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Voodoo de Samuel Lampaert

Publié le 07/12/2009 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

L’envers de la photo

Il est blanc parmi les noirs, la cinquantaine, les cheveux mi longs et grisonnant. Il travaille en Afrique, il fait des photos au Bénin, des photos de personnes influentes dans le culte Voodoo. Photos de prêtres et de prêtresses, photos posées, cadrées, préparées mais aussi photos senties, vivantes, témoignant de la beauté et de la dignité des gens photographiés. Photos enfin de ce qui d’habitude reste caché, non vu, non su, photos de ces fétiches animistes aux influences puissantes, à la magie opérante, à la présence inquiétante. Statues étonnantes tenues au plus profond des maisons, au plus secret des forêts, faites de terre et d’os, de pierres et d’écorces, de mystères et de sacré. Univers clandestin d’une religion qui s’anime au rythme des rites de possession, célébrant en un mariage ésotérique les correspondances entre thérapie et sorcellerie, libérant une zone d’ombre où la raison occidentale se perd en vaines conjectures quand elle ne donne pas libre cours à ses préjugés les plus ethnocentristes.

Voodoo, the origins, le film documentaire de Samuel Lampaert s’attache à suivre le travail de ce photographe. Sans commentaires, sans volonté d’expliquer la situation et ses enjeux, Voodoo demande de la part du spectateur comme un apprivoisement. Film étrange par son regard d’abord descriptif et qui nous place dans une distance où ne joue aucune sympathie pour le personnage principal, le photographe, Voodoo nous entraîne progressivement à dépasser une situation un rien déplaisante car matinée de voyeurisme pour nous donner à comprendre ce qui se joue dans les enjeux de cette démarche photographique.
Jouant des rencontres voulues par le photographe et son guide, gardant ces instants de déambulation où les questions que ces rencontres entrainent s’énoncent et rebondissent, Samuel Lampaert nourrit avec beaucoup d’à-propos son film de commentaires face caméra d’un anthropologue africain qui explique l’histoire du voodoo et éclaire les différentes facettes de ses pratiques.
De photos en ph
otos on comprend mieux ce souci de garder une trace, de révéler en quelque sorte ce qui fait du voodoo une réalité incontournable d’un mode de vie. Et comme le film se termine et cette fin est une réelle surprise, se dessine un projet assez formidable où se manifeste à l’œuvre une réelle transformation de ce mode de vie.
Ici enfin l’acte de photographier perd toute dimension de voyeurisme, toute effet d’innocence un rien méprisante, un rien condescendante pour nous faire vivre ce que cet acte de regarder et de conserver à de plus important. On pense à ce photographe américain E. S. Curtis qui parcourant les Etats-Unis en photographiant les indiens dans ce qu’ils avaient de plus vrais et de plus dignes, appelait tout un chacun à les voir autrement que comme des sauvages hébétés en voie de disparition.
Cinéma du visible et de l’invisible, de la mémoire et de la transmission, Voodoo œuvre à un devenir commun aux mondes blanc et noir et la force et la qualité du travail de Samuel Lampaert comme cinéaste est à la hauteur de la conclusion de son film, magistral.

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