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Xavier Diskeuve à propos du film Mon cousin Jacques

Publié le 01/05/2005 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Xavier Diskeuve © Jean-Michel Vlaeminckx/Cinergie

 

Cinergie : Tu utilises les mêmes acteurs que pour La Chanson-Chanson, ton premier court métrage, notamment, François Maniquet qui a une grande présence à l’écran. Comment l’as-tu découvert ?
Xavier Diskeuve : C’est un ami de la famille. On se voyait tous les ans lors des réunions familiales. C’était le comédien de la famille qui montait des sketches. Plus tard on a eu le même professeur au cours d’art dramatique. Il est resté comédien amateur et économiste une  branche dans laquelle il truste les prix et les titres ! Lorsque j’ai réalisé La Chanson-Chanson je lui ai fait faire un essai et il occupait tellement l’écran en ne disant rien qu’on s’est dit, mon assistant et moi qu’on devait lui donner le rôle.  La première fois que je l’ai vu à l’écran, lorsqu’il rentre, à la table de la ferme, avec son cigarillo, il y a quelque chose de fort qui s’est passé.

 

C. : Tu navigues dans un registre du cinéma qui est proche de la comédie burlesque. L’un des genres les plus difficiles si on veut éviter la grosse farce. Tati et Keaton cela évoque quelque chose pour toi?
X. D. : On a plus à voir en Belgique avec le cinéma nordique qu’avec le cinéma du Sud. C’est un tort de vouloir rapprocher le cinéma belge du cinéma français parce que nous n’avons pas les mêmes rapports au langage. Ici, on s’exprime moins par la parole. C’est donc plutôt vers le cinéma d’un Kaurismaki, quoique nous soyons moins taciturnes que les Finlandais, qu’il faut chercher des références. Tati ou Buster Keaton opèrent également dans ce registre-là.

 

C. : Ce que tu essayes de développer, c’est un sorte de mini-suspens reposant sur le non-dit, un sous-entendu que les personnages expriment et que le spectateur est censé découvrir au fur et à mesure que se déroule l’intrigue. Un peu comme le personnage du curé qui, au départ est assez secondaire et qui finit par relier tous les fils. Par ailleurs ce qui est intéressant c’est que tu privilégies l’image, le plan par rapport au dialogue. Si on écoute la bande sonore sans voir l’image on passe à côté.
X. D. : Cela me fait plaisir que tu me le dises d’autant que mon prochain film sera muet ! Je peux me le permettre vu l’existence des deux premiers. C’est le moment de prendre un risque et après on essayera de réaliser un long. On va donc essayer, avant cela de faire un film plus radical et plus osé avec les mêmes acteurs que dans mes premiers films.

 

C. : Le tempo du film est particulièrement juste. L’as-tu travaillé dès le tournage ou lors du montage ?
X. D. : Le puzzle est construit dès le découpage. Lorsqu’on a monté le bout à bout, le film était presque terminé. On a seulement inventé le gag, du genre : la voix off qui fait une pause pendant que le personnage attend que quelqu’un soit passé avant de mettre une lettre à la poste. Cela a bien marché  bien que ce soit non grammaticalement correct. Donc à partir du moment où le découpage était fait avec Damien Chemin, pour moi le film était quasiment dans la boîte.

 

C. : Et le tournage ?
X. D. : Là il y a un vrai boulot avec les comédiens. Toutes les scènes sont répétées de manière assez précises avant d’être captées par la caméra. J’essaie de développer le sous texte, le sous-entendu du dialogue. Plus il y a d’intentions, en dessous de la réplique, (un malentendu qui s’installe ou une référence à des choses qui ont été dites auparavant) les choses fonctionnent.
Cela surprend souvent les comédiens parce qu’il s’agit d’une scène courte mais après l’avoir travaillé une heure et demie elle prend une ampleur dans le comique qu’il ne soupçonnait pas.  C’est capital dans la comédie car elle se construit en spirale.

 

C : La comédie est basée sur le quiproquo ?
X. D. : Tout repose sur une somme de malentendus ou de présupposés ou de doublons ou d’une connivence qu’on a installé avec le spectateur. Ce qui m’a épaté dans les comédies de Lubitsch, c’est leur fraîcheur. Un film comme The Shop around the corner démarre tout de suite comme un feu d’artifice. C’est impressionnant de voir à quel point il a tout inventé !
Pour le tempo j’ai du résister aux jeunes de l’équipe qui voulaient qu’on accélère. Je leur expliquais que l’humour vient aussi de la lenteur. Pas trop. Mais il ne faut pas brûler les idées. Il faut les laisser infuser.

 

C. : J’ai le souvenir de toi lisant Milan Kundera avec passion. Est-ce que le cinéma tchèque, époque Milos Forman ou Jiri Menzel t’as impressionné?
X. D. : Lorsque je revois Les Amours d’une blonde, je suis impressionné. Il fait son film avec une lenteur au comique irrésistible. Ce que je retrouve sur ses films suivants, son coup de patte, c’est l’omniprésence des seconds rôles. Même dans ses films américains, il arrive à les faire vivre et cela donne à ses films un relief extraordinaire et une touche européenne. Dans Amadeus, les scènes des courtisans de la cour du Roi Léopold sont inoubliables.

 

C. : On a l’impression que le cinéma belge vit un bouillonnement créatif sans précédent. Tu vois ton avenir vers l’élaboration d’un long métrage ?
X. D. : Je sens ce bouillonnement au niveau du court métrage. Les réalisateurs de long métrage sont des cinéastes qui de temps en temps montent dans le train suivant. Lorsqu’on a fait un ou deux courts on sent qu’on change de catégorie. C’est comme dans le cyclisme on passe des espoirs aux aspirants professionnels. Je ne pensais pas que c’était aussi cloisonné. C’est comme l’école, il y a la cour des grands et la cour des petits. Je vais essayer de faire un long métrage avec ma famille de comédiens et arriver à être jouissif sur 90’ au lieu de trente. Ce qui demande un solide travail surtout lorsqu’on travaille aussi fort sur l’ellipse que je le fais. En même temps je me dis que le déclic va opérer. J’ai quelques sujets que je travaille surtout visuellement. Il faut trouver le bon tempo.

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