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Travaux de fin d’études de l’IAD, cuvée 2004-2005

Publié le 01/10/2005 / Catégorie: Critique

Comme chaque année, l’IAD, l’Institut des Arts de Diffusion de Louvain-La- Neuve proposait une vision des films de fin d’études de ses étudiants en 2ème licence réalisation. Les yeux hagards, la mine flétrie, la langue pendante et l’haleine chargée par l’abus de somnifères, d’alcool et de café forts, c’est donc une horde d’étudiants en cinéma fatiguée, exténuée, mais heureuse d’avoir pu mener ses projets à bien que nous avons vu débarquer au Cinéma de Louvain- La-Neuve.

 

En Belgique, les étudiants en cinéma sont une denrée un peu spéciale : tels des zombies putréfiés par la fatigue et les ravages de la dépression nerveuse, vous pouvez les observer suer sang et eau sur des tournages où le manque de temps, d’argent et de masseuses thaïlandaises aux mains expertes sont souvent monnaie courante. L’IAD offre donc aux jeunes réalisateurs belges, les moyens de concrétiser leurs rêves, mais surtout, plus important encore, leur donne la possibilité de diffuser leurs oeuvres assez largement. Ce qu’ont compris les hautes instances de l’IAD, (contrairement à celles de l’INSAS de Bruxelles ceci dit en passant!) c’est qu’un film est réalisé pour être vu par un public le plus large possible (Institut des Arts de DIFFUSION, un credo fièrement affiché dès le début dans le nom!) Les projections des films de fin d’étude sont donc ouvertes au public. Comme chaque série de courts métrages, certains nous ont enthousiasmés, d’autres moins. Mais l’on peut néanmoins, après vision de ces films, tirer le constat suivant : malgré le manque de moyens, ce n’est pas l’ambition qui manque chez ces jeunes cinéastes en herbe. Encore moins le talent. Talent qui ne cherche qu’à éclore le plus vite possible. Petit compte rendu du programme :

 GEMINI de Jacques Molitor

 

Gemini de Shinya Tsukamato

 

Gemini ( Shinya Tsukamato) est sans aucun doute le film le plus virtuose de la série, mais également celui qui risque de laisser le plus perplexe. Comme son titre l’indique, le film de Jacques Molitor raconte, à grand renfort de formats et de techniques différentes, l’histoire de la séparation extrêmement douloureuse de deux frères jumeaux, l’un des deux adoré par sa mère et le deuxième, rejeté. On peut féliciter Molitor pour une chose : son impressionnante virtuosité technique ainsi que sa capacité à créer un véritable univers homogène malgré les changements de formats. Passant allègrement du film vidéo au dessin animé, Gemini rappelle tour à tour les travaux de Bill Plympton, des Frères Quay et de Guy Maddin. Rien que ça ! Ici, l’humour est bien présent, mais il s’agit d’un humour extrêmement noir, notamment dans une scène d’animation réalisée avec des marionnettes en papier mâché et une petite musique de cirque qui arrive à créer le malaise : une séquence très drôle exécutée grâce au talentueux créateur de marionnettes le jeune Jérôme Spilmont (c’est un pote donc je lui fais un peu de pub!Gemini n’est pas fait pour les amateurs (et ils sont nombreux ) de La Petite Maison dans la Prairie : malsain, gore, effrayant, glauque! Le point d’orgue de ce court est une séquence d’animation totalement délirante rappelant à la fois Evil Dead et le récent Hedwig and the Angry Inch (référence consciente ou non ?) qui abordait déjà le thème de la gémellité sur le thème de l’humour. On pourra reprocher à Molitor de parfois prendre un peu trop la pose et d’oublier de s’amuser, mais il n’empêche que ce premier film est extrêmement prometteur. Une carrière à suivre !

 


 

POIDS PLUME de Christophe Hermans

 

Poids plume de Christophe Hermans

 

 

Poids Plume, le documentaire de Christophe Hermans, est sans aucun doute le film le plus drôle de la série, mais surtout le plus cruel (drôlerie et cruauté allant souvent de pair!) Certains ne manqueront pas de rapprocher ce documentaire tourné en vidéo à certains reportages de l’émission culte Strip-tease, mais Christophe Hermans va plus loin encore, guettant la cruauté immiscée subrepticement dans un environnement tout à fait anodin, rappelant parfois certains des épisodes les plus cruels de la famille Simpson. Poids Plume est l’histoire (vraie) d’une famille tout à fait ordinaire dont les parents ont fait de leur dernier rejeton un véritable Dieu vivant, provoquant la jalousie de son grand frère. Robin est un génie. 12 ans, gymnaste virtuose de la galipette sur barres et autres exploits physiques, Robin est mis sur un piédestal par toute sa famille : son père, sa mère, ses frères et ses soeurs ? Wo hooooo! Ce serait le bonheur ? Eh bien pas tout à fait. S’il est vrai que papa et maman vouent un véritable culte à leur petit dernier (« tout ce qu’il touche il le réussit, c’est un véritable don, on n’y peut rien » déclare la mère d’un accent verviéto-liégeois assez gratiné), il n’en va pas de même pour Johan, le grand frère, jaloux, amer et rejeté (« Johan est plus dur à la détente, on n’y peut rien non plus »!) Le film nous propose donc un enchaînement de séquences mises en parallèles : les exploits physiques et les compétitions de Robin, avec l’amertume de Johan. « C’est Robin qui nous apporte le plus de satisfaction » déclare le père devant l’objectif de la caméra. Et en effet, le petit Robin est un véritable premier de la classe. Irritant, crispant, ce fameux Robin est montré comme une véritable tête à claque exaspérante de perfection, allant même jusqu’à réciter les notes de son bulletin devant la caméra : 9/10, 9/10, 9,5/10. Un gamin exaspérant de suffisance qui ne risque pas d’être étouffé par l’humilité ou la modestie et porté aux nues par des parents aveugles. Johan, lui, est montré comme un garçon renfermé, agressif, frustré, jaloux, clairement en grand manque d’affection!

