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Yambi, RDCiné Congo

Publié le 14/11/2007 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Tour du cinéma congolais en 2 DVD

yambiPapy de Djo Tunda Wa Munga

« Yambi, RDCiné Congo »  est une sélection de 21 courts métrages, présentée d’entrée de jeu comme « suggestive », éditée et réalisée par le Bureau de Liaison du Cinéma de l’Espace Francophone dans le cadre de l’année Yambi. Elle permet de découvrir plus de trente-cinq ans de cinéma congolais en deux DVD accompagnés d’un livret très pédagogique et intéressant.

Le premier de ces deux DVD présente des courts métrages réalisés entre 1972 et 2004, plus de fictions que de documentaires, et quelques incontournables, comme le premier film congolais présenté au Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou, Moseka de Roger Kwami, les courts métrages d’animation de Jean-Michel Kibushi, ou encore Le Clandestin de Zeka Laplaine. Le second DVD, qui feuillette la production entre 2004 et 2007, fait la part belle aux documentaires. Ils sont accompagnés d’un livret très intéressant qui présente chaque film, chaque réalisateur et offre, en plus, quelques entretiens avec certains d’entre eux. D’une époque à l’autre, d’une génération de cinéastes à la suivante, les films, qui se présentent par ordre chronologique, témoignent de plusieurs évolutions qui vont sans doute de pair. D’une part, les sujets politiques qui témoignent des années Zaïre sous la coupe de Mobutu ou racontent l’exil et le rapport à l’étranger font place à des sujets de société, où le regard se déploie majoritairement sur Kinshasa, ville en pleine effervescence, fascinante et presque mythique. La fiction cède de plus en plus le pas au documentaire et l’usage du numérique se généralise. En présentant son film, Article 15 bis, Bafulu Bakupa Kanyinda explique dans le livret : « Avec le numérique, il devient possible de multiplier sa créativité, de produire davantage sans sacrifier la qualité, de réinterroger et d’enrichir la mémoire africaine. Un nouveau monde du film s’ouvre : celui de « capturer » et de redessiner l’image de l’Afrique en faisant l’économie de certaines contraintes financières de la coûteuse technologie analogique. Mais il reste au cinéaste d’Afrique de savoir ce qu’il fait et d’avoir une histoire à raconter ». Ces deux DVD, en dessinant les contours d’une cinématographie riche en termes de créativité mais fragile quant à ses moyens, font aussi apparaître le chemin parcouru par un peuple pour s’emparer de son image et se raconter.

Seul moyen métrage de ces deux DVD, Papy de Djo Tunda Wa Munga, était présenté au Festival du Film de Namur. Dernier film de cette sélection, il clôt ce panorama du cinéma congolais tout en l’ouvrant à un avenir proche par ce qu’il laisse en suspens. Film justement à cheval entre documentaire et fiction, entre long métrage et court métrage, entre film de commande et œuvre cinématographique, son ambiguïté annonce ce qui est peut-être en bouleversement, en ce moment, dans le cinéma congolais. Premier film d’une série originale dont chaque épisode va s’appuyer sur le témoignage d’une personne réelle qui vit aujourd’hui avec le virus du SIDA, Papy s’inscrit dans un programme de films de commandes. Sa vision a, comme on dit, valeur « éducative ». Il s’inspire de l’histoire vraie de Papy, un gendarme qui, à la fin du film, témoigne face caméra de la véracité de cette histoire. À travers l’itinéraire de ce policier, à travers la prise de conscience de la maladie, ses conséquences, la description de chaque étape de la prise en charge médicale jusqu’aux soins enfin acceptés par Papy, le film nous entraîne dans son intimité physique et affective et réussit à décrire, pas à pas, la maladie dans sa banalité violente et quotidienne. Déchu de sa force virile, victime de fausses croyances qui font de lui un paria, quitté par sa femme qu’il a trompée, Papy s’engage sur ce chemin de croix, celui qu’il doit emprunter pour accepter sa maladie et commencer à se soigner. Replacé dans le cadre de la commande, le film répond parfaitement à son cahier des charges. Mais Papy est un film impur, boulimique, énergique et énervé. Le découpage de l’histoire et le réalisme des images aux tonalités métalliques, grises et dures, l’inscrivent dans le vraisemblable du documentaire. D’autres scènes vraiment burlesques renouent avec l’art de la dramaturgie congolaise et esquivent, grâce au ton de la comédie, le trop plein de pathos. Enfin, ralentis, surimpressions, inserts ou gros plans saturés de couleurs et contrastés, viennent briser la continuité narrative pour construire une temporalité élastique, faite de moments suspendus et poétiques. Ces séquences très stylisées témoignent d’une réappropriation des codes cinématographiques et creusent le film d’un désir de cinéma très esthétique. Ces impuretés, ces mélanges de tons, ces ambiguïtés font de Papy un film déconcertant mais anarchique, comme affranchi de tout modèles. Et, finalement, présenté à la fin de cette anthologie, il laisse présager qu’une troisième période commence dans cette cinématographie, qu’après le temps de l’apprentissage et celui de l’appropriation, vient peut-être celui de la réinvention ?

 

« Yambi, RDCiné Congo » est édité et réalisé par le Bureau de Liaison du Cinéma de l’Espace Francophone pour le Commissariat Général aux Relations Internationales de la Communauté française Wallonie-Bruxelles dans le cadre de l’Année Yambi organisée conjointement par ce même Commissariat et le Ministère de la Culture de la République Démocratique du Congo.

DVD 1 « 1972…2004 » : Afrique animée de Marcel Kayumba / Moseka de Roger Kwani / Kin Kiesse de Mweze Ngangura / Le crapaud chez ses beaux-parents de Jean-Michel Kibushi / Revue en vrac de Monique Mbeka Phoba / Kinshasa Septembre noir de Jean-Michel Kibushi / Le Clandestin de Zeka Laplaine / L’étranger venu d’Afrique de Joseph Kumbela / Article 15 bis de Bafulu Bakupa Kanyinda / La mémoire du Congo en péril de Guy Bomanyama Zandu

DVD 2 « 2004…2007 » : Lamokowang de Petna Ndaliko / Barua Lako de Sperantia Sikuli et Sekombi Katondolo / Kinshasa, ville de mon enfance de Adamo Kiangebeni / Le Marché de la Mort de Shouna Mangondo / Marc de Béatrice Badibanga / Le boxeur aux gants rouges de Gulda El Magambo et Douglas Nt / Cailloux de Guy Kabeya / L’artiste de la poubelle de Didier Lissa / Les Fils de la vie et de la mort de Clarisse Muvuba / Vieillesse, notre avenir de Franck Mweze / Papy de Djo Tunda Wa Munga

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