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Festival Anima : Le prix Cinergie 2017 : Une rencontre avec Laura Nicolas

Publié le 03/10/2017 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Entrevue

Laura Nicolas a terminé cette année ses études en animation à La Cambre. Comme fruit de ces dernières, elle nous laisse trois petits films qui témoignent d’une grande variété d’inspiration, d’un intérêt pour la maîtrise de techniques très différentes, et d’une fraîcheur taquine et gentiment impertinente de très bon aloi. Ces qualités ressortent dans son animation 69 secondes, présentée cette année dans la compétition de court-métrages belges du festival Anima. Toujours en quête de jeunes créateurs à encourager, le jury de Cinergie lui a décerné son prix, qui distingue la meilleure animation de l’année aux yeux des journalistes de notre webzine. Et Laura Nicolas, qui repartait également avec en poche le prix Be TV, ne s’est pas arrêtée là. Son film a été présenté dans de nombreux autres festivals en Belgique et à l’étranger, jusqu’à la prestigieuse Mecque d’Annecy et a suscité partout les commentaires encourageants de la critique et du public. Un accueil qui ne peut que booster cette jeune artiste à l’heure où elle s’apprête à entrer dans sa vie professionnelle. Voilà de nombreuses bonnes raisons de nous donner l’envie de rencontrer cette jeune femme pétillante à la personnalité attachante.

C. : Qui êtes-vous, Laura Nicolas ?
L.N. : Je suis une jeune bruxelloise de 24 ans quine comptais pas du tout s’investir dans des études artistiques. Je faisais mes études secondaires à St Luc et j’ai pris un job étudiant dans une usine où il fallait emballer des chocolats, répéter le même mouvement toute la journée. C’était très fatiguant intellectuellement, si bien que des images ont commencé à germer dans ma tête et, à la fin de ces deux semaines de travail, j’avais très envie de les rendre réelles. J’étais en rhéto et mon chef d’atelier m’a laissé faire le petit film que j’avais en tête. Comme j’avais très peur de dessiner des têtes (même à La Cambre, ça m’a pris des années avant que je ne me lance dans cet exercice), nous l’avions fait en rotoscopie1. J’avais demandé à des copines de poser, puis j’avais peint par-dessus et voilà. Ça durait 30 secondes, c’était assez sommaire mais c’était super cool à faire. Et puis c’était mes premiers essais de montage, vraiment du bricolage mais ça m’a vraiment bien plu. Ensuite je suis allée aux portes ouvertes à La Cambre. J’accompagnais des amis mais, à tout hasard, je suis allée voir la cellule cinéma d’animation. Là, je me suis rendu compte que je correspondais assez bien à leur profil, et je me suis décidée à passer le concours d’entrée. Au départ, c’était un plan B et puis me voici cinq ans après (rires).

Cinergie: Vous dessiniez déjà, à ce moment-là ?
L.N. : Oh, j’ai toujours dessiné. J’aimais tout en fait. J’aimais bien faire des collages aussi. Le truc c’est que je n’ai jamais vraiment saisi la différence entre dessiner et inventer une nouvelle recette de cuisine ou autre chose. J’ai l’impression qu’on peut créer avec n’importe quoi, n’importe où et à n’importe quel moment. On peut dessiner, faire des montagnes avec des cailloux… Cela va dans tous les sens.

C : Je me suis laissé dire que vous aviez un intérêt tout particulier pour la culture chinoise, notamment la calligraphie et que c’est la calligraphie qui vous a donné envie de faire du dessin.
L.N. : C’est vrai. Je ne suis pas vraiment une experte mais, étant à moitié chinoise, j’ai toujours eu beaucoup d’intérêt pour ma seconde culture. Comme je n’ai pas grandi en Chine, je ne la connais pas tellement bien, mais j’ai développé une énorme curiosité. Avec mon frère, la moindre petite parcelle de ce qu’on pouvait absorber de la culture de notre maman, on l’absorbait. Notamment la calligraphie que l’on pouvait partager un peu avec notre grand-père. Grand-père, tous les matins, cela fait partie de son petit rituel, il se lève, il fait une heure de calligraphie, pour le plaisir. J’en ai d’ailleurs plusieurs sur mes murs.

