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Le monde en scène de Jacques Borzykowski

Publié le 09/12/2010 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Musique et danse au carrefour des cultures

Cinéaste multiple et prolifique, Jacques Borzykowski sillonne Bruxelles depuis plus de vingt ans, caméra à la main, et témoigne inlassablement du travail de ceux qui vivent la culture autrement que comme un tissu d’activités consommables, formatées et médiatisées. Dans son dernier film, Le monde en scène, présenté au récent Festival du cinéma méditerranéen, il s’intéresse aux activités du Centre bruxellois d’action interculturelle (CBAI) et livre un témoignage débordant de vie qui réchauffe le cœur. De quoi nous faire du bien dans cet hiver bruxellois, précoce et glacé.

 Bruxellois d’action interculturelle organise les soirées du Monde en scène, faisant se rencontrer musiciens, chanteurs et danseurs de tous les horizons autour d’un projet commun d’improvisation. Le but ? Mêler des artistes qui, autrement, seraient restés dans leur sphère d’expression, et éclater les barrières culturelles. On y vient avec son instrument ou simplement sa voix, on se regroupe suivant affinités, on se met en train, et c’est parti. Le saz (un luth turc) côtoie le violon classique, qui copine avec le didjeridoo au rythme des tambourins. Ailleurs, une kora, un accordéon et des djembés se trouvent une commune résonnance tandis que trois danseuses tentent d’accorder leurs corps à cette musique naissante… Le laboratoire du Monde en scène s’organise en deux temps : des improvisations suivies de concerts publics
À ce jour, dans un Bruxelles au carrefour des cultures et des migrations, c’est plus de 250 artistes qui se sont croisés pour ces soirées de fête où les horizons s’interpénètrent. Un projet qui devait séduire Jacques Borzikowski qui n’aime rien tant que de planter sa caméra parmi ceux qui mettent la culture en mouvement, et font se rencontrer les Bruxellois de toutes origines. De mai 2008 à octobre 2009, avec l’aide du Centre Vidéo de Bruxelles, il a intégré ces groupes, assistant aux répétitions, tentant de saisir la magie de ces instants fugaces où les âmes vibrent à l’unisson. Il interroge les participants qui expliquent leurs raisons d’être là. L’un joue d’un instrument plutôt rare et cherche à le confronter à d’autres plus classiques pour sortir de son isolement. Un autre veut élargir ses horizons au contact d’autres musiques. Un autre encore, cherche à étoffer sa palette technique, s’ouvrir à d’autres langages musicaux. Tous pourtant portent le même message : le contact de l’autre nous enrichit. Artistiquement et humainement, la rencontre est fructueuse.

Au-delà du portrait de ces artistes en recherche de l’autre, le Monde en scène pose sur la ville un regard des plus réjouissants. Une société qui se confronte à ses racines multiples et choisit l’ouverture plutôt que le repli sur soi. Et à travers la musique et la danse s’exprime une profonde humanité que le cinéaste capte avec beaucoup d’empathie, n’hésitant pas à aller chercher un regard, un geste de la main ou du pied dans d’audacieux plans rapprochés, avant de rendre au corps sa liberté dans un cadrage plus conventionnel. Bien sûr, la musique est au rendez-vous et imprègne chaque moment, chaque image. Et finalement, on se dit que le CBAI n’a pas loupé son coup en intitulant ses spectacles Le monde en scène. Car cette scène, c’est le monde, notre monde. N’en déplaise aux nationalistes frileux et autres xénophobes rassis.

N.B. Le film de Jacques Borzykowski ne constituera qu’une pièce d’un témoignage sur ces moments de rencontre rares et magiques. Un CD compilation d'extraits de concerts et un livret pédagogique, édités sous la forme d'un coffret, donneront à voir, écouter et à lire les moments intimes de la rencontre. Ces outils seront conçus de manière à pouvoir être utilisé en animation et dans des formations à la pédagogie interculturelle en milieu scolaire et associatif. Sortie du coffret prévue en 2011.

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