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Soeur sourire de Stijn Coninx

Publié le 08/05/2009 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

La Nonne Nature
Depuis les succès consécutifs en langue française de La MômeColucheSéraphine ou encore Mesrine, le biopic est devenu un genre très couru dans le paysage cinématographique francophone. Avec son thème classique du « rags-to-riches… to rags », le succès et la descente aux enfers d’un personnage public fascinant et controversé, l’histoire tragique de Jeannine Deckers, mieux connue sous le nom de scène de Sœur Sourire (1933-1985) se prêtait parfaitement à une adaptation cinématographique. Après un premier film farfelu, The Singing Nun (1966, de Henry Koster, interprété par Debbie Reynolds) prenant beaucoup de libertés avec la réalité historique et houspillée par Sœur Sourire elle-même, c’est le flamand Stijn Coninx, (qui, après Daens, n’en est pas à sa première évocation critique des autorités cléricales) qui s’y colle, aidé par un casting et une équipe 100% belge.

Soeur sourire de Stijn Coninx

 

Si la simple évocation du nom de la nonne la plus célèbre de Belgique prête à sourire, peu connaissent le drame derrière la gloire. C’est en 1959 que Jeannine Deckers quitte sa famille pour entrer au couvent au sein de l’Ordre Catholique des Dominicains, guitare à la main et des chansons plein la tête. Espérant trouver chez les sœurs ce qu’elle ne trouve pas dans la vie de tous les jours - sa liberté de penser et la possibilité de s’exprimer en s’adressant directement au Grand Manitou in the sky en personne - Jeannine va chercher à donner à autrui l’amour qu’elle n’a pas reçu de sa mère. Elle devient Sœur Luc-Gabriel au couvent de Fichermont, à Waterloo.
Durant les rudes premières années de sa vocation, l’apprentie chanteuse va rapidement… déchanter et se rendre compte à quel point l’évêché est fermé de l’intérieur. Se sentant prisonnière et muselée, Jeannine va voir ressortir son côté rebelle et faire la révolution au couvent, au grand dam de l’autoritaire Mère Supérieure. 
Insufflant un peu d’anarchie et de modernité chez ses collègues, Jeannine compose en 1963 une petite chanson anodine, qui par l’intermédiaire d’un documentaire tourné au couvent va devenir un tube planétaire. Si « Dominique… (nique… nique…) » est un tube mondial qui, à l’instar du « Zizi » de Pierre Perret, est encore sur toutes les lèvres, notre Soeur Sourire, ayant fait vœu de pauvreté et d’obéissance, ne verra rien venir de ces retombées financières phénoménales ! En tous chemins, en tous lieux, Jeannine ne parle que du Bon Dieu tout en essayant de faire sauter les verrous de cette institution rigide et conservatrice qu’est l’Eglise Catholique, bien moins rigolote que dans Don Camillo. Rêvant d’une Eglise au service de l’Humanité et des plus démunis, Jeannine tombe de haut lorsqu’elle réalise que son Dieu est un étrange berger qui attend de ses agneaux qu’ils soient dévots. Et s’ils ne sont pas dévots, ils seront détruits ! L’Eglise au service… de l’Eglise ! Trop contents de l’opportunité offerte sur un plateau d’argent, les autorités cléricales associées à la maison de production Philips utiliseront sa chanson pour rajeunir leur image auprès des jeunes cathos, empochant au passage tous les « petits » sous dans leurs grosses poches. Il ne reste à Jeannine que Lisieux pour pleurer dans la maison du « Saigneur »  (à blanc). Au nom du pèse, du fric et du saint bénéfice, ramène ! …  

Ecœurée et trahie, Jeannine quitte le couvent, reprend brièvement des études à Louvain-la-Neuve puis entreprend de poursuivre sa carrière de chanteuse… Elle va créer un véritable scandale avec ses prises de position pro-contraception (une révolution pour l’époque !) dans sa chanson « La Pilule d’Or ». Un thème tout a fait dans l'actualité, alors que, très récemment, notre Pape nous prouvait, une fois de plus, qu'il ignorait (et pire) qu'il condamnait l'usage du préservatif… Sœur Sourire, véritable précurseur de l’engagement politique en chansons ? Abandonnée par sa mère, par le couvent qui lui refuse toute aide financière, par l’Eglise qui la réduit au silence en la privant contractuellement de son nom de scène, par son public de catholiques pratiquants dont elle s’attire les foudres par le biais de ses chansons les plus progressistes, par l’Etat qui lui tourne le dos lorsqu’elle demande l’indulgence du FISC, par les médias qui révèlent son homosexualité et enfin par son manager, Sœur Sourire, sans ressources, va s’abandonner aux paradis artificiels. 