Laura NicolasC : La calligraphie, ce n’est pas que le dessin, c’est le geste aussi…
L.N. :
Oui c’est cela. On n’a pas le droit à l’erreur, il ne faut pas hésiter. C’est vraiment la maîtrise de la spontanéité, qui va dans le geste, dans l’instant, mais en même temps dans la maîtrise. Je trouve cela vraiment fascinant et très beau. Pour moi c’est vraiment un art du geste.

C : Et vous avez essayé de retranscrire cela dans votre animation ?
L.N. : J’ai un peu essayé, dans mon film de cette année, d’introduire des images assez calligraphiques avec des personnages fabriqués de traits de pinceau mais que je recomposais après sur Photoshop. Ce ne sont que de petits essais discrets, mais je pense que cela pourrait être poussé beaucoup plus loin. Comme cela fait partie de leur culture, les Chinois utilisent beaucoup cela dans leurs films, parfois de manière très élégante, parfois moins. De mon côté, j’aimerais essayer d’aller plus loin dans l’exploration de ce côté télégraphique, en un seul geste. Puis c’est intéressant avec l’animation qui est un art très calculé. Ce n’est pas spontané l’animation, c’est la répétition, beaucoup chipoter. Mais il est possible de recréer en animation cette illusion, cette espèce de formation du geste qui me plait énormément.

C. : Vos films d’études sont trois travaux très différents. Ce qui est normal puisque l’objectif est de développer toutes les facettes de son talent, mais chez vous, c’et vraiment très varié. Il y a Petit salé, qui est un intéressant essai sur le rôle de la crotte de nez dans la gastronomie contemporaine (rires) C’est une petite animation rapide et efficace, très simple. Cela dit, il y a déjà un scénario, un découpage et du dessin, de grands aplats de noir. Et puis il y a 69 secondes…
L.N. :
(m’interrompant…) Et vous oubliez La botanique des amours. (en fait, j’allais y venir mais la spontanéité ne se commande pas…) C’est un travail de fin d’études que j’ai fait avec ma meilleure amie (Anne-Sophie Cayon, NdR). On s’était rencontré lors de mon arrivée à La Cambre et on a fait ce projet-là alors que j’étais en deuxième année et elle en Master 2. À La Cambre, ce genre de collaboration entre une quasi-débutante et une étudiante déjà confirmée est possible. Cela, c’est formidable. C’est vraiment une chouette expérience.

69secC. : Le film est un assemblage de techniques extrêmement différentes : il y a du dessin, très raffiné parfois, comme dans l’herbier, il y a du stop motion avec les fruits et les légumes, il y a de la prise de vue réelle… C’est l’alliage de vos deux personnalités qui a donné naissance à un tel kaléidoscope ?
L.N. :
On est très contentes toutes les deux d’avoir réussi à en faire un film, parce que le sujet nous emballait tellement qu’on explosait d’idées. On en avait trop, dans tous les sens. Le film, c’est 50% de ce qu’on avait vraiment produit. Mais travailler avec quelqu’un avec qui on a un bon feeling, c’est vraiment génial. On échange et c’est très agréable. Puis on divise toute la pression par deux, on peut mieux relativiser et à deux, on arrive plus facilement à tenir la barre. On doit un peu gérer le stress de l’autre mais ce qui était chouette c’est qu’on n’était pas stressées toutes les deux en même temps, donc on pouvait plus facilement gérer.