 

Vous souvenez-vous de ce vieil épisode de la formidable série fantastique américaine Twilight Zone où un enfant doté de pouvoirs magiques mettait toute sa famille au pas, les transformant en véritables esclaves personnels ? Eh bien Poids Plume n’en est pas loin : les pouvoirs étant ici remplacés par l’arrogance de ce marmot teeeeelllement parfait! D’un point de vue technique, les séquences de gymnastique sont admirablement bien filmées. Un professeur de gymnastique à l’accent fort marqué ira jusqu’à rappeler à l’auteur de ces lignes l’ambiance glauque et l’odeur du jus de chaussettes qui imprégnaient les vestiaires de ses cours d’éducation physique à la petite école au début des années 80. Une réminiscence qui fait froid dans le dos mais qui n’enlève pas le mérite de ce « drame familial » tour à tour tendre, cruel, agaçant, mais toujours drôle.

 


 

LOST IN LA HESBAYE de Christophe Ghislain

 

 

Lost In La Hesbaye de Christophe Ghislain

 

 

Christophe Ghislain n’a pas de chance. En effet, le pauvre Christophe, malgré son talent et l’humour très particulier qui imprègne son film, souffre d’un handicap lourd à porter : il est le portrait craché du « comique » François Pirette. Et ça, ça ne doit pas être facile tous les jours! Malgré tout, le film de Christophe, bien qu’assez prétentieux par moments et extrêmement égocentrique, fait preuve d’un humour bon enfant qui fait du bien par où il passe dans une sélection où l’humour était présent en petites doses. Lost in La Hesbaye est donc une comédie existentielle : Christophe Ghislain s’interroge sur ce qu’il va montrer dans son film. Un film qu’il réalise dans le but avoué de renouer avec son père qui le traitait de « manchot le cul toujours assis sur une chaise »! Le film est narré par Christophe. Les dialogues sont plutôt bien écrits mais le pauvre Christophe manque quelque peu de charisme et l’on se met doucement à rêver de ce qu’il en serait de son film s’il était narré par un Jean-Pierre Marielle ou encore un Claude Piéplu! Christophe Ghislain s’est donc mis en tête de rendre hommage à l’Arizona Dream du grand Emir Kusturica, mais également au Sens de la Vie des Monty Python via l’image récurrente de la Mort. Bonne idée de faire de son film un « film sur la recherche d’une idée de film », une mise en abyme qui peut rappeler la célèbre série Seinfeld. Beaucoup d’excellentes idées parsèment ce court : l’interview surréaliste d’un chasseur, l’arrivée inopinée de manchots, un hommage assez drôle à Peter Pan! Parfois drôle, parfois énervant, parfois bien senti, souvent trop prétentieux, il réussit malgré tout l’exploit de sublimer le paysage hesbignon ! Lost in la Hesbaye est un film en demi-teinte qui souffre peut-être de l’ego surdimensionné de son réalisateur-scénariste-acteur principal! Allez Christophe, on l’aime bien ton film, il regorge de trouvailles et de bonnes idées. Mais un peu plus d’humilité n’a jamais fait de mal à quiconque!

 


 MARCEL de Meryl Fortunat-Rossi

Comme disaient les Charlots : « Chauffe Marcel! » Tous les garçons et les filles de mon âge ont eu un grand-père comme ce fameux Marcel, ouvrier du bâtiment terriblement attachant et amoureux du travail bien fait. Comment pas vous ? OK. Le mien s’appelait Francesco et partageait avec notre héros un immense enthousiasme envers son métier et un manque total d’amertume vis à vis du drame qui le ronge. C’est peut-être la raison pour laquelle le film du jeune et hirsute Meryl Fortunat-Rossi a tellement touché l’auteur de ces lignes. Marcel est un de ces personnages susceptibles de rendre goût à la vie aux plus dépressifs. Atteint par un cancer de la gorge, certainement contracté suite aux ravages de l’amiante, Marcel n’en a pas perdu pour autant son incroyable énergie et son amour de la belle ouvrage. Plutôt que de faire de son film un brûlot contre les méfaits de l’amiante, Meryl Fortunat-Rossi préfère explorer le côté humain, en réalisant le très beau portrait d’un homme simple, drôle, modeste et attachant, un bon vivant touché par une tragédie personnelle qui décide de continuer à vivre. Alternant interviews de Marcel et scènes quotidiennes de la vie sur un chantier, ce court métrage n’en devient que plus touchant encore lorsque l’on apprend la mort très récente de son « héros ». Marcel aura eu une vie bien remplie, sans le moindre regret, hormis le fait de voir de moins en moins de jeunes travailler sur les chantiers. « Si je devais tout recommencer, je serais toujours ouvrier du bâtiment », déclare-t-il! « C’est ce que j’aime faire. »!Marcel est mort récemment mais ce court métrage restera pour lui, comme pour ses proches, le beau témoignage d’une vie modeste et ordinaire transcendée par la passion et par un formidable optimisme. Une belle leçon de vie dénuée de tout cynisme.

 

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