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Une histoire d'amour d'Hélène Fillières

Publié le 15/01/2013 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Pour le meilleur et pour le pire

Une femme très belle s’offre à un homme très riche. Lui n’est pas beau. Elle n’a pas besoin d’argent. Qu’est-ce qui les lie ? Qu’est-ce qui les tient, collés l’un à l’autre, entre besoin et rejet, fascination et dégoût, attirance et répulsion ? Quel est ce lien qui les conduira fatalement au désastre ? Avec une bonne dose d’audace et beaucoup de naïveté, Helène Fillières s’empare du roman de Régis Jauffret,  Sévère, pour réaliser son premier long métrage, inspiré lui-même d’un fait-divers tragique, l’assassinat du banquier Stern par sa maîtresse. Mais si sa démarche est courageuse et culottée, son premier film l’est malheureusement beaucoup moins. Il reste Benoît Poelvoorde (surtout) et Laetitia Casta. Et quelque chose du bel élan et de la folie qui le traversent.

 


scène du film, une histoire d'amourLe premier long métrage d’Hélène Fillières lui ressemble. En tous cas, il ressemble à bien des rôles qu’elle a tenus dans toute une partie du cinéma français des années 90, un cinéma d’auteur plutôt modeste, joyeux et impertinent. Une histoire d’amour est un film à la fois fougueux, sûr de lui et très maladroit. Ambitieux et courageux, il fonce bille en tête dans une stylistique qu’il ne veut pas lâcher, et qui le rend raide et crispé. Léché, propre et froid, il se tient à l’écart de la folie qui déchire ses personnages. Naïf, il s’offre à voir sur un plateau, alors même que son sujet est l’espace d’un secret. Et ce, dès le premier plan. Le film s’ouvre sur ces propos en voix off du « Mari » : que les amants construisent entre eux un monde qu’eux seuls habitent et dont personne ne peut percer l’intimité mystérieuse et les règles secrètes. Cette vision on ne peut plus romantique de l’amour (et profondément politique, parce que l’amour n’y connaît d’autre loi que la sienne), tout le film d’Hélène Fillières s’emploie à la reconstituer. Elle crée des espaces flottants, coupés de tous, en filmant des décors ultra papier glacé, des rues vides, des lieux publics plongés dans l’ombre, des salles noires ou des appartements blancs. Dans une chronologie déconstruite qui rajoute à ce sentiment de décollement, elle multiplie ainsi les symboles et désertifie le réel. Par instant, ce qui nous est montré semble même une hallucination des personnages (le repas avec le « Ministre », boustifaille de spaghettis sanguinolents, comme un pur et simple cauchemar), y compris leur histoire d’amour qui, peu à peu, elle aussi se déréalise. Et c’est tout le film qui prend des allures de trip sous acide.

scène du film, une histoire d'amourLe plus souvent en mode travelling, la caméra surjoue ce flottement, en glissements langoureux et électriques. La musique d’Etienne Daho, omniprésente, baigne le film d’une atmosphère d’hallucination planante. L’éclairage des corps et des visages, toujours sortis de l’ombre ambiante, est aux limites de l'expressionnisme. Les dialogues sont réduits au strict minimum (hormis quelques tirades saisissantes), toujours alourdis dans leur concision de trop de sens. Les personnages, eux, finissent par habiter les oripeaux de leur fonction symbolique (personne ici n’a de prénom, il n’y a que le « Mari »,  le « Banquier », la « Jeune Femme », etc.) Le film s’enfonce ainsi dans une sorte d’état de torpeur étrange, beaucoup trop étalé sous nos yeux pour conserver un quelconque mystère, bien trop hypnotisé par lui-même pour dévoiler quelque chose de cette passion amoureuse. Tout occupé par sa stylistique, il semble développer sa propre logique, esthétisante et froide, en parallèle du sublime et du sordide en jeu entre ces deux personnages.

Reste la Casta, sublime, le plus souvent, offerte et soumise, de plus en plus éthérée à mesure que le film va vers l’inexorable, vacillante comme un papillon délicat et fasciné par les lueurs de la bougie dans le blizzard d'une nuit gelée. Elle seule réussit, dans quelques regards, à raconter l’épouvante de la fascination amoureuse. Pour lui faire face, l’attirer, la caresser, l’écraser, la violenter, Benoît Poelvoorde est magnifique et bouleversant, dévoré par le gouffre de ses questions. Lui seul, par instants, réussit à donner au film l’épaisseur de la folie, par ses tensions, ses vides, ses creux et ses pleins.

Et c’est très précisément cette folie ténébreuse et captivante qui fait défaut à ce premier long métrage. Comme s’il s’était accroché de toutes ses forces à sa mise en scène, devenue par là-même, hiératique et écrasante, pour ne pas être absorbé, à son tour, par cette pulsion de mort fascinante au cœur de son sujet. Et la tenant sagement à l’écart de son processus, il a pris le risque de l’oublier et s’est transformé en bel objet glacé. Mais quelque chose tout de même de cette folie, ne serait-ce que par tout ce qui l’a tenue en laisse, est passé. Un film naïf, touchant, à la fois beau et raté, à côté de sa plaque.

 

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