C : Et puis, il y a 69 secondes, qui est encore une technique tout à fait différente. Quelque chose que vous n’aviez jamais fait avant. L’idée de ce cadre dans lequel vous incorporez des bonshommes qui vont remuer sans jamais sortir des limites de ce carré, c’est très graphique finalement comme travail ?
L.N. : C’est parce que j’avais fait Petit salé avant que j’ai eu envie de faire 69 secondes. Sur Petit salé, j’ai eu des moments de vraie détresse parce que je n’arrivais pas vraiment à dessiner les personnages comme il le fallait. J’étais complètement perdue, mais je n’avais pas le choix en fait. Il fallait que je trouve des solutions graphiques pour pouvoir faire passer à l’image, sans devoir dessiner, toutes les choses avec lesquelles je ne me sentais pas à l’aise. À de nombreuses reprises, j’utilise des astuces pour faire comprendre des espaces ou donner de la perspective sans espaces ni perspective. Et cela, ça a vraiment débloqué une certaine façon de penser. Dans mon cerveau, j’ai gardé ce principe de mouvements coulissants, latéraux qui vont sur la verticale ou l’horizontale. J’en suis venu à me dire que ce serait génial de faire un projet qui serait fondé uniquement sur ce principe-là. Du coup, j’ai pensé à ces petits puzzles de mon enfance avec, dans un cadre, des carrés coulissants en plastique. Il y manquait une pièce, ce qui permettait de les faire bouger, et on devait reconstituer l’image en déplaçant les carrés horizontalement et verticalement. Et c’était tout à fait cela l’idée. En plus, à ce moment-là, j’abordais mes premières notions de Motion Design 2, et j’avais très envie d’approfondir assez vite. Je me suis dit "OK, lançons un projet là-dedans en gardant en tête l’idée du Kamasutra", et c’est 69 secondes.

C : L’idée d’explorer le Kamasutra en 69 secondes était donc là d’emblée ? Le sujet n’est pas facile à traiter. Vous le faites ici de façon ludique, fraîche, décalée, mais parler de sexe, même de cette manière, peut aussi être mal perçu. C’est un aspect qui ne vous a pas fait peur?
L.N. :
Alors là vraiment pas. Sur le coup, je ne me suis même pas posé la question. J’ai trouvé que c’était idéal pour animer des formes qui s’imbriquent. C’était aussi bête que cela. Je me suis dit que ce serait génial de faire un Kamasutra, avec les positions qui changent. Cela m’amusait beaucoup et c’est parce que cela m’amusait que je l’ai fait. Je n’ai pas du tout intellectualisé, réfléchi au comment j’allais faire passer le message et tout cela. C’était juste une très grosse envie d’essayer un truc que j’avais en tête depuis un moment et du coup, dans ces cas-là, il n’y a plus qu’à le faire, sans trop réfléchir.

C : C’est un gros travail de préparation. Tout doit être parfaitement agencé, et chaque mouvement doit ouvrir sur un autre mouvement. Ce ne doit pas être évident de tout mettre en place ?
L.N. : Avant de démarrer le film, j’avais réalisé un premier test visuel, pour me faire une idée et pour avoir quelque chose à montrer aux profs. Ce premier test n’est pas dans le film, mais j’avais failli abandonner le projet parce que je m’étais dit que c’était vraiment infernal à animer. Il y avait trop de pièces à tenir en compte en même temps. Parfois, cela allait jusqu’à une centaine d’éléments. Chaque orteil, c’est un calque, chaque ongle, c’est un calque.

C : C’était du dessin ou du virtuel ?
L.N. :
C’est des formes vectorielles que j’ai imbriquées les unes dans les autres. Mais avant, je suis passée par le dessin. J’avais un petit cahier avec plein de carrés, et dans les carrés, j’avais divisé en quatre et puis je faisais des calculs savants pour savoir comment j’allais tout faire rentrer dedans. Rien que pour inventer une position, cela me prenait minimum une matinée, parfois une journée entière de travail. C’était chaque fois le challenge de savoir comment j’allais arriver à tout caser sans que cela fasse disproportionné. Et puis, il y avait l’animation. C’était vraiment tout faire en même temps et c’était un peu lourd.

