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Jean-Pierre Berckmans

Jean-Pierre Berckmans

Métier : Réalisateur, Producteur

Ville : 1180 Bruxelles

Province : Bruxelles-Capitale

Pays : Belgique

Email : Cliquez ici

Date de naissance 19/02/1944

Biographie

 

Galerie photos

Filmographie

Regarde-moi

Regarde-moi

Producteur(-trice)
fiction
2000
 
Loin des Barbares

Loin des Barbares

Producteur(-trice)
fiction
1994
 

 

Le déclic...

Jean-Pierre Berckmans

Vers un monde de plaisirs secrets...

C'était pendant un de ces "voyages scolaires" qui amenaient régulièrement les élèves de gréco-latines à Rome.
Malgré - ou à cause de - sa beauté, Rome était, pour ceux d'entre nous qui n'avaient pas encore seize ans, une frustration permanente.
Il fallait seize ans pour louer une Vespa; il fallait seize ans pour entrer dans un "dancing"; il fallait seize ans pour aller au ... cinéma "enfants non admis".
Nous avions tous lu dans Paris Match et Ciné Revue - photos à l'appui - qu'un immense scandale balayait l'Italie : la Dolce Vita, un film de trois heures, une fresque orgiaque qui "révélait les moeurs dissolues de la haute société romaine". Un film tellement osé qu'on ne le verrait sans doute jamais chez nous en Belgique, le pays le plus pudibond d'Europe.

Ce soir-là, nous avions la permission de minuit et nous étions là, excités et vaguement inquiets devant le cinéma affichant la Dolce Vita. Nous avions décidé, à cinq ou six, de tenter d'entrer et de voir ce film dont le titre sonnait si bien avec l'Italie et qui nous semblait un but à atteindre pour nos prochaines années d'adolescents : nous roulerions nous aussi en TR3 comme Mastroianni sur les affiches et une femme mariée, belle comme Anouk Aimée, nous verrait en cachette, follement amoureuse.
Oui, pour nous, le cinéma c'était tout simplement cela. Une vie rêvée, une vie imaginaire et la découverte confuse de ces piments de l'existence : le danger, le mystère et le sexe.

A notre grand étonnement, nous avions acheté les billets sans problème à une caissière indifférente à notre âge et nous nous dirigions vers l'entrée de la salle quand soudain, un contrôleur moustachu s'interposa et nous demanda nos cartes d'identité... Dépité, le groupe fit demi-tour. Un ami et moi avions décidé de rester un peu en arrière. Voyant le manège, nous nous présentons devant le moustachu en fouillant nos poches, devançant son contrôle, et nous exhibons nos cartes d'étudiant dûment trafiquées qui nous accordaient seize ans et demi. Le moustachu exigea la carte d'identité.
Sous le regard amusé d'une jeune ouvreuse, j'expliquai que chez nous en Belgique nous n'avions de carte d'identité qu'à partir de l'âge de dix-huit ans. Le moustachu agitait la tête: "Impossibile, non e vero..." Je jetai un coup d'oeil désespéré vers l'ouvreuse dont les grands yeux noisette me souriaient. La jeune femme s'approcha de moi et se mit à parler au moustachu, et je compris qu'elle défendait notre thèse. Le moustachu abandonna la partie et nous laissa passer.
L'ouvreuse nous guida dans le noir vers l'interdit. Je lui murmurai "grazzie", elle me dit à l'oreille quelques mots en italien. Le film venait de commencer et la statue du christ suspendu à l'hélicoptère éclairait son joli visage. J'étais fou de joie et je me laissai envoûter par les images en CinemaScope noir et blanc de la Dolce Vita.
La force de ces images, les trouvailles visuelles de Fellini, cette extraordinaire impression d'aborder par l'émotion la presque totalité des expériences humaines, la formidable galerie de personnages me subjuguaient. Je ne comprenais rien aux dialogues italiens sans sous-titres mais je saisissais parfaitement le sens de tout cela, mon exaltation augmentait sans cesse, je me sentais euphorique et je décidai soudain que j'allais moi aussi me servir des images pour m'exprimer.
Oui, je serais cinéaste, je ferais confiance aux regards pour parler aux spectateurs futurs comme j'avais pu communiquer mon désir d'entrer dans cette salle à l'ouvreuse inconnue, je serais à mon tour la petite lampe qui ferait traverser les ténèbres vers un monde de plaisirs secrets...

Jean-Pierre Berckmans