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Le paradoxe n'est qu'apparent - Paul Meyer

Publié le 11/10/2007 / Catégorie: Hommage
Le paradoxe n'est qu'apparent - Paul Meyer

Avais-je dix ou douze ans ? Je ne sais plus. Aller au cinéma, en ces temps et en ces lieux, était un événement aux connotations multiples. Nous habitions Eupen, où, après la guerre de 14-18, mon père d'origine alsacienne et connaissant l'allemand, avait été nommé directeur d'école. Avec d'autres "anciens Belges" - anciens par opposition aux habitants des territoires "rédimés" (sic) - nous vivions notre étrangeté tant bien que mal,au gré de deux cultures, de deux langues et, pourrait-on dire, de deux Weltanschaüüngen.

Les ordres, mais aussi les journaux, les livres, les visiteurs venaient "de l'intérieur", de l'"ancienne" Belgique. Ainsi, les fonctionnaires francophones et leur famille, mais aussi l'armée et la gendarmerie, subissaient une sorte d'immigration aisée; ils étaient perçus par une partie de la population comme les représentants d'un pouvoir d'occupation. Vers les années trente, furent organisées de temps à autre des projections de films en français. J'ai ainsi découvert Charlot, que je trouvais pleurnichard, et Buster Keaton, que j'adorais, sans toutefois bien le comprendre. Par sa rareté, le cinéma était donc un événement important et qui confortait le côté ghetto (qu'on veuille bien me pardonner l'expression) des réunions de fonctionnaires francophones. Car il y avait aussi un petit cinéma où l'on projetait des films allemands et où nous n'allions jamais. Ce n'est que plus tard, dans un cinéma pimpant neuf de la Neustrasse, que je vis de temps à autre de mauvais films allemands où officiaient les Marika Röck, Zarah Leander, Hainz Rümann, et autres Hans Albers.

Curieusement, je m'en rendis compte plus tard, je partageais les jeux physiques - randonnées à vélo, promenades en forêt, patinage sur la Vesdre gelée - avec mes camarades germanophones, mais c'est avec les copains francophones que, dans le vaste grenier, nous montions des pièces de théâtre où se retrouvaient pêle-mêle les acteurs de films, les personnes observées dans notre entourage et les héros de nos lectures. Un oncle musicien m'avait fasciné. Mes parents mirent une énergie farouche à m'interdire ce métier de crève-la-faim. Chers parents, s'ils avaient pu prévoir !

Les études à l'Athénée de Verviers terminées, je formulai avec circonspection et force détours de langage mon désir de "faire du cinéma". Une erreur d'aiguillage m'envoya à La Cambre, l'Ecole Supérieure d'Architecture et des Arts Décoratifs où n'existait pas de section audiovisuelle, comme on dit à présent. C'est là que Herman Teirlinck, penseur et poète de la dramaturgie, - Henri Storck l'a merveilleusement cerné dans un de ses films - m'initia aux diverses fonctions de théâtre dans la cité.

Après un détour passionnant d'une dizaine d'années par le théâtre - théâtre pour enfants puis théâtre politique - j'entrai comme cameraman à la N.I.R. (télévision flamande) et pus enfin réaliser quelques documentaires. Mais je me dois de souligner que ma première rencontre avec la censure date - le paradoxe n'est qu'apparent - du théâtre pour enfants, lorsque le directeur général du Palais des Beaux-Arts nous demanda de transformer le titre d'une des pièces "Les Pommiers des Terres rouges" en "Les Pommes d'Or".

Je n'entrerai pas dans les détails, qui sont savoureux, ce n'est pas le propos, disons que, tout bonnement, le contenu avait déplu. En 1956, je réalise un court métrage de fiction, Klinkaart. Scandale au Festival National du Film à Anvers.

Interpellation à La Chambre. Le film passera sur les antennes de la N.I.R. censuré, amputé de quelques plans. En 1959-1960, un long métrage, Déjà s'envole la fleur maigre, refusé par son commanditaire, le Ministère de l'Instruction publique. Ma carrière cinématographique s'achève. Je vais connaître les joies du travail à la télévision "où il n'y a pas de censure". Vraiment ?

Biographie

Né à Limal en 1920.

Filmographie

1949 : Kastel, 20' (co-réalisé avec Gus Vershueren sur une idée et à la demande de Charles De Keukeleire)
1955 : L'Abbaye de la Cambre, 19' 
1956 : Klinkaart, 22' 
1957 : Le Retable de Notre Dame de Lombeek, 18' 
1958 : Stele pour Egmont, 18' - le Logement social, 23' 
1959-1960 : Déjà s'envole la fleur maigre, 85' 
1961 : Borinage 61, 15' 
1962 : Le Nerf de la paix, 35' - le Circuit de la mort, 15' 
1965 : Le Temps, 50' 
1975 : Ça va les Parnajon, 90' 
1977 : L'Herbe sous les pieds, 120' 
1989 : Zone rouge, 140'.

Télévision.

1962-1966 : le Pain quotidien, 13 épisodes de 50' à 70'.