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Victor Sagrista, réalisateur de Bailaoras présenté au Festival sur l'Art

Publié le 02/11/2011 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Entrevue

La danse des émotions
Du 7 au 9 octobre, l'Institut Supérieur pour l'étude du langage plastique, l'ISELP a organisé son 11ème Festival sur l’Art. Une nouveauté de taille cette année, puisque le festival s’est ouvert à la compétition. Deux prix ont donc été décernés, le Prix Découverte récompensant un étudiant, et le Prix du Film sur l’Art à un réalisateur confirmé. Au programme de ce week-end, quinze films belges ou réalisés par une équipe belge entre 2010 et 2011. Le Prix Découverte a été attribué à Victor Sagrista pour son documentaire Bailaoras, l’horizon des racines. En dix-neuf minutes, le jeune réalisateur nous transmet un peu de son pays, l’Espagne, à travers trois générations de danseuses de Flamenco, « tannées par le diable » comme dirait Gautier. Des chants, des danses, des regards, des accords de guitare pour un dialogue des corps d’une sensualité enragée et beaucoup, beaucoup de sentiments.

bailaoras de Victor SagristaCinergie : Peux tu me dire quelques mots sur ton parcours ?
Victor Sagrista : Je suis né à Barcelone, et depuis tout petit, j'ai toujours été attiré par le cinéma. J'ai donc choisi de faire des études en Communication Audiovisuelle à l'université. Durant ma dernière année, je suis parti à Louvain-La-Neuve, dans le cadre d'un échange Erasmus, en communication à l'UCL. C'est là que j'ai découvert l'IAD, l’Institut des Arts de Diffusion, et je me suis inscrit. La Belgique et sa culture me plaisaient, et le fait de découvrir une culture cinématographique différente de la mienne m'a tout de suite intéressé. Bailaoras est mon projet de fin d'études. 

C. : Comment t'est venue l'envie de le faire sur ce sujet, le flamenco ?
V. S : Comme mon attache culturelle à la Belgique était très récente, je voulais poser mon regard sur un sujet qu'il m’était possible de sentir d’une manière plus innée, une proximité émotionnelle. Je me suis intéressé très vite aux immigrés espagnols qui habitent en Belgique depuis longtemps, concrètement à ceux qui propagent, d’une manière ou d’une autre, la culture espagnole dans leur pays d’accueil. Un jour, je suis allé voir un cours de danse donné par Sofia Yero. Je l'ai regardée donner cours pendant plus de quatre heures d’ affilée, sans s’arrêter un seul instant, avec une énergie que j’avais rarement vue auparavant. Suite à ça, j’ai eu l’occasion de parler à quelques élèves, et ils m’ont expliqué que cette tradition du flamenco était née de sa mère qui avait créé l’école de danse à son époque. Elle était rentrée en Espagne et la fille avait pris le relais. Tout à coup, un univers fascinant s’est ouvert devant moi, et j’ai vu la possibilité de faire un film sur cette transmission.

C. : En effet, Bailaoras est autant un film sur la danse que sur l'héritage culturel. Est-ce que la transmission est une chose importante pour toi ?
V. S : Tout d'abord, je n’ai pas du tout suivi le même parcours que mes parents. Mon père a sa propre affaire, qui n’a rien à voir avec le milieu du cinéma. Je dirais que je me suis toujours tenu « en marge ». Pour moi, la transmission est importante en ce qui concerne les valeurs morales.
L’éducation que l’on reçoit joue un rôle très important sur la personne que l’on devient, cette influence est importante. Ce qui m'intéresse dans tout ça, c'est le concept d’identité, et dans le concept d’identité, le concept de transmission est présent. Une partie de ce qu’on est provient de ce qu’on nous a transmis.
Dans le cas du flamenco, ce n’est pas juste la transmission d’un art, mais aussi une transmission de valeurs, car le flamenco n’est pas qu’une danse, c’est une manière de vivre.

