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Christine Polis, animatrice en stop motion

Publié le 23/05/2024 par Kevin Giraud et Antoine Phillipart / Catégorie: Entrevue

Animée par le cinéma depuis son plus jeune âge, Christine Polis l’anime désormais en volumes. Marionnettiste, accessoiriste et sculptrice sur des projets prestigieux comme Ma vie de courgette ou Isle of Dogs, elle est également collaboratrice de longue date de Panique au village, à l’aise dans tous les formats du cinéma d’animation. À la SABAM, nous avons eu le plaisir de revenir sur sa carrière multiple, en attendant de découvrir Sauvages, son dernier projet avec Claude Barras.

Cinergie : Lorsque vous débutez votre formation à La Cambre, vous aviez déjà l’envie d’aller vers l’animation stop motion?

Christine Polis : Oui, j’y suis allé même pour ça en fait. En première année, c’était assez décevant parce qu’on ne pouvait pas faire de stop motion directement, il fallait d’abord faire des exercices 2D, et ça m’intéressait beaucoup moins. J’étais très très impatiente de commencer à animer une boule de plasticine! [rires]. Cela dit, c’était un autre défi! À l’époque, on tournait en 16 millimètres, donc il fallait se souvenir de l’image précédente, sans ordinateur, il n’y avait pas moyen de revoir ce qu’on avait fait avant. C’était un vrai exercice de concentration, et il était d’ailleurs absolument interdit d’entrer dans un studio où un étudiant tournait un film en stop motion. On se faisait des fiches gigantesques avec les positions de chaque membre, des yeux…

 

C. : Aujourd’hui, c’est plus facile de réaliser en stop motion?

Ch. P. : C’est plus confortable. On peut se tromper, superposer des images, repartir quelques images en arrière grâce aux outils numériques et repositionner sa marionnette. C’est beaucoup moins stressant qu’à l’époque, mais il vaut mieux ne pas se tromper. Ça reste toujours un challenge pour les animateurs.

 

C. : Est ce que, dans votre travail aujourd'hui, vous retrouvez toujours ce côté malin, bricolé qui vous a poussé vers le stop motion ?

Ch. P. : Un peu moins, même s’il est encore présent. La 3D permet aujourd’hui de faire beaucoup de choses. Du point de vue du rigging par exemple, c’est-à-dire tous les systèmes externes qui permettent de faire sauter la marionnette, ou de maintenir la position d’un objet dans l’espace, ces systèmes peuvent être visibles aujourd’hui puis effacés numériquement. Avant, il fallait vraiment réfléchir à l’axe de la caméra, aux ombres, pour dissimuler au maximum ces outils. Cela dit, tout dépend du budget. Parfois, il n’y a pas beaucoup de budget en postproduction. Donc il faut retourner à l’époque où il fallait vraiment faire attention à tout. Ce qui me plaît toujours!

 

C. : Quelle a été votre première expérience professionnelle?

Ch. P. : J’ai été stagiaire sur le court-métrage La Femme papillon [de Virginie Bourdin, 2003, NDLR]. Ils m’avaient fait venir pour m’occuper de la marionnette qui avait pas mal de petits soucis, et j’étais fort impressionnée parce que c’était une grande responsabilité, alors que je n’avais seulement bricolé mes propres marionnettes pour mes films d’école. Mais c’était une chouette expérience, et j’y ai également rencontré Beast Animation, avec qui j’ai collaboré par la suite. Ensuite, j’ai fait un peu d’animation, je me cherchais un petit peu. Puis, de fil en aiguille, je me suis rendu compte que c’était avec les marionnettes que j’étais le plus à l’aise, et j’en ai fait ma spécialité. Animer m’avait plu à l’école, mais animer pour quelqu’un m’intéressait moins. C’est sur le tournage de Max & Co, où j’étais assistante-animatrice, que j’ai vraiment pris ma décision. Je passais plus de temps au département marionnettes qu’à l’animation, elles étaient vraiment superbes.

 

C. : Parallèlement aux marionnettes, vous êtes également accessoiriste, notamment sur Panique au village?

Ch. P. : Sur Panique, je m’occupe de tout ce qui est accessoires techniques, c’est-à-dire - un peu comme pour les marionnettes - les accessoires qui seront animés. Parfois, j’aime également ajouter des petits accessoires qui ne doivent “rien faire”, car ce ne sont pas les mêmes contraintes. Dans ces boulots qui deviennent de plus en plus techniques, c’est bien de pouvoir réintégrer de l’esthétique de temps en temps, et une sensibilité artistique. Sur Sauvage, nous avons dû jongler avec un sac à dos qui apparaissait et disparaissait du film, il a fallu justifier ce “faux raccord”. Sur Panique, on a tourné avec des popcorns géants à côté des personnages. Et il y a toujours quelqu’un pour les goûter, même s’ils sont couverts de vernis!

