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Vers la mer de Annik Leroy

Publié le 01/11/2016 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

La mouvance du fleuve
Il est des films qui échappent aux armes de la critique, des films qu'il faut recevoir tout entier ou refuser de même car ici pas de raisonnable mais une sensibilité qui trouve sa pertinence dans le jeu subtil des rythmes et des images qui se répondent. Des films qui oscillent entre rêve et réalité, dans ce temps singulier de la poésie où opère une très vieille alchimie, celle des correspondances et des changements, celle où les hommes et les lieux se nouent en une même émotion qui a valeur de parole et est déjà de la musique.

Vers la mer de Annik Leroy

Vers la mer, le dernier film d'Annik Leroy, est de ceux-là. Il prend sa source là où le Danube vient au monde et trouve son chemin, découvre son voyage comme le fleuve se fait et coule des montagnes vers la plaine jusqu'à ce delta où il se noie dans la mer.
Aventures des berges, dérives hasardeuses, Vers la mer s'invente au gré des rencontres, au contact de ces hommes et de ces femmes qui vivent ancrés au bord du fleuve et nous le racontent à leur manière, de leur point de vue.
Dès les premiers plans, Annik Leroy nous installe dans ce temps du transit, du passage et trouve dans le cours naturel des saisons, dans ces transformations lentes, évidentes de la terre, l'espace de ses rencontres et des paroles, des histoires qu'elle recueille.
La magie de Vers la mer tient à cette façon de recevoir les bruits, les mots, les paroles de tous les jours et de les inscrire dans les paysages traversés comme autant de bribes d'une mémoire nomade, changeante, fluide comme le Danube lui-même.
Survient alors une étrange osmose entre paysages et visages comme si de l'image devenue parole, des mots devenus regards, naissait un acte de dire la vie, les vies, qui est écoute et partage, une invite tranquille au métissage affectif qui dépasse les frontières, ignore la géographie et nous livre ces hommes et ces femmes dans un présent qui a goût de complicité.
Et il n'y a rien de réducteur, rien de complaisant à fondre en un même cours ces instants sédentaires, ces destins immobiles car se détache alors de ces vies enracinées, une seule et même voix, celle du fleuve qui charrie dans sa mouvance des rêves d'évasion, des désirs de liberté, et c'est précisément là qu'Annik Leroy nous touche et nous concerne.
Car si le rythme de son film et le temps de son regard s'imposent comme une nécessité du corps et rappellent en cela la respiration régulière d'un marcheur, il y a avant tout dans Vers la mer une irrésistible invitation au voyage, un abandon qui est déjà un départ, une mise en mouvement. Et Annik Leroy possède cet art singulier d'éveiller chez nous le désir de nous arracher à nos douces sécurités et de suivre à notre tour ce lent apprentissage de la course du fleuve jusqu'à cet instant de l'inconnu où, une fois la mer atteinte et l'horizon libéré, commence l'aventure infinie des vagues sans cesse recommencées.

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