C. : Et justement, qu'est-ce que cette danse pour toi ?
V. S : Ce n’est pas facile d’expliquer ce que ça signifie pour moi. En un certain sens, si je pense à mon identité catalane, le flamenco ne signifie pas grande chose. Je n’ai pas grandi dans un milieu où j’ai reçu l’influence de cette danse, et je n’ai pas, autour de moi, des gens qui en font un métier ou pour qui c'est la passion. Le flamenco est une danse qui vient du Sud de l’Espagne, moi, je viens du Nord. Je n’ai d’ailleurs pas de famille en Andalousie.
Cependant, lorsque tu vis dans un pays qui n’est pas le tien, le concept « d’identité » devient beaucoup plus large, et des choses qui ne font pas fondamentalement partie de toi, prennent de l’importance. Je ne veux pas généraliser, mais cela n’empêche que les traits de caractère et le style de vie ne sont pas les mêmes en Belgique qu’en Espagne. Ce sont des cultures qui ont des traits en commun évidemment, mais qui sont en même temps très différentes. Le flamenco est un art d’où se dégagent des traits de caractère fondamentalement espagnols : l’énergie, la force, le tempérament… Je peux sentir que j’appartiens à cette même identité simplement au travers d’un geste, d’un cri ou d’une guitare. C’est quelque chose de spirituel ou d’intrinsèque à la personne, comme une attache émotionnelle comparable à celle qu’on peut avoir pour la mer.
Le flamenco met en scène la personnalité de l’artiste et ses états d’âme. Il parle avant tout de sentiments. Les paroles racontent souvent des histoires très profondes sur la guerre, l’amour, la vie et la mort… C’est une danse qui frappe droit au cœur.

C. : Avais-tu une idée précise de ce que tu allais tourner ou les choses se sont-elles mises en place au fur et à mesure du tournage ?


V. S : Les séquences à tourner étaient quand même fixées à l’avance. Il y a évidemment des choses qui ont changé en cours de route, mais l’histoire que je voulais raconter et les moments qui m’intéressaient étaient sur papier. Cependant, même si les décors et les scènes étaient déjà écrits, on tournait la vie réelle des gens et, à ce moment-là, on devait s’adapter à la réalité et être attentifs aux moments les plus spontanés.
Nous avons tourné pendant onze jours. J’ai manqué d’un peu de temps, surtout parce que les deux personnages sont tombés malades à un moment donné. Dans le cadre d’un documentaire, l’engagement est avant tout humain. On ne peut pas forcer les horaires, car les gens ne sont pas des comédiens. Donc c’était compliqué de gérer le plan de travail avec les imprévus. On devait s’en tenir au séjour de la grand-mère en Belgique, qui ne dépassait jamais les deux semaines.

C. : Et c’était comment d'être un homme face à ces trois femmes issues de trois générations ?
V. S : Je n’ai pas ressenti de barrières particulières. Les femmes qui font du flamenco s’entourent beaucoup d’hommes. Souvent, à part la danseuse, tous les autres artistes qui sont sur scène, chanteurs et musiciens, sont des hommes. On ne partage pas la même psychologie bien évidemment, mais on n’a eu aucun problème à se comprendre. Elles m’ont fait confiance. Cela a pris un peu de temps, surtout avant le tournage. Après, elles se sont livrées à l’expérience, et elles y ont pris goût. Mais j’aurais pu aller plus loin lors des interviews si on avait eu plus de temps pour la rencontre.
Le fait d’être un homme était quand même quelque chose qui me préoccupait. J’avais peur de faire un film pour les femmes ou pour les hommes. Il fallait faire attention au regard. C’est pour cette raison que j’ai choisi un homme pour faire le cadre, et une femme pour le montage. Compter sur la vision féminine lors de la réécriture du projet au montage me permettait de confronter mon regard masculin au sien pour obtenir la juste mesure. 

C. : En 1995, Carlos Saura a réalisé Flamenco. Quinze ans plus tard, il renoue avec cette danse et réalise Flamenco Flamenco. Penses-tu, comme lui, qu'il y a un renouveau de cette musique ? Ou au contraire, que la nouvelle génération est à la recherche de ses racines ?
V. S : Je pense qu’il y a vraiment un renouveau. Le flamenco n’est pas un art fixe, c’est un art qui évolue en même temps que la société. Les gens d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que ceux de la génération précédente. Le flamenco ne l’est pas non plus. Il reçoit l’influence des formes musicales plus contemporaines. On veut toujours raconter les mêmes histoires, remises au goût du jour. Mais les racines sont toujours présentes. Elles sont la source d’inspiration.


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