entretenu. Il disposait de deux salles de 287 et 70 places. D'innombrables pièces, grandes et petites, donnaient à penser que le lieu avait accueilli d'autres activités, peut-être scolaires, et de nombreux endroits sortaient tout simplement de l'ordinaire. Les cabines de projection renfermaient de petits trésors dont quelques Bauer B8 et B12, en état de marche ou presque. Bref, il n'en fallait pas plus pour imaginer refaire le monde à cet endroit.
Après la fermeture du Caméo, j'ai invité un ami, Jacques Noël de l'ASBL Grand Angle (qui gère une salle à Nismes et édite des périodiques et ouvrages sur le cinéma), à me rejoindre et à proposer, lui à la gestion, moi à l'animation, une reprise de l'ensemble du bâtiment. Son propriétaire, le Doyenné de Ciney, y a certainement vu la garantie d'une démarche culturelle alliant qualité, diversité et souplesse et a accepté. Le ciné-club déjà existant a donc réintégré sa place le jeudi soir et nous avons pris le parti de programmer dans une salle en deux phases : la première, plus commerciale, destinée à donner un coup de publicité à l'existence du nouveau Ciney-Chaplin ; l'autre, d'ici quelques mois, plus qualitative, plus entreprenante, destinée à " éduquer " (sans paternalisme) le public. J'entends par là, pour reprendre le constat de Pierre-Paul Renders, qu'aujourd'hui, de manière réaliste, les 102 Dalmatiens, nous permettent de survivre tout en attirant du monde, et que Thomas est amoureux fera le plein de spectateurs lors de la séance de ciné-club qui lui sera consacrée. Mon espoir - naïf ?- étant qu'à moyen terme, le second film de Pierre-Paul puisse intéresser les spectateurs sans qu'il soit nécessaire de le présenter dans un contexte particulier. J'ai conscience que cela relève de la gageure mais qui ne risque rien n'a rien.

C. : Tu parles de P.-P. Renders qui avoue être perplexe face à la stratégie de distribution de Thomas est amoureux mais également pour le cinéma en général ?
Th. Z. : La politique de distribution me sidère.

1. Les copies ne sont disponibles que pour les complexes dans un premier temps. On joue des coudes dans les circuits de diffusion. On parle, pour reprendre le terme repris par l'Annuaire de l'Audiovisuel de la Communauté française de Belgique, de " Groupe " Rastelli, Hemelaer, Hanne ou Kinépolis, etc. Les autres exploitants n'étant pas prioritaires ou devant se regrouper pour avoir plus de poids.

Alors, si par malheur vous vous trouvez à 25 ou 30 km d'un représentant des " Groupes ", il faut être patient, fin négociateur. Il faut prouver rapidement la valeur de votre salle. Et à la fois, les distributeurs ne vous en donnent pas les moyens. Pourtant, même auprès des compagnies américaines, certaines bonnes surprises peuvent se présenter. Mais est-ce pour calmer le jeu ?

2. La plupart des films sont projetés dans les salles dans des laps de temps ahurissants. Comment permettre au public de se retourner lorsque, après une semaine, l'affiche change déjà ? Pourtant, je me souviens d'une belle aventure qui profita à Shine. Le Vendôme avait pris le risque de le garder et de travailler sur la durée. Shine rencontra un succès mérité. C'est aussi ce cinéma qui a gardé Thomas est amoureux le plus longtemps à Bruxelles. Ailleurs, la surenchère empêche la découverte laissée à la seule appréciation des salles d'art et d'essai, avec les moyens que l'on connaît.
Je connais régulièrement cette situation à Ciney. Par exemple, Harrison's Flowers n'attire pas les foules mais, malgré le manque consternant de matériel promotionnel chez le distributeur et le caractère peu invitant du titre, j'ai envie de le défendre. Les quelques spectateurs qui l'ont vu et apprécié sont les meilleurs garants d'une bonne promo mais elle est inadaptée au secteur. Il faudrait garder le film plusieurs semaines avant que le bouche à oreille fasse son effet. Nous avons connu le même problème avec Wonderboys et Ça ira mieux demain. C'est naturellement désolant. J'aurais aimé programmer Thomas est amoureux, Pleure pas Germaine, l'Amour en Suspens et d'autres, mais je sais qu'aujourd'hui cette démarche serait vouée à l'échec et qu'il nous faudra un peu de temps pour trouver le bon rythme, ouvrir la seconde salle et atteindre les objectifs qui me sont chers.
J'émets le souhait qu'à moyen terme nous puissions donner à ce lieu une atmosphère particulière, représentative des différents mouvements cinématographiques en permanente évolution, combinant les différents publics, cinéphiles ou peu, jeunes et plus âgés. Une utopie peut-être, mais qui sait ?

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