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Philippe Elhem

Philippe Elhem

Métier : Scénariste , Réalisateur

Ville : Bruxelles

Province : Bruxelles-Capitale

Pays : Belgique

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Galerie photos

Filmographie

Jan Hermann

Jan Hermann

Comédien(ne)
animation
2004
 
Pure Fiction

Pure Fiction

Scénariste
fiction
1998
 
Une chambre pour la nuit

Une chambre pour la nuit

Producteur(-trice)
fiction
1996
 

Le déclic...

Philippe Elhem

L'effet de réel

Ma mère était très cinéphile. Elle achetait Ciné-Revue et affichait au mur les photos de ses vedettes préférées. Elle m'emmenait au cinéma plusieurs fois par semaine. Nous allions voir ensemble des films "pour adultes" et je me souviens que dès cet âge, je détestais les films dits pour enfants. C'était grâce à ces séances que le bel échafaudage moral qu'on s'était efforcé de m'inculquer à l'école s'effondra d'un coup. J'ai oublié le titre du mélodrame de cape et d'épée que nous allâmes voir ce jour-là. Dans cette sombre histoire de jalousie et de vengeance, l'enfant que j'étais retrouvait des figures bien connues : les bons et les méchants, l'héroïne douce comme un ange, son tyran domestique de mari, et son sympathique amant. L'issue du drame ne pouvait faire de doute : les bons seraient heureux et les méchants punis, et je ne m'inquiétais pas trop pour l'infidèle et son petit ami. C'est pourquoi je n'ai jamais oublié la scène qui suivit : le barbon surprenait le couple adultère, provoquait l'amant en duel, et profitait de ce que celui-ci lançait un regard énamouré à sa dulcinée pour le trucider. J'ai été plus que bouleversé, véritablement scandalisé par ce coup de théâtre qui allait à l'encontre de tous les schémas établis, et malgré la suite conventionnelle du film où tout rentrait dans l'ordre (la femme, enceinte de son amant, accouchait d'un petit bâtard qui, devenu grand, vengeait son père), je n'ai jamais oublié cette émotion : brusquement, le bien n'était plus automatiquement récompensé ni le mal puni ainsi qu'on nous l'enseignait au cours de morale.
C'était déjà, au fond, l'irruption du réel dans la fiction, que plus tard j'apprendrais à théoriser au contact des oeuvres d'Orson Welles et de Michelangelo Antonioni. Encore aujourd'hui, le cinéma qui m'importe relève d'une recherche, parfois contradictoire, du réel, un réel qui ne se confond pas avec le "naturalisme", même si celui-ci peut, sous certaines conditions, traduire celui-là (c'est-à-dire quand il est porté par un regard d'auteur, de Pialat à la Haine de Kassovitz), et qui n'a rien à voir avec "l'effet de réel" dont se gargarise la production contemporaine. Avec le recul, je m'aperçois que ce qui reste de vivant dans l'oeuvre des grands cinéastes, c'est bien la part de réel qu'ils ont su capturer. Chaque grande forme cinématographique, chaque grand style n'est qu'une façon pour son auteur d'ouvrir un chemin neuf (souvent à son usage très personnel) vers le réel. Par exemple, à revoir les films de Welles, ce qui frappe aujourd'hui, c'est moins leur génie formel que le fait que ce génie est avant tout un dispositif bouleversant de captation du réel. Bref, toute grande oeuvre postule une recherche neuve, originale, seul moteur, depuis toujours, de la création cinématographique au sein de la jungle audiovisuelle. C'est, devenu cinéaste, à la quête de ce réel que je veux consacrer mes modestes efforts - un réel qui ne se confond pas, une fois encore, avec le "réalisme" mais n'existe que produit et capté par la caméra -, afin, peut-être, de donner au spectateur une émotion comparable à celle qu'enfant je ressentis en voyant un méchant barbon transpercer un fringant jeune homme.

Philippe Elhem