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Vinyan de Fabrice du Weltz, avant tournage

Publié le 08/09/2006 par Anne Feuillère / Catégorie: Tournage

 

Calvaire, le premier long métrage de Fabrice du Welz, n'avait laissé personne indifférent et provoqué répulsion ou admiration, les deux faces de la fascination. Après avoir fait parlé de lui à Cannes où il était présenté à La Semaine de la Critique en 2004, le film avait reçu de nombreuses éloges de la presse avant de devenir culte dans les cercles de la cinéphilie acharnée. Aujourd'hui,  il vient de terminer l'écriture de Vinyan, son second long métrage en préparation. Alors qu'il faisait partie des membres du jury du Festival du Film européen de Bruxelles, Fabrice du Welz, entre grande affabilité et énergie bouillonnante, livre les envies qui l'animent sur ce nouveau projet : toujours fasciner le spectateur, mais peut-être tisser autour de lui une toile cinématographique si serrée qu'il ne pourra plus s'échapper ?
Cinergie : Où en es-tu actuellement du financement de ton prochain film
Fabrice du Welz : Pour le moment, nous devrions avoir un budget de quatre millions d'euros, ce qui n'est pas mal mais pas non plus excessif. Le film est coproduit par les anglais de FilmFour. Rien n'est encore signé mais ils nous supportent et nous suivent. Du côté français, The Film, le producteur français de Calvaire porte le projet. Pour l'argent belge, on va voir. Tout est encore en discussion. En France, les choses sont enclenchées, on a pratiquement les accords de tout le monde mais les montants dépendront en partie du casting qu'on devrait commencer au début du mois de septembre. Wild Bunch et Canal + suivent le projet et devraient l’accompagner. Si on a tout le budget, j'aurai 10 semaines de tournage, et j'espère rentrer en préparation au mois de novembre ou décembre pour un tournage autour de janvier, février et mars. Avant la saison des pluies qui commence en avril en Thaïlande.
C : Tu peux raconter un peu l'histoire ?
F.d.W. : C'est un peu une expérimentation autour de Don't Look Now de Nicolas Roeg. Le film s'appelle Vinyan, qui en thaïlandais signifie "fantôme", "âme errante", les âmes qui tourmentent les vivants. C'est l'histoire d'un couple qui a perdu son petit garçon pendant le tsunami en Thaïlande. Six mois plus tard, ils sont toujours à Phuket. Le point de départ est très réaliste : beaucoup d'occidentaux étaient toujours sur place six mois après le tsunami. Lui est architecte, il aide à la reconstruction de l'hôpital. Elle, elle s'occupe des habitants, des enfants. Et puis, forcément, à un moment donné, il a des problèmes d'argent, il aimerait rentrer, il cherche à convaincre sa femme et elle accepte. Avant leur départ, au cours d'un repas, ils tombent sur une cassette vidéo qui circule. Elle croit reconnaître leur fils dans un groupe d'enfants en Birmanie. C'est une image complètement floue, rien n'est clair, cela peut être n'importe qui, mais elle voit ce qu'elle veut voir. Elle arrive à convaincre son mari de partir en Birmanie chercher ce fils qu'elle est sûre de retrouver. Ils partent, tout est de plus en plus cher, ils sont de plus en plus embrouillés par un type qui s'occupe de l'expédition et qui les entraîne dans la jungle. Ils sont désormais complètement seuls, au milieu de nulle part et là, dans un village, dans une hutte, on leur présente un enfant blanc, qui n'est pas du tout un enfant blanc mais un enfant qu'on a grimé. C'est leur première altercation un peu violente avec ce guide à qui ils disent "ce n'est pas notre enfant !" et qui répond "mais quelle différence ?"