C : Le faire vous a pris combien de temps ?
L.N. : En conception, donc vraiment le faire, je crois que cela m’a pris deux mois. Mais pour le penser, cela m’a bien pris le temps d’une année scolaire. J’avais plein de projets à côté et il fallait beaucoup de temps pour y réfléchir, le dessiner, le mettre de côté, mais pour le faire, cela a été vite. C’est le gros avantage du Motion Design, avec des logiciels comme After effect. Avant, j’étais une clette pour tout ce qui était animation par ordinateur, ce n’était vraiment pas mon truc, mais après avoir découvert les pouvoirs d’After effect, j’ai pu voir les choses autrement. C’est un outil qui ouvre un nombre incroyable de possibilités. L’apprendre a vraiment été un plaisir.

69secC : La musique est très importante sur 69 secondes. Les mouvements doivent s’enchaîner sans temps mort dans un rythme constant et rien ne peut venir hors du tempo.
L.N. : Pour la musique, j’ai eu beaucoup de chance. J’ai fait la connaissance d’un étudiant du conservatoire de Mons qui avait passé une petite annonce dans les couloirs de La Cambre. Je suis donc allée l’écouter sur son blog et j’ai trouvé génial ce qu’il faisait. Une électro expérimentale hyper structurée, organique, exactement ce qu’il me fallait. Je l’ai contacté et il a vraiment su mettre en relief le film. Avec le son, il y a quelque chose qui prend vie, et ce que j’aime beaucoup quand on travaille avec quelqu’un d’autre, c’est qu’il propose des choses auxquelles on n’aurait jamais pensé avant. Il met un son et, à la première écoute, on n’aime pas parce que ce n’était pas ce qu’on avait imaginé. Puis tu réécoutes et tu te rends compte que c’est vraiment top, qu’il a mis une autre épaisseur. Un autre point de vue sur ce qu’on avait créé. Il y a certains réalisateurs que cela doit beaucoup gêner parce qu’ils ont une idée très claire de ce qu’ils veulent mais moi je n’ai pas du tout de problème avec cela. J’aime beaucoup l’idée de faire muter ensemble le projet. Et il a proposé des idées que je trouve vraiment audacieuses et bien en phase avec le projet.

C : Et quels sont vos projets professionnels, maintenant que vous avez fini vos études, qu’avez-vous envie de faire ?
L.N. : Dans un premier temps, partir en voyage. Pendant six mois, avec mon amoureux, on va aller en Mongolie, en Chine et au Japon. Pour un peu souffler. Cela fait presque cinq ans maintenant que chaque année, je dois sortir un nouveau film, à chaque fois trouver de nouvelles idées de nouveaux projets et là, j’ai très envie de me nourrir un peu à nouveau, de me renouveler, de voir d’autres choses. Après ce voyage, j’aimerais bien travailler sur des projets d’autres personnes, ne pas être à la genèse d’un film, mais essayer de contribuer au projet de quelqu’un. C’est très éprouvant de devoir tout mener de front de bout en bout, prendre toutes les décisions seule, et j’aimerais bien une fois voir ce que cela fait d’être juste dans un segment de la création d’un film : la création graphique ou simplement le montage ou … à moins bien sûr que je n’aie une idée de film qui me viendrait tout d’un coup et que j’aurais super envie de faire. Sinon j’aimerais bien continuer à faire de petites bandes annonces pour des événements, des festivals. Je l’ai déjà fait deux fois et, à chaque fois, j’ai bien aimé l’expérience. C’est très court, 20 secondes, pour capter une multitude de choses et donner aux gens l’envie d’aller à cet événement. C’est un format qui me permet de beaucoup expérimenter avec peu de temps et cela, j’aime bien.


1 La rotoscopie est une technique d'animation qui consiste à filmer des choses réelles puis, dans un deuxième temps, de redessiner chacune des images. (NdR)

2 Le motion design désigne tout ce qui est design graphique animé. On l’utilise aujourd’hui un peu partout en audiovisuel, depuis le création de sites web jusqu’à l’habillage d’émission de TV en passant par le clip ou le jeu vidéo.

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