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Waiting for august de Teodora Ana Mihai

Publié le 15/06/2014 par Serge Meurant / Catégorie: Critique

Ce premier documentaire de long métrage de la réalisatrice d’origine roumaine Teodora Ana Mihai est d’une qualité exceptionnelle. Il traite de l’émigration roumaine d’un point de vue rarement exploré : celui des enfants demeurés au pays en l’absence de leurs parents. Comment vivent-ils cette situation ? Comment se débrouillent-ils dans l’attente du retour de ceux-ci ?

Liliana est mère de sept enfants. Elle vit à Bacau, ville de la Moldavie roumaine qu’elle doit quitter pour travailler comme bonne à tout faire chez un couple âgé de Turin. Les raisons de son départ sont d’ordre économique. Elle est contrainte, n’ayant pas de parents à Bacau, de confier à sa fille aînée l’appartement et la gestion de la vie quotidienne des cadets. Georgina, à quinze ans, assume donc le rôle de mère tandis que Ionut, l’aîné de ses fils, dix-sept ans, apparaît comme un adolescent réservé et timide. Passionné de jeux vidéo, il se tient en retrait. Le plus jeune, Stélian, n’a que cinq ans. Il va à l’école maternelle. Jamais il n’est question dans le film d’un mari ou d’un compagnon.

Waiting for august

 

Le film est un huis clos presque entièrement tourné dans l’appartement exigu où vivent les enfants. Le monde extérieur est réduit au strict nécessaire : la banlieue, les barres d’appartements, une école, au rythme des saisons.

S’il n’y avait le téléphone et skype, ces enfants vivraient complétement isolés, laissés à eux-mêmes. La mère n’est que rarement montrée lors de ces conversations par skype. C’est une icône visuelle, mais dont la voix fait réagir chacun des enfants. Elle compense son absence par la promesse de cadeaux. Georgina a endossé le rôle de chef de famille. Les conseils de sa mère la guident à travers tous les obstacles quotidiens. Cette adolescente témoigne de ferme douceur et de maturité dans la manière où elle accomplit, de l’aube à la nuit, toutes les tâches qui lui sont confiées en même temps qu’elle poursuit ses études au lycée.

Rarement les enfants ont été filmés dans une intimité aussi grande que l’on pourrait qualifier de familiale. Qu’ils aident à la cuisine ou au ménage, qu’ils s’apprêtent pour l’école ou qu’ils jouent dans l’appartement, leur bonheur de vivre éclate en bourgeons. L’attente du retour de leur mère, la déception de ne pas la revoir à Pâques, mais seulement en été, ne sont pas sujets à dramatisation tellement ce groupe d’enfants reste soudé en une situation qui ne paraît pas être exceptionnelle dans l’émigration. Le film témoigne bien de certains sujets de tension dont la résonance est propre à la Roumanie post-communiste. Georgina, dans une conversation avec sa mère, s’émeut de la menace proférée par une religieuse que ses frères et sœurs soient envoyés à l’orphelinat. Il faut connaître la sinistre réputation des orphelinats créés sous le régime communiste pour comprendre la gravité de cette menace. Mais sa mère la rassure. Les temps ont changé.

L’impossibilité d’assurer la subsistance de sa famille au pays est la cause explicite de l’émigration de la mère en Italie. « La seule façon, répète celle-ci, de vous aider, c’est de travailler à l’étranger. Mais je ne vous ai pas abandonnés. »

 

Waiting for august

 

Et rien dans le comportement des enfants ne révèle l’angoisse d’un abandon.

Leur confiance en leur mère est totale. Ils se savent aimés et Georgina contribue, par sa tendresse inlassable et son autorité, à les rassurer. Sans que rien ne demeure caché des conditions matérielles vécues par les enfants, une impression de vie irrigue le film. Lorsque la mère revient enfin d’Italie et que ses enfants viennent l’accueillir à l’aéroport, l’inquiétude transparaît cependant sur leurs visages lors de ces retrouvailles tant attendues.

Waiting for august est un film sur la confiance et l’amour, sur la mise à l’épreuve du lien familial qui se renforce plutôt qu’il ne se détruit. Le personnage de Georgina rayonne d’une douce lumière. Elle s’épanouit et devient femme, sort du huis clos familial pour rejoindre ses amies, aller au parc d’attraction, et sans doute découvrir les sentiments amoureux. Tout cela nous est suggéré en quelques images joyeuses.

En filigrane, se posent les questions de l’émigration des femmes, de l’absence de l’homme dans cette famille. L’importance de la voix de l’absente est aussi à souligner dans un travail sur le son qui capte, comme un chœur, toutes les voix de la fratrie.

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