A partir de là, on plonge dans la déliquescence de ce couple, de ces deux personnes de plus en plus seules, de plus en plus vulnérables et qui, peu à peu, deviennent fantomatiques, mortifères... Et cela va crescendo.  Enfin voilà, on est un peu entre le film d'exploitation et le film d'expérimentation.
C : Calvaire aussi se situait à mi-chemin, non?
F.d.W. : J'espère que Vinyan aura un ancrage plus grand avec le public. Je me rends compte que j'ai tout fait pour que Calvaire soit contre le public, contre tout le monde, sans chercher à créer une quelconque empathie avec le personnage principal, en assommant les gens tout le long avec des cris de porcs ou en jubilant dès qu'un spectateur quittait la salle… Mais je suis content de la singularité de Calvaire, il y a des gens qui le défendent passionnément. Il existe et je me rends compte que les professionnels le connaissent et attendent de voir la suite etc. Mais voilà, j'en ai soupé. Cela a été très long à mettre en place et j'ai besoin de passer à autre chose maintenant. Je n'ai pas non plus envie de me distraire. Je veux dire par là que je ne suis pas dupe de ce que je fais et de ce que je veux faire, de la particularité du cinéma que j'essaie de construire. Je sais que ce n'est pas forcément un cinéma facile, mais je ne veux pas faire n'importe quoi. J'ai eu des propositions idiotes après ça et je vois trop de gens qui se dispersent. Je voudrais m'inscrire dans un cinéma spectaculaire et agressif mais en trouvant la bonne mesure : qu'économiquement, mes films ne perdent pas d'argent mais qu'ils me permettent de continuer à faire un travail exigeant. C'est mon souci, une exigence complète et totale, je veux maîtriser mes projets, travailler avec des collaborateurs aussi exigeants que moi et expérimenter des choses. Mais je veux aussi faire des films d'exploitation, et je dis cela dans le sens noble du terme.
C : Il ne faut donc pas trop secouer le spectateur ?
F.d.W. : Dans l'histoire de Vinyan, en tout cas, il y a quelque chose qui concerne un peu plus les gens en général que l'histoire de ce pauvre chanteur itinérant de Calvaire. Ici, le sujet me semble plus fédérateur parce que le tsunami a été un vrai traumatisme et ça n'a touché que notre club de beaux blancs riches. Le Sri Lanka, six mois plus tard, tout le monde s'en fout. J'ai l'âge que j'ai, je suis très en colère. Avec ce film, même si je marche sur une ligne très fine, je vais tout faire pour que ce soit le plus percutant possible, pour que le spectateur, à la fin de la projection, ait du mal à émerger. Parce qu'il s'agit de le mettre en empathie avec ce couple, de l'emmener face à un miroir, face à une société incapable de se regarder en face, d'accepter la mort des siens. Le film, en substance, est une confrontation entre deux mondes, le monde occidental où la mort est  un véritable tabou et le monde oriental où elle fait totalement partie de la vie. Mais si j'essaie évidemment d'avoir les histoires les plus fortes possibles et qui me touchent, ce qui m'intéresse, c'est la façon dont je peux les transcender au cinéma. Comment fabriquer du cinéma ? Sur Calvaire, il y avait un petit débat autour de la violence que je trouve assez bête. Pour moi, la seule valeur d'une œuvre, c'est la manière dont elle est transcendée artistiquement. C'est Jacky Berroyer qui prenait cet exemple que j'aime beaucoup : si je dessine une carcasse de porc, demain cela n'aura aucun sens et aucun intérêt. Si c'est Francis Bacon qui la dessine, cela a un autre impact. C'est le touché, la manière artistique, le point de vu que tu véhicules, ce que tu transcendes par rapport à l'image, à la lumière, à la chair incarnée des acteurs, c'est tout cela qui fait une œuvre ! Alors bien sûr, il peut y avoir de la violence ou de l'amour ou même de bons sentiments - même si les bons sentiments de manière générale m'horripilent - mais la question, c'est comment tous ces éléments, transcendés artistiquement dans une alchimie, deviennent du cinéma. Et avec Benoît [Debie, le chef opérateur de Quand on est amoureux, c'est merveilleux et de Calvaire], nous avons envie d'expérimenter, de faire de très longs plans séquences dans la jungle avec des filins, des systèmes d'aimantations, comme dans Soy Cuba, ou le fameux plan de l'escalier dans Quand passent les cigognes. Tout ça est fait sur des filins : la caméra glisse, un opérateur la récupère avec un système d'aimantation, il la remet sur un câble, etc. Je voudrais que l'image soit très réaliste, documentaire, parce que je pense que ce film aura beaucoup plus d'impact s'il est traité de manière réaliste. A la différence de Calvaire, qui s'ancrait dans une forme de réalisme mais où le glissement se faisait à chaque fois par une scène très brutale, des glissements par paliers très martelés, je voudrais là, que ce soit assez inodore, incolore, qu'on ne le sente pas… 


Voilà, c'est toute l'ambition du film ! (rires)

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