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Trafic 68 (2)

Publié le 02/04/2009 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Livre & Publication

Wes movies
Trafic, revue du cinéma 68 - hiver 2008Nous l'avons découvert avec La Famille Tanenbaum (2001), il nous a surpris avec La Vie aquatique (2004) et nous a emportés avec l'époustouflant À Bord du Daarjeling Limited(2007) que nous avons vu et revu. Wes Anderson, le réalisateur de ces trois films, est le plus européen des cinéastes américains, un genre qui, depuis la chute du Nouvel Hollywood, semblait avoir disparu.

 

Admiré par Scorsese, considéré comme l'un des meilleurs réalisateurs de la nouvelle génération des cinéastes américains par Coppola, qui est donc cet hurluberlu qui collectionne, avec un humour sans failles, les névroses familiales dans un monde peuplé de personnages types, d'adolescents attardés, désintéressés du monde des adultes. L'éternel retour au monde de l'enfance ? Quelles sont les pistes que nous offrent ces deux articles.
A) Tout d'abord, Wes Anderson, la politesse du désespoir, un article de Marcos Uzal. Dans les films de Wes Anderson, les personnages sont confrontés au mal-être, à l'inachèvement qui « commencent au moment où la douleur qui affecte ses personnages peut faire place à une aventure. Ce sont souvent des retrouvailles avec des amis ou des parents qui offrent cette possibilité de surmonter une peine, d'accomplir un deuil. Au début de Bottle Rocket (1996), La vie aquatique et À Bord du Daarjeling Limited, un groupe décide de s'engager dans une expérience romanesque que certains organisent et que d'autres accepteront de suivre. Chez Anderson, lorsque plusieurs personnes se mettent ainsi à croire ensemble à un même rêve, aussi candide, utopique ou fou soit-il, rien n'est tout à fait perdu ».

Le goût du jeu berce l'enfance prolongée des frères et de la sœur Tanenbaum. Non pas l'enfance perdue, oubliée et redécouverte, mais celle de petits génies qui n'arrivent pas à la dépasser. Chas, l'aîné, est un maître de la finance, Margot une dramaturge célèbre et, Richie, le petit dernier, un champion de tennis mondialement connu comme une sorte d'Iceman Borg. Seulement voilà, l'harmonie est délicate et devient carrément fragile lorsque Etheline divorce de leur père Royal Tanenbaum (le bien nommé). Les jeux de l'enfance, amusants et complexes, disparaissent au profit du jeu de la vie où le réel est aussi vif que l'imaginaire. Pire, lorsque Royal réapparaît, éternel enfant se plaignant qu'il n'a plus que quelques semaines à vivre, patatras, l'arbre généalogique de la famille ouvre les fantômes dissimulés dans les placards. Le retour du père est le contraire du retour du père prodigue. La quête du père s'effondre, et la famille abandonnée et retrouvée, explose.

Si le personnage de Margot Tanenbaum nous époustoufle autant, par son apathie et son désir d'être une simple présence, c'est surtout parce qu'elle est la métaphore du style de Wes Anderson « La frontalité et la littéralité du cinéma d'Anderson revendiquent cette prévalence de la surface, cet attachement maniaque à ce qui se donne d'abord à voir et à entendre. Comme ses personnages, il accumule les fétiches, et entre les lignes de son formalisme se cache une complexité étonnante ».

Dans La vie aquatique, the bigger than life of the Big Wes, Steve Zissou et son équipe d'explorateurs marins, sillonnent les océans non pas à la poursuite de la baleine de Moby Dick mais d'un requin-jaguar. Zissou, et son éternel béret rouge, est une sorte de frère mélancolique du commandant Cousteau, et son navire s'appelle le Belafonte au lieu de Calypso.

Si pour Zissou, au délire déclinant, le temps passe, le requin-jaguar demeure aussi présent et mystérieux. Heureusement notre Zissou-bonnet-rouge de l'utopie révolutionnaire de 1789, rencontre le jeune Kingsley dont la mère fut sa maîtresse et qu'il pense être son fils. Cela suscite une nouvelle odyssée à la chasse au requin-jaguar. Un nouveau périple démarre, réanimé encore par une séduisante journaliste frapadingue. La vie aquatique est un film aussi imprévisible que Zissou, son explorateur. Marcos Uzal fait remarquer que les personnages de Wes Anderson se caractérisent par un savant dosage entre « retenue et vivacité ». Ainsi, « Bill Muray (Zissou) est sans doute l'acteur qui parvient le mieux à jouer comme s'il était au bord de l'effondrement, à donner le sentiment que son corps se meut péniblement à contre-courant de ses états d'âme et que sa torpeur est paradoxalement le fruit d'une volonté presque héroïque ».

À Bord du Daarjeling Limited est un voyage initiatique au cœur de l'Inde. Francis, Jack et Peter, trois frères que la mort du père rassemble, partent avec leur onze valises, leurs imprimantes et les lunettes du père, à la recherche d'une mère désinvolte campée dans un Ashram. Un film surprenant dès le prologue : le court métrage, Hôtel Chevalier. « Les ralentis et les panoramiques rapides, caractéristiques du style d'Anderson, y sont plus nombreux, et le récit est subordonné au rythme du voyage, à ses pauses, ses courses, ses retards et ses faux départs. Le court métrage qui le précède, Hôtel Chevalier, peut être vu comme une parfaite démonstration de la maîtrise rythmique de Wes Anderson : une succession de temps morts, des gestes rares mais souvent brusques, une scène d'amour empressée mais très vite stoppée, la répétition d'une chanson, la traversée d'une pièce au ralenti, etc. »

B) Philippe Fauvel, dans You Should quit, fignole les personnages de Big Wes : des outsiders que détestent les Etasuniens. Comme le soulignait Serge Daney : « Ce pays n'aiment pas les perdants, il ne risque aucune « poulidorisation ». Or, Wes Anderson s'intéresse, précisément, aux perdants. «Personnages déviants, ils se déclinent comme utilisateurs de ce qu'il ne faut pas : consommation sporadique dépendant de circonstances aléatoires » et une pratique chez les trois frères d’À bord du Daarjeling Limited de médicaments ingurgités à tout va. « Mais les outsiders de Wes Anderson sont séduisants. Ils offrent le luxe de faire croire à ceux qui les observent, qui les voient vivre, que leurs malheureuses vies valent la peine d'être vécues (par eux), aussi embrouillées et mouvantes soient-elles ». Le rêve des personnages d'Anderson ignore l’American Dream.

L'originalité de Wes Anderson, proche des utopies de Francis Ford Coppola qui l'aime pour cette raison, consiste à créer un monde spécifique, composé d'éléments disparates se déplaçant tel un jeu d'échecs avec ouverture à l'espagnole contrée par un coup à la cubaine. « Il n'y a pas un thème qui traverse un film mais profusion de détails, Anderson faisant feu de tout bois et tenant à ce que chaque film renvoie finalement plus le spectateur à lui-même qu'à un imaginaire clos et hermétique de cinéaste »

Pieds nus, avec nos 3 valises, notre imprimante et les lunettes noires du fiston, on court revoir À Bord du Daarjeling Limited.