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Vita Brevis de Thierry Knauff et Dimanche d'Edmond Bernhard - En salles le 06/06/2016

Publié le 03/06/2016 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Une Vie exaltée 

Parenthèse enchantée dans une filmographie exigeante et hors-normes, le nouvel opus de Thierry Knauff pourrait passer pour un exercice de style esthétique arty, mais se révèle un film captivant de bout en bout, un hymne précieux à la nature, à la vie et à l'art.
Pour l’accompagner, Thierry Knauff a choisi Dimanche d'Edmond Bernhard. Deux poèmes cinématographiques, singulièrement distincts, réunis pour un programme d'une rare beauté. Deux pépites. Flagey

Vita BrevisUn été, on se l'imagine, sur les bords de la rivière Tsiza, qui parcourt l'Europe centrale et se jette dans le Danube. Une jeune fille observe la nature alentours. Installée dans une petite barque en bois, elle s'intéresse alors à une étrange créature, insecte fabuleux, dont elle va suivre, comme nous, l'existence ; de l'éclosion du cocon à la mort finale. Dès le premier plan où la fillette (incroyable Hannah Fontaine) est accroupie au bord de l'eau, on sait que celle-ci sera notre guide, nos yeux par lesquels nous découvrirons un nouveau monde, de nouveaux gestes, de nouvelles beautés. Ses mains sont les premières invites à pénétrer un univers étrange et protéiforme, changeant au fil de la lumière, des mouvements et des sons. Filmé dans un noir & blanc profond où l'eau devient comme une huile, noire et intense, Vita Brevis regarde la vie courte des éphémères, insectes des plans d'eau. Après une vie larvaire antérieure (au film, à nous) d'environ trois ans, celles-ci éclosent par centaine de milliers pour se reproduire, et meurent la plupart à la fin du jour qui les a vues naître. Sous la caméra de Thierry Knauff, cette existence prend des allures de film d'aventures lorsque les larves se battent pour sortir de leur cocon ; de ballets psychédéliques où les nuées d'éphémères voltigent sur les eaux, lumières intarissables et hypnotiques, et de drame émouvant lorsque s'achève la danse de la vie.
Le film enchante car il nous emmène également du côté du conte et du merveilleux. Dotées de deux longs filaments qui prolongent leur corps telles des traînes de princesses, les éphémères vont s'attacher aux cheveux de la petite fille et les faire danser comme les moineaux de Blanche-Neige. Elles s'envolent comme des fées rieuses et brillantes. Cela fonctionne comme un documentaire sur des créatures chimériques, paradoxe étonnant.
Les passages brusques des avions au-dessus de la rivière ramènent soudain l'espace à des proportions immenses, le passage entre ces deux échelles de grandeur apparaît aussi violent qu'infini. Cette perspective renvoie à nos propres existences éphémères dont la fille représente la part naissante, qui va vers le monde.
Vita Brevis, de par sa durée originale (40') interroge aussi le formatage des films, alors que contrairement à de nombreux longs métrages, elle se suffit à elle-même. Ni long, ni court, le moyen métrage est sans doute le plus invisible hors télévision. Après un an à batailler pour que son film puisse sortir en salles, Thierry Knauff a choisi de le programmer en « Double ticket » avec Dimanche de Edmond Bernhard (1963).
« Dimanche aurait dû être un film de commande sur le “problème" des loisirs. Mais en proche contemporain d'un Resnais de Marienbad ou d'un Meyer de la Fleur Maigre, Edmond Bernhard s'affranchit du thème imposé et transcende l'ennui ordinaire d'une grande ville (Bruxelles) pour suggérer la vacuité de l’existence. Une réussite majeure du cinéma belge, jalonnée des percussions de Fernand Schirren.»
Pour Thierry Knauff, «voir Dimanche puis Vita Brevis, c’est passer d’un film “urbain” dont le silence est jalonné (et permis) par les percussions de Fernand Schirren à un autre univers porté par les sons d’un fleuve, d’une forêt et de la vie qui s’y déploie. Chacun à sa façon, permettant finalement, je l’espère, l’écoute d’une sorte de silence intérieur. »


Vita Brévis est projeté avec le film Dimanche d'Edmond Bernhard, en complément de séance à Flagey (Lire notre dossier sur Edmond Bernhard).

www.flagey.be 

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