Les années 70 seront celles de l’alcoolisme, des anxiolytiques et de la dépression mais également de l’amour durable et sincère avec sa tendre compagne, Annie. Acculée par le FISC qui lui réclame des royalties qu’elle n’a jamais touchées, incapable de prouver que tout ce qu’elle a gagné fut donné à l’Eglise, Jeannine, ainsi que sa compagne, se suicideront en 1985 dans le désarroi le plus total. La joyeuse « Singing Nun », au succès planétaire, devient un véritable martyr, victime de la grande hypocrisie catholique. 

Si, dès le début, Cécile De France semblait s'imposer comme une évidence pour incarner cette jeune femme tour à tour joyeuse, naïve, touchante, égoïste, tête de mule, rebelle, agressive, emmerdeuse et grande gueule, force est de constater que sa performance (physique et vocale) est un authentique tour de force. En créant une véritable empathie, elle parvient à ce que chaque spectateur, quelles que soient ses opinions, croyant, athée ou sans opinion, la trouve sympathique. Peu mise en valeur, sans maquillage, un peu gauche, un peu cruche et un peu bèbête, Sœur Sourire, dans la peau de Cécile De France, devient pourtant un vrai personnage cinématographique, une grande adolescente bourrue et instable, désemparée face aux sentiments amoureux, écrasée par le poids d’un combat qu’elle a engagé malgré elle. Le reste du casting s’avère également excellent, en particulier Jo Deseure et Jan Decleir (les parents) et surtout la fabuleuse et terriblement émouvante Sandrine Blancke (Toto le Héros) dans le rôle d’Annie, l’amoureuse transie et fidèle, en lutte avec ses propres démons et dont l’amour inconditionnel sera le dernier réconfort de Jeannine.

Si Sœur Sourire n’a jamais eu l’envergure des grands, si ses chansons bon enfant et naïves ne révolutionnèrent pas la scène musicale (admettons-le, Boris Vian peut dormir tranquille…), son combat, tué dans l’œuf, n’en reste pas moins admirable. 

Le film de Stijn Coninx nous renvoie également à notre époque actuelle par l’évocation de cette famille Deckers qui mange en silence, en regardant la télévision, annihilant machinalement toute autre forme de communication familiale et d’épanouissement personnel, posant de la sorte les jalons du manque dont souffre Jeannine.

Chez Stijn Coninx, la critique, bien qu’assez chargée, est néanmoins subtile et son film déborde d’un humour aussi bon enfant que l’étaient les chansons de son héroïne. On regrettera, dès lors, certains oublis étonnants de l’histoire de Sœur Sourire comme cette pathétique tentative de come-back, en 1982, avec une version disco de « Dominique » de triste mémoire, son engagement au sein d’une école pour enfants autistes ou encore l’ironie funeste suscitée par son suicide, alors que le jour même de sa mort, sans qu’elle ne le sache, la SABAM venait de lui verser 571.000 francs belges de droits d’auteur, une somme largement suffisante pour éponger toutes ses dettes et pour vivre à l’abri des ennuis financiers jusqu’à la fin de ses jours. 
Relatant avec talent le destin d’une « petite » femme faisant, tranquillement et à sa manière, sa révolution, Sœur Sourire est un joli petit film bénéficiant d’une reconstitution historique étonnante et recréant, avec un grand sens du détail, la fin des années 50 jusqu’aux années 80, nous permettant d’entendre un assortiment varié d’accents belges cocasses, nous rappelant des temps un peu plus simples et poétiques. Si David n’a cette fois pas vaincu Goliath, son combat n’a pas été oublié : grâce à Stijn Coninx et Cécile de France, Sœur Sourire est devenue une vraie héroïne de cinéma.

 

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