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Angelika de Léopold Legrand

Publié le 27/03/2017 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Ange ou démon

Depuis plus de dix ans, l’Insas, la célèbre école de cinéma bruxelloise, envoie quelques étudiants de dernière année tourner leur film de fin d’études ailleurs… Ailleurs, cela peut être Aubagne, mais aussi Pékin, Sao Polo, Hanoï ou encore Lodz. Une belle occasion pour ces jeunes cinéastes de trouver d’autres inspirations, de se confronter à une réalité nouvelle, d’essayer de se frotter à une autre langue et une autre culture. Le pari à relever s’avère difficile et souvent, échoue… Mais l’inverse est également vrai, quelques étudiants parviennent à se tirer magistralement des difficultés, et à tourner l’inconnu à leur avantage. C’est bien le cas de Léopold Legrand parti en Pologne et revenu avec Angelika, un court-métrage de 14 minutes d’une justesse rare et dont le seul défaut est sans doute d’être trop court.

Angelika de Léopold Legrand

Le film s’ouvre sur des chiens enfermés dans un chenil qui aboient désespérément. C’est bien nous qu’ils regardent derrière ces grilles où se lisent la peur, la frustration, l’enferment et la rage. Sur un terrain de foot, un peu après, c’est une autre meute qui aboie, quelques gosses mal fagotés comptent bruyamment jusqu’à 20, incitant la gamine suspendue par les mains au filet de la cage du but à résister le plus longtemps possible. On l’a compris, l’histoire ne sera pas à l’eau de rose, mais à l’eau sale des égouts, une de ces histoires où il s’agit de tenir le coup, coûte que coûte. Sans que rien ne soit jamais explicité, sauf dans le montage et dans des micros événements métaphoriques, c’est la vie d’Angelika qui se devine : une vie à l’institution, une famille désastreuse, le terrain aride de l’adversité sociale …

Seules les bribes de conversation avec un psychologue que l’on ne voit jamais dans le champ laissent entrevoir les difficultés de cette enfant. Il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne pas s’émouvoir devant la bouille de cette gamine haute comme trois pommes ressemblant autant à une fille qu’à un garçon et accoutré comme dans les années 80. Courageuse et provocatrice, Angelika prend tout en dérision, se moque et rit trop fort, frappe les arbres qui eux, au moins, ne risquent pas de rendre les coups.

Le film, sans cesse, fait des allers retours entre la promenade d'Angelika pour rejoindre le chenil où son chien lui aussi est enfermé, la vie quotidienne de l'institution et les entretiens avec le médecin. Et tout le talent du jeune cinéaste est d'adopter des positions en accord avec les situations. Frontale et butée, sa caméra suit la marche d'Angelika, attentive et fureteuse elle s'insinue dans les entretiens psy, discrète et sans pathos, elle capture chaque émotion dans les retrouvailles avec son chien. Aucun voyeurisme dans ce parti pris de coller aux basques de ce petit et immense personnage, mais au contraire la volonté pratique d’éviter tout jugement moral et tout psychologisme.

 

En suivant Angelika et presque elle seule, en se privant des plans larges sur les rues, le bâtiment institutionnel, et même d’autres personnages, Léopold Legrand crée un hors-champ bruissant, plus proche ainsi d’un réel si complexe qu’il n’est pas explicable, et donc impossible à montrer.

On aurait envie que ça dure, savoir ce que cette petite fille va devenir... On avait oublié qu'il s'agissait d'un court-métrage d'étudiant, presque oublié que tout cela est hélas un morceau de notre monde, et qu'il s'agissait juste ici d'un essai de cinéma. Et finalement, le film donne envie de hurler de colère et de douleur.

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