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Le Généraliste de Damien Chemin

Publié le 13/07/2006 par Katia Bayer / Catégorie: Critique

On croit piéger le soleil et les gens en se réfugiant un jour d’été à l’intérieur du Bar Parallèle pour mener tranquillement une interview avec Damien Chemin. Sornette, oui ! La vie de café, les sifflements joyeux, les « deux bières s’il te plaît, chou! » et autres « Ça va, Marcel ? » affolent les yeux et les oreilles mais la concentration demeure. L’objet de la rencontre : Le Généraliste, le dernier court métrage du réalisateur, Prix du public au Festival 2006 du court métrage de Bruxelles.

Une habile interaction entre dialogues savoureux, humour mordant et décor soigné.

Le pitch ? Lors d’une consultation, un médecin interroge machinalement ses patients : « Alors, qu’est-ce qui se passe ? » N’aurait-il rien remarqué ? Pendant la nuit, de beaux bois de cerf ont poussé sur la tête de Richard. Cela le gêne-t-il ? Pas du tout : au contraire, il se sent très bien. Voyez sa belle mine! Monique, son épouse s’en fait, par contre : son mammifère de mari, outre avoir délaissé le dîner de la veille, gigote allègrement dans tous les sens ! Non, vraiment, il ne peut pas sortir comme ça ! Qu’elle se rassure : le généraliste connaît son métier…

Le sujet de ce quatrième court serait-il lié à une quelconque fascination du réalisateur pour nos amis les ruminants des bois ?! Rires de l’intéressé. « Pas du tout ! Ça fait un moment que je travaille sur l’idée d’un personnage qui se transforme subitement, en partie, en animal. En fait, j’ai écrit Le Généraliste, et j’ai eu envie de faire quelque chose de plus long sur ce thème-là. Donc, j’ai écrit un film d’une demi-heure qui n’est pas tout à fait pareil mais qui a des points communs assez forts. Pour l’instant, il s’appelle La Monique de Joseph et c’est plutôt une comédie assez poétique, assez visuelle. Je pense qu’il va y avoir des éléments de tous les films que j’ai faits. Visuellement, c’est l’univers de Rendez-vous mais il y a des scènes assez dialoguées un peu dans le ton de Poulet-Poulet. Monique et Joseph sont paysans. La fermière, un matin, se transforme en biche.» Le moyen métrage devait se faire mais pour des raisons budgétaires, le tournage a été repoussé à la rentrée. La version initiale et courte a donc été réalisée à la place.

Le cinéma n’est pas toujours le reflet de la réalité : si une visite chez votre praticien dure facilement une demi-heure, voire une heure, Damien Chemin vous la synthétise en six minutes. Le temps suffisant d’installer un registre comique, un cadre spécifique, quelques bons dialogues et une chute ludique. « Cette fois-ci, j’avais juste envie de travailler sur une idée sans être nécessairement attaché à un début et une fin et à raconter toute une histoire. J’aimais bien l’idée qu’on voit une consultation étrange et qu’on puisse en imaginer d’autres. Je me suis rendu compte avec Poulet-Poulet, qui était le plus court jusqu’ici [10 minutes], qu’un très court trouve facilement de la place dans les festivals et à la télévision. C’est vrai que je trouve quand même plus agréable quand mon film peut être vu ! Donc, je me suis dit : "l’idée de film très court, allons-y"! ».

Comme Damien aime en plus le cinéma visuel et esthétique, il choisit une image en noir et blanc à l’instar de son premier film, Comptine. « [Pour Le Généraliste], j’ai tout de suite pensé au noir et blanc parce que je me disais que ça permettrait de distancier un peu le réalisme. Ça me plaisait - comme c’était le cas pour Comptine - de créer une espèce de réalité un peu intemporelle, un passé imprécis. » Effectivement, le film est difficilement situable : on ne saurait deviner où et quand son intrigue a lieu. Mais l’aspect décalé du sujet et l’image bicolore fait penser à l’Amérique des années 50 et aux comédies inspirées de Billy Wilder et de Howard Hawks. Réaction du court métragiste : « Je n’ai pas pensé précisément à des références. La seule que j’ai donnée au chef op’, c’était Les Amours d’une blonde de Milos Forman. J’aimais bien ce type d’atmosphère en noir et blanc assez simple. (…) Billy Wilder, que j’adore, a une approche qui n’est pas du tout réaliste : ses films sont un peu excessifs et en même temps très vraisemblables. J’aime bien cet équilibre dangereux. Mais ici, j’ai choisi un style plus burlesque, une approche un peu plus clownesque. »

Si l’humour du scénario de Poulet-Poulet était dû en partie aux sous-entendus, celui du Généraliste s’intéresse aux décalages entre l’image et le verbe. « Ce que j’essaye de travailler en écrivant, c’est le rapport entre le dialogue et le visuel. Si on isole les dialogues, ce serait à peu près normal. Par contre, avec ce qui se passe visuellement et l’absurdité de la situation, ça prend un double sens. Cela m’intéressait. Par exemple, j’aime bien cette phrase classique de tout médecin : "est-ce que c’est la première fois ? ". Et bien, dans ce cas-là [Richard ressemble à un cerf!], évidemment que c’est la première fois ! J’aimais bien conserver des choses très banales qui, dans un contexte, nous parlent. La bande image est devenue tout à fait absurde et, je l’espère, comique! ».

Outre le décor et la situation, les comédiens, par leur jeu et leur physionomie, participent évidemment à ce processus humoristique. Carlo Ferrante (déjà dirigé par Damien Chemin dans Rendez-Vous), le patient ordinaire-pas ordinaire, a une façon unique d’expirer et de sortir du cadre! Vera Van Dooren, la Monique, a un fort bel accent et un visage génialement expressif qui pourrait bien faire penser à celui de Yolande Moreau. Quant à Alexandre von Sivers, le fameux généraliste blasé, il est tout aussi fabuleux. Chemin n’en pense pas moins : « J’aime bien les acteurs qui ont des gueules parce que j’apprécie que, très rapidement, ils expriment des choses visuellement sans devoir entrer dans une psychologie complexe. » Et de les y aider : par exemple, pour enrichir le personnage de Richard, le réalisateur a observé, en compagnie de Carlo Ferrante, tout plein de (vrais) cerfs, sujets d’un documentaire. Le résultat est plus que probant : vous ne verrez plus votre généraliste de la même manière!

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