 

C. : D’un point de vue technique, comment crée-t-on une marionnette pour un film de stop motion?

Ch. P. : Il y a deux cas de figure principaux, soit le/la réalisateur.ice n’a pas réellement d’idée de ce qu’il ou elle veut, ou en tout cas il n’y pas de design particulier, soit les cinéastes sont également graphistes, et ont un univers, auquel cas ils ou elles dessinent la marionnette et nous la créons ensuite. Ce qu’on demande dans ce cas-là, c’est au moins une version face-profil-dos, pour que l’on puisse ensuite faire en sorte de réaliser une marionnette avec toutes les fonctionnalités nécessaires à l’animation, tout en préservant l’esthétique. C’est très important - surtout lorsque les cinéastes sont aussi sculpteurs - de réussir à préserver la petite chose qui rend la marionnette personnelle, en respectant leur style. Il faut prêter attention aux moindres détails pour éviter les généralités, et garder l’aspect unique de chaque création.

 

C. : Et ce, quelque soit le format? Série, court ou long-métrage?

Ch. P. : La série Panique, c’était particulièrement rock’n’roll, mais c’est aussi l’ADN de Panique, très organique. C’était aussi l’époque où on fumait sur les plateaux, on travaillait à la colle chaude, on était tous dans la même pièce pour faire les décors, les accessoires… c’était un joyeux bordel. Par opposition, sur un film comme Sauvage, le prochain film de Claude Barras, tout était vraiment réglé comme du papier à musique. Il y avait un protocole très strict à respecter avant chaque plan. Pour ce tournage, mon compagnon - qui travaille avec moi - et moi-même sommes allés en Haute-Savoie, chez le chef marionnettiste, avec toute l’équipe marionnette du film. C’est là que nous avons développé les armatures notamment. Ce sont des personnages très complexes, car ils sont à moitié nus pour certains, et donc impossible de cacher quoi que ce soit en termes de raccords par exemple. On a travaillé avec des matériaux spéciaux, des silicones assez mobiles, tout en dissimulant les raccords avec des bracelets. Il faut que tous les mouvements soient permis, donc c’est à nous de trouver les solutions pour que ce soit faisable. Ensuite, nous sommes partis sur le tournage dans le Valais, où je m’occupais de l’hôpital de poupées.

 

C. : C’est-à-dire?

Ch. P. : C’est un terme technique, l’hôpital de poupées désigne une partie du département marionnette. Lorsqu’une marionnette est réalisée, elle ne va pas tenir tout le film telle quelle. Il y a des réparations, des changements de costume, des changements de perruques, et bien d’autres choses à surveiller pour qu’on ait toujours assez de marionnettes disponibles selon le planning, et le nombre de plateaux, car sur Sauvage, il y en avait une dizaine.

 

C. : Vous avez aussi travaillé - avant Sauvages - sur Isle of Dogs de Wes Anderson, avez vous vu une différence entre ces deux manières de fonctionner?

Ch. P. : Côté anglo-saxon et américain, la différence principale, c’est le financement. Les budgets sont très différents, et cela a donné un travail magnifique, même s’il y a eu des moments d’étonnements. Lorsqu’on doit refaire une marionnette complète parce que le réalisateur la voudrait “6% plus petite”, eh bien on la refait. Je trouvais cela choquant, mais les équipes qui travaillaient avec Wes Anderson depuis longtemps y étaient habituées, c’était normal pour elles ce type de demande. Cette expérience nous a aussi permis de découvrir de nouvelles techniques, de nouveaux mécanismes avec plus de formes, plus de possibilités. De vrais bijoux.

 

C. : Vous avez travaillé en France, en Suisse, en Angleterre, peut-être plus qu’en Belgique d’ailleurs. Est-ce un choix ou une nécessité? Peut-on vivre de l’animation stop motion en Belgique?

Ch. P. : Pas du tout, et malheureusement. Non seulement les studios sont rares, ou ferment, mais en plus le clivage nord-sud scinde les financements et les projets. Il n’y a pas assez de films en Belgique pour faire perdurer un studio d’animation, les tournages en volume sont donc plutôt éphémères. D’un côté, ça permet d’aller voir ailleurs, mais si on a envie d’un peu de stabilité, de rester un peu chez soi sans voyager des mois pour travailler à l’étranger, c’est plus difficile. Cela dit, ce sont de chouettes aventures, avec de belles rencontres, mais je regrette qu’il n’y ait pas plus de travail, plus de choses mises en place en Belgique pour que ce soit facile de faire de l’animation.

 

C. : Est-ce qu’il y a un aspect de ce métier que vous préférez?

Ch. P. : J’aime sculpter, peindre, mais j’aime aussi beaucoup le travail d’armature. C’est vraiment de la bijouterie, des petites pièces mécaniques très précises. Il faut que je sois parfaitement concentrée pour ce travail, car si les soudures sont belles, elles seront solides. Et on a beau en avoir fait des milliers, ça peut rater à tout moment. Et c’est ce côté hyper précis que j’aime dans ce métier.

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