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Une sirène dans la nuit de Luc Boland

Publié le 15/01/2000 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Au début des années quatre-vingt - mais il me semble que ça nous ramène au siècle dernier, l'humour tendre et naïf de Roland Magdane s'était taillé une petite place au soleil des projecteurs et dans le coeur des gosses : sur les planches comme sur les plateaux de télévision, l'épaisse moustache aimait se retrousser et frémir, avouant sans cesse un peu plus le clown triste et fragile. La surprise qui toutes les cinq ou six secondes rallumait l'oeil niais et complice de Droopy commençait à ressembler au profond reflet d'une larme. Comme mal assurée, la voix chevrotante n'en finissait pas de muer. Alors soudain, comme il y était venu, le comédien descendit de la scène : ne s'en étonnant qu'à moitié, quelques marchands d'oignons compatirent au bas des pages à la dépression nerveuse et la crise de la quarantaine...

Une sirène dans la nuit de Luc Boland

Les années ont passé sans que le bonhomme change vraiment : le cheveu blanc lui va à ravir, et c'est pratiquement un rôle sur mesure que lui a confié l'auteur réalisateur Luc Boland dans Une sirène dans la nuit, excellent téléfilm belge récemment diffusé sur les ondes de la RTBF et dont on parle beaucoup, pour en dire le plus grand bien, dans les chaumières bruxelloises et wallonnes...

 

Dans le ventre de l'architecte

Jean est architecte mais ses plans ont un peu pris l'eau, ces dernières années : ça aurait dû être la petite vie bourgeoise, tranquille et confortable, aux côtés de sa douce et jolie épouse. Pourtant, les choses de la vie, dit-on, aigrissent tôt ou tard, avec une espèce de préférence pour celui qui résiste et se voulait inébranlable. Les nerfs finissent par lâcher devant le silence sans fond d'un fils autiste qu'il a fallu se résoudre à placer en institution. Depuis, Jean s'effondre, brisé, s'effrite comme la roche, se renferme et peu à peu plaque tout, à commencer par ceux qu'il aime et qui l'adorent. Besoin de respirer, de se retrouver, de faire le point : taciturne, pâle zombie, il erre dans sa vie, inscrit aux abonnés absents. C'est l'oeil sombre, opaque et comme éteint qu'il découvre le monde de la nuit et des petits boulots.

 

Ne coupez pas...

Pistonné au standard de SOS Dépannage d'Urgence, Jean décroche : toilettes bouchées, hystériques insomniaques, cinglés, et puis une petite fille qui fait une blague : à quatre ans et demi, tu devrais être au lit depuis longtemps, et vlan. Mais la petite lumière reste allumée : Juliette ne raccroche pas.


Sa maman est partie en week-end à Bruges avec son amoureux, alors Juliette est chez Nanou, gentille gardienne à domicile, qui ne garde pas les chiens Bidule, seulement les petits enfants, et qui lui faisait des spaghettis avant de mordre assez salement les escaliers. Consolant sa poupée Charlotte, Juliette a sans le vouloir appuyé sur le bouton BIS du téléphone, puis il y a eu une petite chanson. Mais Nanou est toujours couchée par terre, et elle ne dit rien du tout.


Jean comprend. Il avait tout prévu, café et cigarettes. Sauf qu'un timide et adorable petit bout de chou, seule loin de chez elle, lui demande comment il s'appelle et à quoi il ressemble (" T'es vieux, alors ! ? "), s'il a une amoureuse (" Le mien, il veut toujours m'embrasser sur la bouche mais moi je veux pas ! "), s'il est fâché avec elle (" T'as qu'à lui faire un bisou et lui demander pardon ! "), s'il a des enfants et si c'est normal que de la fumée s'échappe par dessous la porte de la cuisine.


L'alerte est donné : Pinpon, l'ami de Jean, devrait arriver dans la minute. Encore faudrait-il l'adresse, que Juliette est bien incapable de donner. Elle pourrait raccrocher et former le 100. Mais Charlotte n'a pas appris les chiffres, et de toute manière, ne veut parler qu'à Jean. Maman lui a dit de ne pas sortir toute seule de la maison, et pour aller à la fenêtre et crier au secours, il faudrait traverser le salon, où il fait tout noir, et il y a un masque horrible et qui fait très peur. Alors la tâche se complique, et la fumée commence à piquer les yeux. Les mamans ont certes des pressentiments, et volent les clés de voiture de leur petit ami pour foncer sur Bruxelles. Mais les femmes font (aussi) des accidents - enfin, c'est à cause du chien, qui n'arrêtait pas de gémir et voulait accélérer. Les meilleurs scénaristes sont bien ceux de la télévision, et c'est tout l'art des bâtons dans les roues qui défile dans un dérapage contrôlé. En attendant le standard chauffe. La tension monte entre Jean et des gendarmes " belgacomisés ", peut-être à l'étroit dans la procédure, en tout cas pas spécialement meilleurs communicateurs, et tout compte fait aussi démunis que lui. Sous l'oeil ému de sa femme, le message de Jean est passé : les sirènes des pompiers doivent continuer à quadriller le quartier de la ville. Car même quand Juliette ne répond plus au téléphone, il faut rester au bout du fil...


Efficace à souhait, le suspens mis en place par Luc Boland et Luc Jabon réunit très habilement tous les ingrédients classiques du pathos dans un crescendo complètement maîtrisé. L'état des lieux de la (télé)communication moderne est tout juste... poétisé, et les sons qui rebondissent et tournent dans la spirale du ressort dramatique atteignent par bonheur leur point de rencontre, théâtre des bons sentiments et d'une réconciliation possible. Pourtant, c'est seul et à pied que Jean s'éloigne dans la nuit finissante. Un clin d'oeil sympa à un autre clown triste et moustachu, que le large travelling vertical de la caméra continue à transcender. Film familial, un peu " film parfait " et trop lisse à mon goût, Une sirène dans la nuit sera projeté au 27ème Festival International du Film de Bruxelles, dans le cadre du Belgian Focus, ce samedi 29 janvier.

 

A 9h30 du matin ! Histoire de se lever du pied droit, et puis quand on sort de la salle et qu'il fait encore clair...
Bon, toi, maintenant, tu vas prendre ma place. Si tu as une petite fille au bout du fil, elle s'appelle Juliette et t'as intérêt à être très gentil avec elle. Dis-lui que Jean arrive.


La communication ne tient souvent qu'à un fil, il ne faut surtout pas couper.

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